Des rendements obligataires plus élevés et le portefeuille de type 60/40

Chris Iggo, AXA IM

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Les perspectives restent certes mesurées, mais il ne faut pas sous-estimer la portée des intérêts composés.

Les rendements des obligations ont augmenté plus fortement que ceux des actions. Les écarts n’ont jamais été aussi grands depuis plus de 20 ans. Après trois années consécutives de pertes, j’estime donc les gains obligataires à nouveau plus probables, et je pense qu’il devrait également être possible de réaliser de meilleurs bénéfices au moyen d’un portefeuille équilibré classique. Les perspectives restent certes mesurées, mais il ne faut pas sous-estimer la portée des intérêts composés.

Écart de rendements

Au tournant du millénaire, le rendement américain sur dix ans est tombé au-dessous de celui des bénéfices des actions américaines. Le rendement positif est l’inverse du ratio cours/bénéfices. Si l’ensemble des bénéfices était versé aux actionnaires sous forme de dividendes, ils obtiendraient donc exactement ce rendement. Mais dans la pratique, ce n’est qu’une partie des bénéfices que les actionnaires touchent par le biais des dividendes. Le reste est thésaurisé - par exemple pour financer la croissance future – ou leur parvient à l’occasion d’un rachat d’actions. Ce que l’on appelle l’écart de rendement des bénéfices demeure toutefois un indicateur classique de la valorisation relative des obligations par rapport aux actions. Aux États-Unis, le rendement à dix ans vient tout juste de dépasser le rendement des bénéfices des actions. C’est pourquoi certains observateurs sont d’avis que les obligations sont devenues beaucoup plus intéressantes que les actions.

Or, on pourrait aussi comparer le rendement des dividendes avec le rendement des obligations. Dans la plupart des grandes économies, après la crise financière internationale, le rendement des dividendes a augmenté en raison des rendements obligataires, ceux-ci ayant chuté de façon massive, suite aux achats importants effectués par les banques centrales. Aux États-Unis et en Europe, le rendement réalisé sur les dividendes est désormais inférieur à celui des obligations d’État, dont les coupons sont pratiquement assurés. Mais personne ne peut garantir qu’une entreprise versera toujours des dividendes.

Renversement

Si les achats d’obligations effectués par les banques centrales, ce que l’on qualifie «d’assouplissement quantitatif», avaient pour but de rendre les actions plus attrayantes que les obligations, l’opération a été un succès. Mais entre-temps, les choses prennent un tournant inverse: les rendements obligataires sont en hausse. Aujourd’hui, le rendement des bénéfices du S&P 500 pondéré par la capitalisation est légèrement inférieur au rendement américain sur dix ans, et celui de l’indice équipondéré est à peine supérieur d’un point de pourcentage. Au plus fort de l’épidémie de Covid, les actions avaient 6% à 7% d’avance, et durant les deux décennies précédant la pandémie, un avantage de 2% et 5%.

Dans quoi investir?

Le rendement des dividendes des actions américaines est d’environ 1,6%, celui des obligations d’État à cinq ans de 4,9%, et le rendement d’un indice représentatif des obligations d’entreprises se monte à près de 6,5%. Pour que les actions puissent rivaliser avec les obligations, les dividendes devraient croître d’au moins 3,3% chaque année, en moyenne – et même davantage lorsqu’une prime de risque est exigée en raison de la volatilité naturellement plus élevée des actions. Bien entendu, quand les perspectives économiques sont bonnes, les cours des actions peuvent grimper, mais cela n’est nullement garanti. Le consensus est que les bénéfices du S&P 500 augmenteront d’environ 10% l’année prochaine. Sur les marchés boursiers, tout serait alors en ordre. Mais comme les perspectives conjoncturelles restent passablement mesurées, il y a certainement des arguments à faire valoir en faveur d’une allocation d’actifs plus conservatrice.

Les primes de risque changent

Au Royaume-Uni, le rendement des dividendes est également passé sous le rendement des obligations d’État de référence, pour la première fois depuis 2010. En Europe et au Japon, l’écart est encore légèrement positif, mais il s’est réduit en raison de la hausse des rendements obligataires. Les primes de risque des obligations sont désormais plus élevées, nous explique-t-on, car on ne sait pas encore quel taux d’intérêt s’accordera le mieux avec les niveaux d’inflation visés par les banques centrales. En revanche, les primes de risque des actions semblent avoir baissé. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’en moyenne, les actions se sont montrées trois fois plus volatiles que les obligations d’État.

Attentes en termes de rendement

Ceux qui affirment que les actions sont devenues bien trop chères par rapport aux obligations vont sans doute un peu vite en besogne - même si, après trois années consécutives de pertes, il faut déjà avoir d’excellents arguments pour favoriser les obligations. La forte hausse des rendements obligataires a toutefois modifié les attentes de rendement ajustées au risque. Deux points importants: tout d’abord, les rendements élevés parlent en faveur de la possibilité de réaliser des bénéfices au moyen des obligations. Si l’on prend comme référence le marché américain depuis 1973, on peut s’attendre à un rendement d’un peu moins de 10% sur un an et de 17% sur deux ans, en partant du rendement actuel de 4,9% sur dix ans. Bien entendu, les résultats passés ne sont pas une garantie pour l’avenir, mais les rendements tels que ceux que nous connaissons aujourd’hui ont souvent constitué un niveau favorable pour entrer dans le jeu. Avec un horizon de placement d’au moins un an, on s’est ainsi toujours retrouvé en zone positive.

Ensuite, les attentes de rendement plus élevées pour les obligations font qu’aujourd’hui, les investisseurs peuvent avoir une vision différente d’un portefeuille équilibré typique, c’est-à-dire composé des deux classes d’actifs. Avant que n’intervienne l’assouplissement quantitatif, les obligations permettaient de réaliser le plus souvent des bénéfices. Les phases de pertes étaient courtes et peu prononcées, contrairement à la baisse sans précédent des obligations que nous connaissons depuis 2021. La plupart du temps, les obligations rapportaient de l’argent lorsque les actions étaient dans le rouge, par exemple en période de récession. En période conjoncturelle stable, les obligations et les actions étaient toutes deux en hausse; les coupons des obligations compensaient alors généreusement les éventuelles pertes de cours dues à une hausse des rendements, et les actions profitaient quant à elles de la croissance économique. Avant la crise financière internationale de 2008, un rendement annuel de 10% pour un portefeuille classique de type 60/40 (à savoir composé de 60% d’actions et de 40% d’obligations) était une chose tout à fait normale. Or, durant les cinq dernières années, ce type de portefeuille n’a rapporté que zéro à six pour cent, suivant que l’on avait investi dans des titres libellés en euros, en livres sterling ou en dollars américains. Mais les rendements ont toujours été inférieurs à ceux de la dernière période à avoir présenté des rendements obligataires aussi élevés qu’aujourd’hui.

Ne pas perdre de vue les risques

Je ne saurais dire si les marchés se trouvent actuellement à un tournant. Nombreux sont les éléments qui viennent troubler leur humeur. Les taux directeurs sont élevés et des baisses ne sont attendues qu’à partir du milieu de l’année prochaine, au plus tôt. Les placements sur le marché monétaire continuent à représenter une concurrence sérieuse. Mais qui investit sur le marché monétaire doit s’accommoder d’un risque de réinvestissement, qui sera d’autant plus prononcé lorsque les banques centrales commenceront à baisser leurs taux d’intérêt. Les autres risques sont évidents: une éventuelle récession guettant plusieurs pays importants, avec des répercussions sur les bénéfices des entreprises et la qualité du crédit, une escalade de la guerre au Proche-Orient, la poursuite de la guerre en Ukraine et les difficiles relations sino-américaines, surtout si Donald Trump reste candidat à la présidence.

Un faiblissement de la disposition au risque

Le changement soudain des primes de risque a rendu les obligations à nouveau plus attrayantes que les actions. Sur une période d’un à trois ans, c’est-à-dire l’horizon de placement pertinent pour la plupart des investisseurs, les obligations devraient rapporter de l’argent, en dépit de certaines fluctuations. Mais tant que l’inflation restera nettement supérieure à l’objectif de 2% fixé par les banques centrales, la politique monétaire restera incertaine. Par conséquent, les investisseurs pourraient craindre de nouveaux relèvements des taux d’intérêt. J’ai aussi l’impression que de plus en plus de courtiers mettent en garde contre les problèmes de solvabilité aux États-Unis, le faible niveau de consommation au Royaume-Uni et le ralentissement économique généralisé dans la zone euro. Un «government shutdown» reste encore envisageable aux Etats-Unis le mois prochain. Un tel évènement ne serait pas sans conséquence sur la croissance économique. Les prévisions conjoncturelles seraient alors également plus difficiles à établir, car aucune donnée économique ne serait plus publiée. Tous ces éléments laissent présager une disposition au risque sur le repli.

L’inflation - le sujet dominant en 2024 aussi?

Mais le principal problème demeure l’inflation. Il règne le consensus général qu’en 2024, elle poursuivra sa baisse. Mais nous ne savons pas précisément comment la dynamique de l’inflation s’est modifiée et comment les chocs structurels de ces dernières années ont transformé la politique tarifaire des entreprises. Cette année, les salaires des fonctionnaires britanniques ont fortement progressé. Est-ce une trajectoire qui va se poursuivre? Les entreprises ont profité de l’inflation élevée pour majorer leurs prix; par ailleurs, les marchés des matières premières pourraient réagir aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et au changement climatique. Espérons que les 20 dernières années de faible inflation produiront des effets à retardement bénéfiques et que nous pourrons ainsi éviter une reprise de l’inflation. Dans ce cas, un portefeuille de type 60/40 pourrait s’avérer intéressant, grâce aussi bien à ses rendements nominaux qu’à ses revenus réels.

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