Le cycle de politique monétaire au sommet

Chris Iggo, AXA IM

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Si les banques centrales font fausse route et que le ciel économique s’assombrit, il se pourrait qu’elles doivent s’engager péniblement sur un terrain accidenté pour parvenir à faire baisser les taux d’intérêt.

Il est possible d’utiliser la métaphore de la ‘Montagne de la Table’ (un sommet en plateau près du Cap, en Afrique du Sud) pour décrire le cycle de politique monétaire actuel. Toute personne ayant visité la ville du Cap saura sans doute que l’on peut accéder au sommet de la montagne en se laissant transporter tout en douceur par un téléphérique. Les vues que vous offre le panorama sur Camps Bay et la région ouest du Cap sont splendides. Le trajet retour se fait tout aussi confortablement. Si, toutefois, vous ne prêtez pas attention aux horaires du téléphérique et que vous ratez la dernière course du jour, le retour devient une assez périlleuse descente à pied le long de l’escarpement, dans une lumière évanescente et sous une nappe nuageuse recouvrant peu à peu le plateau de la ‘Table’. L’approche de type ‘plus élevés, plus longtemps’, opposée à celle de ‘l’atterrissage en douceur’, correspond à un retour en téléphérique au pied de la montagne. Mais si les banques centrales font fausse route et que le ciel économique s’assombrit, il se pourrait qu’elles doivent s’engager péniblement sur un terrain accidenté pour parvenir à faire baisser les taux d’intérêt.

C’est enfin terminé?

Ouf, voilà encore un tour de réunions des banques centrales qui s’est déroulé sans faire de remous. La Réserve fédérale américaine (Fed) a maintenu ses taux à 5,25% - 5,50%, la Banque d’Angleterre (BoE) a gelé les siens à 5,25% et la Banque centrale européenne (BCE) a certes relevé ses taux de 25 points de base (pb), les portant à 4,0%, mais somme toute, on a presque eu l’impression d’une mise en veilleuse. La Fed et la BoE ont présenté leur décision de mise en attente en lui conférant un nette teinte offensive, la Fed expliquant qu’elle avait revu à la hausse son estimation du taux d’intérêt neutre à long terme, alors que la BoE intensifie ses efforts de réduction des bilans (en promettant de vendre davantage d’obligations d’État du Royaume-Uni - ou «gilts» - en sa possession). Les marchés ont réagi de façon étonnamment négative à ce qui pourrait bien être les dernières mesures prises durant l’actuel cycle monétaire. Les rendements des bons du Trésor américain ont atteint 4,5% pour la première fois depuis 2007 et les obligations d’Etat ont augmenté d’environ 10 pb après la conclusion de la réunion du comité de politique monétaire de la BoE. Les banques centrales s’en réjouiront, car elles ne veulent surtout pas que le marché impose un assouplissement des conditions monétaires.

De nouvelles prévisions pour les taux d’intérêt

Il est évident que les investisseurs doivent désormais prendre en compte un régime de taux d’intérêt plus élevé que celui de la majeure partie des 20 dernières années. Le débat à propos du taux d’intérêt neutre le plus approprié pour les États-Unis est un tant soit peu académique, puisque le taux r*, comme on l’appelle, n’est absolument pas observable dans la réalité. Il a pourtant des répercussions concrètes. Si les banquiers centraux estiment qu’il est aujourd’hui plus élevé qu’au cours des dix dernières années environ, cela signifierait que l’orientation actuelle de la politique monétaire n’est peut-être pas aussi stricte qu’on ne le croit. La politique monétaire est restrictive - personne ne prétend que le taux neutre est de 5,50% - mais à moins que la Fed ne constate plus clairement un ralentissement économique et un retour de l’inflation au niveau visé, les perspectives qui se présentent à nous en termes de politique monétaire sont soit un resserrement accru, soit le maintien des conditions actuelles (strictes) pour une durée prolongée. Toutes les banques centrales laissent présager la deuxième option. La première ne peut toutefois pas être exclue si l’inflation fait à nouveau des siennes.

Des plateaux inhabituels

L’état de ‘plus élevés, plus longtemps’ ne représente cependant pas une situation normale. Depuis les années 1970, il n’y a eu qu’un seul exemple où la Fed a maintenu ses taux au sommet du cycle pendant une durée prolongée. C’était en 2006-2007, après que le taux directeur eut été porté de 1,0% en 2003 à 5,25 % au début de 2006. Les taux d’intérêt sont restés à 5,25% durant 15 mois. Habituellement, un resserrement de la politique monétaire est rapidement annulé parce que normalement, la réaction de l’économie est plus forte. Je me demande si nous ne serions pas plutôt dans une situation similaire à celle de 1995-2000. La Fed avait alors relevé ses taux de 3,0% en 1994 à 6,0% en 1995. Il s’en est suivi quelques ajustements, jusqu’à ce qu’un nouveau pic soit atteint à 6,5% en 2000, juste suffisant pour faire éclater la bulle du boom des actions des «dot com». Des ajustements plus fréquents de la politique monétaire, avec un taux neutre moyen plus élevé, exigent une prime de terme (c’est-à-dire de risque) plus élevée dans la courbe de rendement.

Pour ce qui est des obligations, c’est une histoire différente

Cette discussion est importante pour les investisseurs obligataires. Au cours des derniers mois, les investisseurs actifs en titres à revenu fixe ont tenté de profiter du pic des rendements, en recherchant des rendements plus faibles et des revenus positifs sur les positions à duration longue. Cela n’a pas très bien fonctionné, car l’indice des obligations d’Etat américaines à plus de 10 ans (ICE-Bank of America) ont enregistré un rendement négatif de 4,7% au cours du dernier trimestre. L’indice équivalent des gilts britanniques est en baisse de 6,5% depuis le début de l’année. De plus en plus, le marché anticipe que les taux seront «plus élevés, plus longtemps» et que le taux neutre à long terme sera également plus élevé. A l’heure où je rédige ces lignes, le taux des fonds fédéraux pour janvier 2025 est fixé à 4,56%, avec une perspective de baisse n’intervenant pas avant le milieu de l’année prochaine. Les rendements des bons du Trésor ont augmenté au même rythme que les prévisions en matière de taux d’intérêt. D’une part, les rendements plus élevés incitent à s’engager à nouveau dans le commerce des obligations à duration longue, mais d’autre part, les rendements pourraient se maintenir à ce niveau jusqu’à ce que les banques centrales optent pour une politique de taux moins élevés.

Les investisseurs en actions doivent également tenir compte de la ligne actuelle préconisant le principe du «plus élevés, plus longtemps». Les hypothèses relatives aux coûts d’emprunt à long terme font partie intégrante des modèles d’évaluation des actions. Toutes choses étant égales par ailleurs, des taux d’intérêt plus élevés résultent en une valeur actualisée plus faible des bénéfices futurs. Certaines entreprises bénéficieront de rendements obligataires plus élevés, tandis que d’autres pourraient avoir des difficultés à faire face aux charges d’intérêts modifiées. Dans un environnement de taux d’intérêt durablement plus élevés, une entreprise à fort effet de levier, ne bénéficiant pas d’une croissance assurée de ses revenus, peut sembler très peu attrayante comme objectif de placement. Les investisseurs multi-actifs peuvent revoir leur allocation obligataire en vue de diversifier le risque actions et de se procurer des opportunités de revenus plus importantes qu’au cours de la dernière décennie. L’année dernière, tout se vendait, mais les marchés baissiers des obligations ne durent pas éternellement, et des rendements plus élevés signifient plus de revenus en pourcentage du rendement total, et plus les rendements sont élevés, plus les revenus sont importants.

Plus fortes que les liquidités?

Si les rendements ne sont pas près de baisser nettement, que faut-il penser des obligations? Beaucoup de bien, si l’on sait choisir. Comment en serait-il autrement, au vu de la situation actuelle en termes de rendements? Bien que les rendements des obligations d’État (sans risque) soient inférieurs aux taux de trésorerie à court terme, dominant la courbe des rendements, les investisseurs ont la possibilité d’obtenir des rendements supérieurs à ceux des liquidités. Les stratégies de crédit à court terme restent les plus prisées. Le rendement de l’indice des obligations d’entreprises en livres sterling, d’une durée d’un à trois ans, est supérieur à 6,0%. Les obligations à haut rendement constituent une alternative à bêta plus élevé, étant donné que l’indice général américain du haut rendement se situe autour de 8,5% à 9,0%. Lors de la réunion de notre équipe, consacrée cette semaine aux prévisions pour les revenus fixes, il a été souligné que les obligations d’entreprises ne sont pas particulièrement bon marché en termes de valeur relative (spread), mais que les rendements purs sont très attrayants, à leurs plus hauts niveaux depuis la crise financière mondiale de 2008 et, dans de nombreux cas, même supérieurs aux niveaux enregistrés avant cette période.

Des rendements réels positifs, avec une inflation baissant plus rapidement que les rendements

Quelque chose me dit que les obligations offriront des rendements réels raisonnablement positifs au cours de l’année à venir, l’inflation devant poursuivre sa baisse. Ces revenus seraient encore accrus au cas où devaient se renforcer les prévisions selon lesquelles les banques centrales risquent de rater la dernière course de téléphérique. Les données économiques les plus récentes nous parvenant d’Europe - dont il ressort, entre autres, que les directeurs d’achat conservent une position attentiste - mettent en évidence la faiblesse de certaines parties de l’économie mondiale. Or, même dans le cas d’un atterrissage en douceur et d’une stabilisation des attentes concernant les taux d’intérêt, les rendements peuvent être positifs et les écarts de crédit peuvent accroître encore ces rendements. Un simple exercice de calcul du rendement total des obligations pour une variation de 100 points de base des rendements, soit à la hausse ou à la baisse, résulte en une tendance à des rendements positifs sur un horizon de détention d’un an. Le niveau de rendement et les coupons plus élevés des obligations émises plus récemment constituent donc une bonne base pour les investisseurs à revenus.

Les temps ont changé

Les liquidités restent difficiles à battre et pendant un certain temps encore, les taux de liquidités se maintiendront fermement à leurs niveaux actuels. Miser sur des rendements plus faibles pour obtenir un effet de levier sur la durée n’a pas été une stratégie couronnée de succès ces derniers mois, mais en choisissant un horizon temporel conséquent, l’effet composé de la détention d’obligations d’une durée supérieure à trois mois finira par produire des rendements supérieurs aux taux d’intérêt de l’argent liquide. Personne n’aimait vraiment les titres à revenu fixe lorsque les rendements étaient proches de zéro - à l’époque de l’assouplissement quantitatif, le marché profitait en effet plutôt aux emprunteurs qu’aux investisseurs. Mais tout cela, c’est du passé. Certes, nous devons désormais veiller à ce que les emprunteurs aient des flux de trésorerie et des bilans suffisamment solides pour supporter des coûts d’emprunt plus élevés, mais les rendements sont en revanche beaucoup plus attrayants pour les investisseurs. Les obligations sont de retour, et pour de bon.

Un changement radical pour les Red Devils

Je me suis abstenu d’écrire sur le football pendant un bon moment. Les personnes qui ont assisté aux récentes prestations de Manchester United comprendront pourquoi. Après seulement quelques matchs joués depuis le début de la saison, il semble qu’il faille déjà faire une croix sur les espoirs du camp rouge de Manchester, alors que pour le camp bleu ciel, City pourrait rééditer le triplé de l’année dernière (même si j’espère que le Bayern de Munich, le FC Barcelone ou le Real Madrid auront des choses sérieuses à dire à ce propos). Les problèmes de Manchester United ont des racines profondes et ne seront probablement pas résolus tant que la question de la propriété du club n’aura pas trouvé de réponse satisfaisante. Entre-temps, les supporters attendent chaque match avec grande anxiété. Si, pour une fois, les 11 joueurs sur le terrain pouvaient se comporter comme s’ils se connaissaient et s’appréciaient, ce serait un net progrès par rapport aux récentes sorties. La beauté du football, néanmoins, c’est qu’il peut toujours vous réserver des surprises. Vous n’imaginez pas à quel point je suis prêt à accueillir une bonne surprise!

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