L’année des obligations (retardée, mais pas annulée)

Chris Iggo, AXA IM

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Cette année était censée être celle des obligations. Or, au lieu de cela, le marché a fourni aux sceptiques encore plus de raisons de mettre en doute la valeur des titres à revenu fixe.

Les trois dernières années ont été délicates pour les marchés des titres à revenu fixe. Cette année était censée être celle des obligations, après la plus forte augmentation des taux enregistrée depuis 2020. Or, au lieu de cela, le marché a fourni aux sceptiques encore plus de raisons de mettre en doute la valeur des titres à revenu fixe. Permettez-moi néanmoins d’être audacieux: l’année prochaine sera l’année des emprunts obligataires. Les taux sont à leur plus haut niveau depuis plusieurs années; les rendements ont été affreux et l’équilibre risque/rendement pour placer de l’argent sur le marché obligataire actuel est ce qui s’est vu de mieux depuis une génération. Bien évidemment, la hausse des taux d’intérêt reste un défi pour l’instant, mais une fois que les banques centrales auront adopté une approche plus conciliante, les rendements augmenteront. L’an prochain, à la même époque, Rodney…

Ce n’est pas encore un remake de 1973

À ce jour, les marchés ont réagi de façon retenue aux événements du Proche-Orient. La question de savoir si cela continuera à être le cas dépendra des développements politiques, mais se lancer dans d’éventuelles spéculations à ce sujet dépasserait le cadre de ce billet. Si des signes indiquent que le conflit va en s’étendant ou que d’autres acteurs sont impliqués, la réaction la plus probable de la part des marchés financiers serait un dollar fort, un prix de l’or plus élevé et des revenus obligataires plus faibles. Les actifs à risque seraient alors sous pression. En revanche, tout cessez-le-feu ou toute tentative entreprise par des tiers pour négocier un accord mettant fin aux combats permettrait aux investisseurs de se concentrer à nouveau sur les questions portant sur l’inflation, les taux d’intérêt et la croissance. Sans vouloir minimiser l’ampleur de la tragédie humaine, d’un point de vue purement économique, il est moins probable que se produise le même type de choc pétrolier que celui qui, dans les années 1970, avait résulté des tensions au Proche-Orient - et aujourd’hui, l’économie mondiale est plus solide pour faire face à un tel choc sur les prix. Ce ne serait certes pas une bonne chose - nous avons un exemple récent de choc sur les prix de l’énergie - mais il est très peu probable que l’on revienne aux années de stagflation et aux rendements réels catastrophiques qui ont caractérisé les investissements des années 1970.

En dents de scie

Les marchés ont continué à avoir un comportement volatil. L’indice mondial des obligations d’État a présenté cinq mois consécutifs de rendements totaux négatifs jusqu’à la fin du mois de septembre. Ce mois-ci est également légèrement négatif, de sorte qu’il sera difficile d’obtenir des rendements totaux positifs pour 2023 (actuellement -1,4%). Une troisième année consécutive de pertes sur les marchés des titres à revenu fixe, ce qui constituerait un évènement sans précédent, semble se profiler à l’horizon. La perte cumulée sur trois ans, suggérée par la plupart des indices de référence des titres à revenu fixe, est la plus importante depuis que la plupart de ces indices sont publiés (c’est-à-dire plusieurs décennies). Cette semaine, les marchés semblaient mieux orientés, mais la publication d’une variation mensuelle légèrement supérieure aux prévisions de l’indice des prix à la consommation (IPC) pour le mois de septembre a occasionné une nouvelle phase de liquidation (quoique brève). Les taux d’intérêt sont encore élevés par rapport à ce qu’ils étaient ces dernières années, et je continue à penser que ces niveaux représentent une bonne valeur. Le prix moyen de l’indice ICE BofA Global Government Bond Index est de 88,3 cents, donc proche de son niveau le plus bas jamais enregistré (alors que le prix de l’indice avait culminé à 117,4 cents au début de l’année 2020).

Une énigme

J’ai récemment eu plusieurs conversations avec des clients au sujet de l’énigme suivante: Pourquoi un resserrement monétaire de 500 points de base n’a-t-il pas eu des répercussions plus négatives sur les économies mondiales? Se raccrocher à l’adage selon lequel la politique monétaire fonctionne avec des décalages longs et variables n’aide pas réellement dans la gestion des portefeuilles. Cette activité requiert en effet un élément d’horizon temporel concret afin d’obtenir l’équilibre optimal entre les rendements attendus et les risques encourus. À mon avis, plus les banques centrales maintiendront les taux d’intérêt à leur niveau le plus haut, plus grande sera la probabilité que les ménages et les entreprises voient une partie croissante de leurs liquidités être absorbée par le service de la dette. Après tout, les niveaux d’endettement sont élevés. Qui plus est, les gouvernements commencent à ressentir la pression de devoir payer des coupons bien plus élevés sur les nouveaux emprunts et, pour certains d’entre eux, de devoir couvrir les pertes de leurs banques centrales, résultant du paiement d’intérêts sur les réserves bancaires créées en raison de l’assouplissement quantitatif. Les comptes budgétaires semblent se détériorer dans de nombreuses économies développées, ce qui signifie que leur politique budgétaire devra être plus stricte à l’avenir. En outre, l’aide à la croissance, due aux largesses budgétaires motivées par la situation de pandémie, touche à sa fin.

Le logement est essentiel

Les marchés de l’immobilier résidentiel sont déterminants pour les perspectives d’évolution des taux d’intérêt. Aux États-Unis, le taux hypothécaire national moyen à 30 ans, selon Bankrate.com, est de 7,8% - proche du taux le plus élevé enregistré ces 25 dernières années. Les coûts d’emprunt sont plus élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient durant la période 2006-2007 (la dernière à avoir connu un tel plateau pour les taux d’intérêt). Au Royaume-Uni, le taux fixe moyen à deux ans approche les 6%, contre 1,5% à la fin de l’année 2021. Les données fournies par la Banque d’Angleterre sur les approbations de prêts hypothécaires montrent un faiblissement de la demande cette année, avec un dernier chiffre mensuel de 45’000, bien en-dessous de la moyenne sur le long terme. Les données de la société britannique ‘Nationwide Building Society’ montrent que les paiements hypothécaires moyens, exprimés en pourcentage du salaire net, ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 2009. Les États-Unis ont une structure hypothécaire différente, mais il est difficile de s’imaginer que les nouveaux emprunteurs potentiels vont se presser au portillon pour payer des taux hypothécaires de 8%. Aux États-Unis, les ventes de logements neufs commencent à décliner, mais sans que cela se traduise clairement par une baisse des prix des logements.

À la longue, ça fait mal

Je suis d’avis que ce n’est qu’une question de temps jusqu’à ce que les coûts d’emprunt plus élevés ne grèvent davantage le budget des ménages, ce qui les obligerait à rogner sur leurs dépenses de consommation. Étant donné que je travaille en étroite collaboration avec des analystes de crédit et des investisseurs, je ne suis pas surpris de constater que la hausse des taux n’a pas encore occasionné de problème généralisé parmi les entreprises. En effet, elles n’ont pas été stupides durant la période de faibles revenus. Elles ont accepté des taux d’intérêt extrêmement bas et ont remboursé leurs emprunts, ce qui leur a permis d’accumuler d’importantes liquidités (rémunérées à 5,5% dans des fonds du marché monétaire, quand il leur en reste). Mais les nouveaux emprunts auront désormais un coût plus élevé. L’indice ICE BofA US 1-3 Year Corporate Bond a un coupon historique de 3,4%, mais actuellement un rendement à l’échéance de 6,1%. Si les taux ne baissent pas, à l’échéance, les emprunteurs devront refinancer leur dette à un taux d’intérêt presque deux fois plus élevé que celui payé sur la dette contractée au cours des trois dernières années.

Ce que nous savons, ce à quoi nous nous attendons

Le problème, c’est que ces choses évoluent lentement. Ce n’est pas comme aux États-Unis en 2007, lorsque le problème résidait dans le grand nombre de prêts hypothécaires à taux révisable réajustés dans un environnement de taux d’intérêt plus élevés. Il n’est pas aisé d’obtenir des informations détaillées sur le nombre d’entreprises devant faire face à des taux plus élevés sur les crédits bancaires renouvelables, ou sur ce qui se passe précisément en matière de demandes de nouveaux prêts hypothécaires. Pourtant, nous savons que les conditions de prêt bancaire se resserrent et que les détenteurs d’hypothèques britanniques qui procèdent aujourd’hui à une nouvelle fixation de taux le font en ayant conscience du fait que leurs mensualités vont grimper en flèche. Par ailleurs, nous savons que financer un projet d’investissement en contractant une nouvelle dette coûte aujourd’hui beaucoup plus cher qu’il y a trois ans. Tout cela doit bien avoir un impact sur les dépenses et accélérer le ralentissement, voire la récession. Les taux plus bas suivront.

Les prix de l’immobilier devraient contribuer à réduire les niveaux d’inflation, à la longue

Le domaine du logement joue également un rôle dans les perspectives d’inflation. Alors qu’en septembre, l’IPC global pour les États-Unis indiquait une certaine rigidité (le taux en glissement annuel est resté inchangé à 3,7%), l’agrégat des services, à l’exclusion des loyers de l’immobilier résidentiel, était beaucoup plus satisfaisant (2,8% en glissement annuel, corrigé des variations saisonnières). En septembre de l’année précédente, cet indicateur culminait à plus de 8%. Toutefois, les données montrent que la composante «logement» de l’indice des prix à la consommation (IPC) a encore augmenté de 5,6% par rapport à l’année précédente. Les prix de l’immobilier évoluent lentement, ce qui implique que dans les données sur l’inflation, la composante du logement évolue lentement, elle aussi. L’IPC - hors alimentation, logement et énergie - se situait globalement à 2,0%. Retrouver le niveau ciblé

Des risques plus élevés pour plus longtemps

Les marchés du logement sont sensibles à l’évolution des taux d’intérêt. L’évolution des prix de l’immobilier peut également fausser le tableau des tendances sous-jacentes de l’inflation. On peut avoir affaire à un phénomène d’interactions détournées: l’inflation fait grimper les taux d’intérêt, ce qui finit par affaiblir le marché de l’immobilier, lequel contribue (avec un certain décalage) à une baisse de l’inflation et, finalement, aussi à celle des taux d’intérêt. Si l’on laisse de côté l’immobilier, une interprétation optimiste de ces données laisserait supposer que l’inflation est déjà proche du niveau visé par les banques centrales et que la Réserve fédérale américaine n’a donc pas besoin de relever à nouveau ses taux d’intérêt. La prochaine étape devrait être un assouplissement, et il se produira lorsque le taux d’inflation global aura baissé et qu’il y aura de nouveaux signes de ralentissement de la croissance. Entre-temps, il se peut que le resserrement des conditions monétaires entraîne une réaction inopportune, non prévisible à l’heure actuelle. À ce propos, nous suivrons de près les rapports sur les résultats des banques américaines au cours des prochaines semaines. Mes collègues de l’équipe chargée des titres à revenu fixe ont déjà constaté un élargissement des écarts de taux des swaps de défaut de crédit, survenu ces dernières semaines sur les noms des banques américaines. La hausse des revenus obligataires enregistrée au cours de l’été pourrait donc s’avérer problématique pour les bilans et les bénéfices des banques. Nous verrons bien.

 

(Données de performance/sources de données: LSEG Datastream, Bloomberg). Les performances passées ne doivent pas être considérées comme un indicateur de performances futures.

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