De la volatilité structurelle

David Lafferty, Natixis IM

4 minutes de lecture

Les anticipations des investisseurs ont évolué et elles ont un impact direct sur les marchés.

En février, la volatilité s’est à nouveau invitée sur les marchés durant 6 jours. Et cela est vrai à double titre: que l’on se base sur la définition statistiquement la plus fiable des «hauts et bas du marché» ou sur la définition la plus simple – la perte d’argent. De façon inattendue, les investisseurs sur les marchés actions se sont ainsi pris un seau d’eau froide sur la tête. Le choc a été d’autant plus rude qu’il s’est produit alors que presque personne n’émettait des doutes concernant le regain de vigueur de l’économie mondiale. Puis, aussi subitement qu’elle s’était produite, la correction a cessé et les actions ont rebondi.

Que laisse présager cet épisode pour les investisseurs en actions? Personne n’en est certain. Des corrections soudaines peuvent être annonciatrices de corrections plus prononcées ou simplement des pauses ponctuant un marché haussier de plus longue durée. Si les conséquences concernant l’orientation à court terme des actions restent floues, la correction nous conduits cependant à nous interroger sur ce qu’elle pourrait signifier pour la volatilité des marchés et les portefeuilles des investisseurs.

La volatilité structurelle: une théorie erronée?

La correction de ce mois-ci nous oblige à épousseter une de nos théories préférées – celle selon laquelle les marchés sont devenus structurellement plus volatils. En termes simples, cela signifie que les cours des titres sont susceptibles de fluctuer plus violemment et plus rapidement en raison de changements structurels intervenus dans le fonctionnement des marchés. Pour l’essentiel, l’idée est la suivante: le développement des technologies et l’accélération des vitesses des transactions, conjuguée au recours grandissant aux ETF, aux instruments dérivés et aux stratégies de trading automatisées, ont entraîné une augmentation du nombre d’actifs qui fluctuent de façon imprévisible au coeur du système financier. Cette situation exacerbe les mouvements des cours et accroît la nervosité des investisseurs. En outre, les banques centrales vont être moins en mesure d’intervenir à mesure que les déficits budgétaires augmentent et qu’elles se retrouvent dans la pratique à court de munitions. Ce faisant, les futures corrections pourraient ainsi se révéler plus prononcées et plus longues.

«Les cours sont susceptibles de fluctuer
plus violemment et plus rapidement en raison de changements structurels
intervenus dans le fonctionnement des marchés.»

A l’inverse, les investisseurs font généralement face à de la volatilité évènementielle – il se produit quelque chose, les marchés réagissent et nous comprenons  la cause immédiate des pertes. Au nombre des exemples de l’époque moderne figurent notamment la «grippe asiatique» en 1997, les attentats du 11 septembre, l’éclatement des bulles technologique et du crédit en 2000 et 2008, ainsi que la dévaluation du yuan chinois en 2015. Par rapport à la volatilité événementielle, la volatilité structurelle est plus insidieuse dans la mesure où des corrections peuvent se produire sans catalyseur évident, devenant ainsi plus difficiles à résoudre et à expliquer. Parmi ces exemples, on peut notamment citer le «krach éclair» de l’indice S&P 500® en mai 2010 ou le «rallye éclair» des obligations souveraines américaines en octobre 2014 – de grands mouvements inexpliqués et peu fondamentalement justifiés. Nous en sommes venus à la conclusion suivante: les investisseurs doivent se préparer à un environnement boursier plus risqué indépendamment du cycle de l’actualité.

Malheureusement, notre théorie de la volatilité structurelle s’est dans une large mesure révélée être erronée. A la lumière des événements ultérieurs, le soutien apporté par les banques centrales a été illimité en créant quasiment de toutes pièces des liquidités (via le «QE») et en faisant tomber les taux au jour le jour en territoire négatif. Ce soutien monétaire extraordinaire a permis une amélioration significative des perspectives de la croissance mondiale. La combinaison de ces facteurs, le regain de vigueur de la croissance et le soutien implicite des banques centrales se sont traduits par une période de volatilité réalisée et implicite historiquement faible. Nous nous attendions à plus de volatilité et nous en avons eu moins – beaucoup moins. Tant pis pour la volatilité structurelle.

Une correction technique?

Puis, en février, l’accès de faiblesse a commencé. Les pertes ne semblaient pas avoir d’origine fondamentale patente, raison pour laquelle des observateurs en ont rejeté la responsabilité sur la «correction technique» suffisamment vague. Notre meilleure hypothèse est que le marché a temporairement pris peur face aux craintes inflationnistes, à la hausse des taux, aux politiques moins accommodantes des banques centrales et à la surchauffe potentielle de l’économie mondiale. Le fait que les cours des actions avaient probablement progressé beaucoup trop rapidement en janvier n’a pas aidé non plus.

«La volatilité est devenue un élément
du processus de construction de portefeuille.»

Mais, même si cette explication est plausible, elle est cependant difficilement convaincante. Selon nous, d’autres facteurs ont joué un rôle – très probablement des ventes systématiques réalisées par des stratégies qui sont tenues de réduire leur niveau de risque en périodes de volatilité. A la suite des turbulences, les pertes ont été imputées à des stratégies de portefeuille spécifiques telles que celles «vendeuses de volatilité» ou à «parité des risques», mais nous pensons que cette attribution est trop limitée. Au cours des années qui ont suivi la grande crise financière, le pire environnement pour les actifs risqués depuis plus d’une génération, il n’est guère surprenant que les investisseurs se soient mis à réclamer à cor et à cri des stratégies au risque baissier limité. En réponse à cette demande, la «gestion de la volatilité» sous une forme ou une autre a gagné presque tous les recoins du paysage boursier. En effet, nous estimons que les stratégies qui ajustent de façon dynamique leur exposition au marché pourraient détenir jusqu’à 1000 - 2000 milliards de dollars d’actifs sous gestion (avant prise en compte de l’effet de levier). Plutôt que d’être considérée comme un résultat (la conséquence de la quête de rendement), la volatilité est devenue un élément du processus de construction de portefeuille. Ce faisant, la volatilité se répercute progressivement sur les marchés en imposant une réduction des niveaux de risque (via des ventes), ce qui crée davantage de volatilité et impose généralement davantage de ventes, et ainsi de suite. Le processus peut aussi fonctionner en sens inverse: les marchés finissent par retrouver leur calme, la volatilité diminue, les stratégies augmentent leur niveau de risque et les achats font rebondir les cours (encore plus) rapidement.

Il est à noter que c’est là un changement structurel: de plus en plus, les actifs sont achetés et vendus en fonction de la volatilité et de l’orientation des marchés, d’où une diminution relative des actifs achetés et vendus sur la base des fondamentaux. Bien que cela puisse sembler archaïque, au moins «acheter bas et vendre haut» a eu pour effet d’apaiser le marché en achetant durant la baisse des cours et en vendant durant la hausse des cours. Peut-être avons-nous enterré prématurément la théorie de la volatilité structurelle.

Un dernier mot sur les stratégies qui visent à réduire/accroître leur niveau de risque: en dépit de leur contribution potentielle à la volatilité des marchés, elles peuvent être extrêmement utiles afin d’atténuer les soubresauts pour les investisseurs. Ce peut être là un objectif louable pour ceux qui ont une tolérance au risque plus modeste dans leur quête d’appréciation du capital sur le long terme. Sur des marchés que nous nous attendons à voir devenir plus volatils, nous approuvons leur utilisation. Mais, ironiquement, l’essor de ces stratégies représente une «tragédie des biens communs» des temps modernes: en cherchant à mieux contrôler leur volatilité individuellement, ces stratégies pourraient en fait créer plus de volatilité collectivement.

Vers la fin d’une période

La correction des marchés intervenue au début du mois de février n’a guère modifié nos perspectives de performance des classes d’actifs. Les actions internationales sont susceptibles de continuer à s’apprécier grâce à la solidité de l’économie mondiale et aux prévisions de bénéfices, mais l’expansion des ratios cours/bénéfice devrait être limitée. De même, toutes les différentes obligations d’entreprises (les obligations investment grade, les obligations high yield, les prêts senior, les obligations convertibles) sont attractives, tandis que les fondamentaux de crédit demeurent solides – en dépit de spreads relativement peu élevés. Pour être parfaitement honnêtes, notre modeste préférence pour les actifs risqués demeure entièrement subordonnée à la poursuite de la croissance mondiale.

«Le temps de la volatilité ultra-faible
pourrait bien être révolu.»

A l’inverse, nos perspectives en matière de volatilité ont quant à elle sensiblement changé. L’amélioration de la croissance mondiale et la générosité des banques centrales ont eu pour effet d’anesthésier les marchés au cours des dernières années, et ce, en poussant les performances à la hausse et la volatilité à la baisse. Selon nous, cette période exceptionnelle touche à sa fin.

Premièrement, nous sommes convaincus que les anticipations des investisseurs ont évolué et qu’elles ont un impact direct sur les marchés. Ils s’attendent désormais notamment à une accélération de l’inflation (bien que modeste), à une hausse des rendements vers des niveaux plus compétitifs et à des mesures de la part des banques centrales susceptibles d’être moins accommodantes. En d’autres termes, il semble que les marchés «marchent sur une corde raide», les rendant ainsi plus exposés à des épisodes de volatilité.

Deuxièmement, nous en revenons à notre théorie erronée, mais néanmoins utile, de la volatilité structurelle. Une fois que l’ère des taux bas et du soutien des banques centrales aura pris fin, les marchés subiront probablement des fluctuations plus importantes et plus imprévisibles à mesure que les stratégies à volatilité contrôlée réduiront et accroîtront leur niveau de risque. Le temps de la volatilité ultra-faible pourrait bien être révolu.