De l’intérêt d’une gouvernance décentralisée

Albert Dessaint, Blockchain Partner Suisse

2 minutes de lecture

Chronique blockchain. Le choix de la décentralisation est, bien souvent, un enjeu  juridique plutôt qu’idéologique.

Dans une chronique précédente intitulée La décennie de la finance décentralisée, je mettais en lumière l’avantage compétitif décisif qu’apportait la décentralisation dans un environnement fortement réglementé.

Cette chronique prenait l’exemple d’un service financier qui, ne disposant d’aucun moyen d’accès aux cryptomonnaies de ses utilisateurs, n’avait pas à se conformer aux différentes réglementations contraignantes auxquelles doivent se plier traditionnellement les prestataires de services d’investissement.

Ce service financier est donc depuis son lancement une plateforme mondiale accessible à tous selon les principes mêmes de la finance décentralisée - un système financier alternatif qui fonctionne sur la blockchain et utilise les cryptomonnaies.

Il est bon de rappeler qu’il existe
plusieurs degrés de décentralisation.

Cependant, il est bon de rappeler qu’il existe plusieurs degrés de décentralisation. Dans l’exemple précédent, seule la gestion des fonds est confiée aux utilisateurs, laissant à l’équipe fondatrice le soin de la gestion du service en lui-même (vision stratégique, ajout de nouvelles fonctionnalités, etc.).

Depuis quelques mois, un nombre croissant de services de la finance décentralisée suivent ce choix de la décentralisation de leur gouvernance pour une raison, comme nous allons le voir par la suite, plus juridique qu’idéologique.

Revenons ici sur un événement survenu il y a quelques semaines. Mi-mars, le krach des marchés financiers a mis sous pression la finance décentralisée avec notamment une conséquence: rendre insolvable Maker – un service financier qui permet d’emprunter des dollars de manière décentralisée – et faire perdre plusieurs millions de francs suisses aux utilisateurs qui avaient déposé des cryptomonnaies dans ce service.

L’équipe fondatrice ne dispose d’aucun moyen d’accès aux cryptomonnaies de ses utilisateurs; la perte financière des utilisateurs n’est donc pas la résultante d’une erreur ou d’une fraude de leur part mais plutôt de la congestion du réseau Ethereum ce jour-là, qui voyait un nombre inhabituel de transactions, lié au krach des marchés. Cette congestion, qui a dégradé la qualité de plusieurs services de finance décentralisée, constitue donc un facteur totalement hors du ressort de l’équipe fondatrice.

L’histoire aurait pu s’arrêter là si certains utilisateurs, se sentant lésés, n’avait pas porté plainte contre deux fondations et une entreprise affiliées à Maker. Les plaignants reprochent les négligences de l’équipe fondatrice et la minimisation, voire la non-divulgation volontaire, des risques auxquels s’exposent les utilisateurs du service financier.

Laisser la gestion du service aux utilisateurs entraîne
une baisse de flexibilité dans la prise de décision.

Par conséquent, les plaignants réclament plusieurs dizaines de millions de francs suisse de dommages et intérêts. Même si nous ne pouvons connaître le verdict qui sera rendu, la seule possibilité que l’on puisse attaquer en justice un service financier dit “décentralisé” nous montre à quel point la question de la gouvernance est un sujet clef.

Et c’est pourtant un sujet que l’équipe fondatrice avait bien en tête, proposant même une feuille de route du transfert progressif de la gouvernance à la communauté.  Après l’événement de la mi-mars, l’équipe fondatrice s’est trouvée forcée de finaliser ce transfert en urgence, en particulier pour mieux se protéger à l’avenir de potentielles attaques en justice.

Bien que laisser la gestion du service aux utilisateurs présente des intérêts indéniables (plus grande résilience du service, répartition de la responsabilité), ce choix entraîne simultanément une baisse de flexibilité dans la prise de décision: nous passons d’une startup avec une dizaine de voix à une communauté avec des centaines voire des milliers de voix. Il s’agit donc de bien penser son modèle de gouvernance en amont pour que cette décentralisation soit une force et non une faiblesse.  

La décentralisation de la gouvernance sera bientôt vue comme une nécessité, une évidence et ce bien au-delà de la finance décentralisée. Comme pour la RGPD, ce seront des questionnements que nous serons tous obligés d’intégrer dès la phase de conceptualisation de chaque service ou application, permettant ainsi de donner à la communauté le contrôle du projet et la responsabilité qui en découle.

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