La «Killer App» de la finance décentralisée?

Albert Dessaint, Blockchain Partner Suisse

2 minutes de lecture

Chronique blockchain. Des traders ont exploité le système financier à leur avantage pour gagner des centaines de milliers de francs.

La finance décentralisée, dite DeFi (pour Decentralized Finance) est une alternative au système bancaire et financier traditionnel. Ce système, fonctionnant sur la blockchain et faisant usage des cryptomonnaies, a franchi un cap symbolique ce mois-ci: la valeur des crypto-monnaies engagées dans ses différents services a dépassé le milliard de francs.

Pour atteindre ce cap symbolique, la finance décentralisée a bénéficié majoritairement des développements significatifs et de la croissance rapide des services de prêt en crypto-monnaies.

En effet, ces services, qui rendent désormais possible le prêt et l’emprunt d’argent sans passer par le système bancaire et financier traditionnel, ont vu leur usage exploser par l’ajout d’un simple mécanisme: un algorithme faisant fluctuer les taux d’intérêt de prêt et d’emprunt en temps réel,en fonction des conditions du marché.

Ce faisant, ce mécanisme automatise la rencontre de l’offre et de la demande et rend ainsi obsolète l’usage d’un carnet d’ordres, point de friction à ne pas négliger dans un environnement encore peu liquide.

Les emprunts instantanés ont cela d’innovant que quiconque ayant
une idée lucrative mais gourmande en capitaux peut en faire la demande.

Seule ombre au tableau, et pas des moindres, ces services sont aujourd’hui gourmands en capitaux : un emprunteur doit mettre en garantie plus que ce qu’il emprunte, afin d’éviter le risque de contrepartie. Cette garantie est généralement supérieure à 1,5x le montant emprunté.

Mais c’était sans compter sur l’inventivité de l’écosystème blockchain… Certains services offrent désormais la possibilité d’effectuer ce qu’on appelle un flash loan - un emprunt instantané qui ne demande aucune garantie et qui est sans risque de contrepartie!

Cette prouesse est rendu possible par la manière de structurer cet emprunt: celui qui emprunte doit contracter, utiliser et rembourser l’argent dans une seule et même transaction sur la blockchain. Par cette structure, le risque de contrepartie est nul car l’argent ne sera prêté que dans le cas où les trois actions sont exécutées de façon certaine.

Les emprunts instantanés ont cela d’innovant que quiconque ayant une idée lucrative mais gourmande en capitaux peut en faire la demande et ne se le voir accorder que si l’idée lucrative se réalise - si tant est que cela ne requiert pas de passer par plusieurs transactions. Dans ce périmètre restreint, ce sont les traders de la finance décentralisée, les premiers, qui en ont saisi le formidable intérêt pour des opérations d’arbitrage à grande échelle entre différents services de l’écosystème.

Depuis l’arrivée des emprunts instantanés, deux opérations d’arbitrage ont fait couler beaucoup d’encre puisque les traders ont tiré parti de cette nouvelle forme d’emprunt pour subtiliser des fonds au service de prêt bZx - respectivement 344'000 francs suisses et 624'000 francs suisses. Armé des capitaux empruntés, les traders ont pu manipuler le cours de crypto-monnaies peu liquides sur différentes plateformes d’échange décentralisées et flouer le service bZx sur la valeur de ces crypto-monnaies sans que ne s’enclenchent de garde-fous. A la suite de ces opérations, les administrateurs du service bZx ont gelé leurs activités pour identifier et tenter de colmater les faiblesses du service.

La finance décentralisée est aujourd’hui un univers que les acteurs bancaires,
financiers et technologiques ne peuvent laisser de côté.

A noter que ces opérations ne sont pas des attaques directes sur le service bZx: aucun bug ou faille n’a été reporté, et le succès de ces opérations résultent plutôt de la forte interopérabilité entre les différents services, ce qui est à la fois la force et la faiblesse de la finance décentralisée.

De ce genre d’exploit, nous pouvons retenir deux leçons:

  1. Du fait de la forte interopérabilité de l’écosystème, de nouveaux produits financiers peuvent impacter de façon critique l’existant. Paradoxalement, l’ampleur de la surface d’exposition devrait permettre à la finance décentralisée de gagner en résilience rapidement, les différents services devant se mettre à jour par rapport aux derniers standards de l’industrie ou être laissé sur la touche, même s’il faut s’attendre à quelques pots cassés.
  2. Les services de la finance décentralisée ne sont pas, comme on pourrait le croire, entièrement décentralisés comme le montrent les actions entreprises par les administrateurs derrière bZx. Avant toute utilisation d’un service, il est donc fortement recommandé de l’auditer pour évaluer le pouvoir des administrateurs et les risques associés.

Au vu de sa montée en puissance, la finance décentralisée est aujourd’hui un univers que les acteurs bancaires, financiers et technologiques ne peuvent laisser de côté dans leur veille et leur exploration. Cette vague d’innovations est d’autant plus importante à suivre qu’elle pourrait s’accélérer encore avec les initiatives de «stablecoins» publics ou privés (crypto-euro, crypto-dollar, Libra…), en cours d’exploration et de développement. Cependant, les acteurs historiques ou émergents doivent en parallèle se sensibiliser aux nouveaux risques qui vont de pair avec ces nouveaux marchés.

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