De l’eau dans le gaz à la BCE?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Christine Lagarde a maintenu le consensus dans les rangs de la BCE, mais pour combien de temps?


En faire trop ou pas assez? La question a ressurgi à la veille de la réunion du Comité des Gouverneurs de la BCE. S’est-elle éteinte à l’issue de la conférence de presse de sa Présidente? L’exercice, toujours aussi bien maîtrisé, a permis de répondre à l’inquiétude des marchés, sans toutefois éteindre d’insistantes polémiques, à l’intérieur comme en dehors de l’Institution.

Consciente du décalage qui s’accroît entre la reprise de l’activité aux Etats-Unis et la persistance des contraintes imposées par la pandémie en Europe, la BCE considère que la remontée des prix ne pourrait justifier un quelconque et prématuré tour de vis monétaire, bien au contraire. L’élargissement des spreads entre les taux américains et européens en témoigne. Il ne serait pas possible de «plaquer» la reprise américaine sur l’Europe. Et pourtant…

Derrière cette querelle, se pose à nouveau la question
de l’élargissement des missions des Banques Centrales.

Avec la hausse des prix, les «faucons» et les «colombes» de la Banque Centrale Européenne ont à nouveau battu des ailes. Au point d’aboutir au savant compromis énoncé par sa Présidente: oui on accélèrera le rythme des achats d’actifs dans les semaines qui viennent; mais le montant total du programme (1800 milliards d’euros d’ici 2022) ne sera pas accru pour autant. Du côté des «faucons», la remontée des taux, loin d’être une mauvaise nouvelle, doit accompagner la reprise et maintenir l’inflation sous contrôle. Pour ceux-là, il serait grand temps de sortir des taux négatifs. Pour les «colombes», la BCE doit maintenir intact son soutien et même se tenir prête à l’intensifier, afin de limiter la remontée des coûts de la dette publique qui ne pourrait que tuer la reprise dans l’œuf. Le programme d’achat d’urgence pandémie (PEPP), mis en œuvre dès le début des confinements, a fait merveille pour maintenir les rendements des dettes publiques des Etats-membres au plus bas. Mais cela ne va pas sans contestations et de nouvelles plaintes devant la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Bien que sa capacité à statuer en matière soit elle-même l’objet de controverses, face au rôle dévolu à la Cour Européenne de Justice, sa jurisprudence ne passe pas inaperçue. Or, si Karlsruhe s’était finalement rangée aux précédents programmes de la BCE, leur cadre – clés de répartitions, type de d’actifs – a été largement éclaté depuis, donnant de nouveaux arguments à ses détracteurs, qui vilipendent une Banque Centrale outrepassant son mandat et ruinant les épargnants.

Car derrière cette querelle, se pose à nouveau la question – et donc la légitimité – de l’élargissement des missions des Banques Centrales, qui remonte à l’avant-Covid, même si la crise n’a fait que l’accentuer.

Evoluer avec son temps ne devrait pas être
l’alibi à de néfastes retours en arrière.

Ainsi comment ne pas relever l’interdépendance, sinon la collusion croissante avec des gouvernements, pressés par la Banque Centrale elle-même de lancer des programmes de dépenses, et de s’affranchir de leur discipline budgétaire? Dès l’été dernier, la Réserve Fédérale, en assouplissant son objectif d’inflation, a clairement infléchi son propos et son action avec pour priorité l’emploi. La BCE lui a implicitement emboîté le pas, tandis que la Banque du Japon a depuis longtemps ouvert la voie du «contrôle de la courbe»). Mais là ne s’arrêtent pas ces altérations: l’intention d’acquérir des obligations «vertes» et par ce biais de prendre une part active à la lutte contre le changement climatique, risque-t-elle d’encourager des dérives dépensières inefficaces? Enfin, comment concilier le rôle de superviseur du système financier, tout en l’inondant de cash1? Qui trop embrasse mal étreint rappelleront les plus inquiets.

L’extension progressive de l’empreinte de la BCE comme de ses consœurs américaine et japonaise, nous l’avons dit, la rend prisonnière de ses propres actions. Institution non élue, finira-t-elle par servir de paravent, sinon de paratonnerre à l’Etat? En 2012, sa contribution à la défense de l’unité monétaire de la zone euro était incontestable ce que je trouve personnellement louable, d’autant qu’elle mettait en pratique l’accord conclu entre les Etats-membres de la zone euro. La contrepartie de cette action se lit dans la distance croissante qui s’installe entre les tenants d’un retour aux strictes limites de sa fonction, garante de la discipline des politiques publiques, et les supporters d’un activisme économique toujours plus affirmé.

La baisse des taux et l’accès à des conditions financières accommodantes, pour autant qu’ils durent, aiguisent désormais les ambitions et les appétits de ceux qui veulent faire de cette institution l’arbitre en premier ressort du cycle économique, et le pourvoyeur permanent de son carburant. C’est de son indépendance qu’est née sa crédibilité. Evoluer avec son temps ne devrait pas être l’alibi à de néfastes retours en arrière.

 

1 Voir les précédents articles «La Banque Centrale piégée», «Inondés de cash»

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