Désynchronisation des économies

Salima Barragan

3 minutes de lecture

SYZ Asset Management réduit ses anticipations de croissance sur l’Europe et le Japon. Explications de Fabrizio Quirighetti et d'Adrien Pichoud.

 

Lors de la présentation de ses perspectives macro-économiques semestrielles, SYZ Asset Management,  dont l’équipe de 9 personnes surveille les 25 économies les plus importantes du globe, constate un ralentissement de l’expansion du cycle économique mondial. L’ère des Goldilocks – qui se traduit par une inflation et une croissance ni trop fortes, ni trop  faibles – semble toucher à sa fin et, comme corolaire, le momentum du marché actions s’essouffle. «Des éléments préoccupants viennent troubler l’ordre mondial qui dure depuis 20 ans. Néanmoins, nous restons positifs sur le marché actions même si la majeure partie de l’upside a été réalisée», estime Fabrizio Quirighetti, CIO de SYZ Asset Management. Il n’entrevoit pas de risque de récession majeure dans les principales économies mais la baisse du commerce mondial et la divergence des politique monétaires ne sont pas sans effets sur la stratégie d’allocation d’actifs du Groupe.

«Nous avons revu notre scénario de croissance mondiale
et réduit nos anticipations sur ces deux régions.»
Des attentes initiales trop élevées

SYZ Asset management se positionnait en début d’année favorablement sur l’Europe et le Japon. «Nous avons revu notre scénario de croissance mondiale et réduit nos anticipations sur ces deux régions», explique Adrien Pichoud, Chief Economist de SYZ Asset Management. La perte de vitesse sur la zone euro a été plus prononcée que prévue. «Nous ne pensons pas être au début d’une spirale négative mais la dynamique de ralentissement de la zone euro ne s’atténue pas pour le moment», rajoute-il. Mis à part des facteurs techniques typiques d’un marché qui se stabilise après une forte hausse, l’impact de l’appréciation de l’euro sur les économies européennes exportatrices – ressenti généralement après 3 à 6 mois – couplée à la concrétisation des menaces tarifaires expliquent une performance en-dessous des attentes du consensus.

«Si la baisse du taux de chômage soutient la confiance des ménages et la consommation , le ralentissement de la croissance est principalement dû à une décélération des dépenses en investissement dans le cœur de la zone euro», analyse Adrien Pichoud. La  situation des économies du sud de l’Europe est toutefois d différente de celle de 2011, hormis pour l’Italie, dont l’incertitude politique et les fragilités économiques ont provoqué dernièrement un écartement des spreads gouvernementaux. Pour l’économiste, le risque de contagion en zone euro est aujourd’hui limité car les fondamentaux de l’Espagne, du Portugal et de l’Irlande sont aujourd’hui bien meilleurs et l’arsenal de gestion de crise européen a été renforcé notamment avec  la création de l’ESM (Mécanisme de stabilité européen).

Le potentiel des pays émergents a été entravé
par la hausse du taux d’intérêt américain.

Par ailleurs, la dynamique de croissance des pays émergents n’a pas non plus été à la hauteur des attentes. Le potentiel des pays émergents a été entravé par la hausse du taux d’intérêt américain couplé à un dollar qui se montre plus vigoureux depuis le début d’année. Ces facteurs ont apporté des pressions supplémentaires sur des pays dont les comptes courants présentent d’importants déficits extérieurs «Même si, depuis l’époque du Taper tantrum de 2013, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, ont pu réduire leur sensibilité au coût du financement en dollar, ils restent vulnérables, en particulier dans un contexte de hausse des prix du pétrole. Quant à la Turquie, elle est de nouveau affectée par ce cocktail défavorable, auquel se rajoutent les incertitudes politiques. Sur le bloc émergent, SYZ  Asset Management est donc prudent sur les marchés actions de l’Inde  l’Afrique du Sud et le Mexique.

Les limites de la divergence des politiques monétaires

Alors que la Fed a déjà initié son processus de normalisation monétaire, les autres banques centrales des pays développés peinent à suivre le pas en l’absence de pressions inflationnistes significatives. La BCE, prudente, ne passera pas à l’action avant 2019. Quant à la BNS, attentiste,  elle restera dans le sillage de la BCE. La BoE pourrait emboîter le pas timidement avec une première hausse des taux en août. Selon Fabrizio Quiriguetti, elle devrait remonter ses taux 1 ou 2 fois cette année, au moins pour défendre sa crédibilité.

Mais la force de l’économie américaine, bien que positive pour la croissance mondiale, n’a pas que des effets positifs dans la mesure où elle pourrait inciter la Fed à accélérer sa normalisation monétaire accentuant le phénomène de divergence de politique monétaire entre la Fed et les autres banques centrales. «Une telle divergence remonte au tournant des années 80 et 90 et n’avait pas été sans conséquence sur les marchés», rappelle Adrian Pichoud. Pour cette raison, son équipe surveille le niveau d’inflation car,  tant qu’elle reste sous contrôle, la divergence devrait être contenue. Quelles sont ses limites? «Tant que la BCE et la BNS ne remontent pas leur taux court, cette divergence peut s’accroitre jusqu’au point où le taux réel US commencera à impacter négativement la croissance, sans doute 3,0% à 3,5% pour le taux de la Fed»,  explique Adrian Pichoud.

Les banques centrales devraient changer de cap violemment
et ramener rapidement le taux réel au-dessus du taux d’équilibre.
Implication pour l’allocation des actifs

Historiquement, la corrélation entre le taux américain à 10 ans et la performance du S&P 500 était négative (soit une corrélation positive entre obligations et actions). Fabrizio Quiriguetti, souligne que depuis 2000, cette tendance s’est soudainement et durablement inversée. «Ce changement est dû à une baisse du taux réel en territoire négatif, notamment sur les liquidités (taux directeur - inflation), qui nous a plongé quasiment sans interruption depuis l’éclatement de la bulle TMT dans un scénario de répression financière». Il estime que le taux réel d’équilibre se situe entre 0% et 1%. Selon lui, le pire scénario serait une envolée de l’inflation.

Dans ce cas, les banques centrales devraient changer de cap violemment et ramener rapidement le taux réel au-dessus du taux d’équilibre: la corrélation entre prix des obligation et actions redeviendrait positive dans un mouvement généralisé de baisse de l’ensemble des actifs. «Nous gardons un œil dessus mais il est trop tôt et difficile de se protéger efficacement et à moindre coûts d’opportunité pour une telle éventualité» estime-il. En ce qui concerne la corrélation qui découle d’une diversification multi- actifs, il a calculé que celle-ci est justement redescendue à des niveaux bas après les pics observés en février , ce qui est favorable pour la construction des portefeuilles.

Dans son scénario de base, SYZ Asset Management, ne s’attend ni à une hausse considérable des taux d’intérêt, ni à une inflation galopante. Ce qui est propice pour les actions même si les valorisations sont jugées un peu chères mais justifiées par l’environnement actuel. «Par contre, si les taux remontent avec démesure, les P/E autour de 18x les bénéfices, pour l’instant soutenables, ne pourront plus se justifier dans le future et devront donc baisser», explique Fabrizio Quiriguetti. Sa préférence se porte sur les États-Unis dont les entreprises ont profité de la politique fiscale expansionniste. L’EV/EBIDTA du S&P 500 reste néanmoins élevé, mais il est confiant sur la capacité des entreprises américaines à maintenir une croissance des bénéfices à deux chiffres.