Comment retrouver la croissance dans un monde fracturé

Mohamed A. El-Erian, Allianz

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La Chine pourrait illustrer la mauvaise gestion de la transformation de la mondialisation d'une opportunité à saisir en obstacle à surmonter.

Depuis des décennies, la Chine est l'exemple type de l'utilisation efficace de la mondialisation au service de la croissance et du développement économique d'un pays. Aujourd'hui cependant, elle pourrait illustrer la mauvaise gestion de la transformation de la mondialisation d'une opportunité à saisir en obstacle à surmonter.

Bien que l'évolution récente de l'économie chinoise ait ses caractéristiques propres, elle illustre les défis de croissance auxquels sont confrontés nombre de pays développés et en développement. Elle montre aussi que si la croissance économique n'est pas tout, elle reste souvent indispensable.

Cette année devait marquer un redémarrage marqué de l'économie chinoise. Or depuis peu beaucoup d'analystes revoient leurs projections quant à la croissance chinoise, et beaucoup d'autres vont sans doute faire de même. Ce pessimisme à la hausse repose sur 3 facteurs principaux:

  • Les derniers chiffres sur le commerce international montrent que l'évolution de l'économie mondiale ne favorise plus la croissance intérieure chinoise. En juin, les exportations chinoises ont chuté de 12,4%, et les importations de 6,8% - des chiffres bien plus mauvais que ce qui avait été prévu, à savoir un recul de 10% pour les exportations, et de 4,1% pour les importations. Ce recul est dû à un fléchissement de la croissance de la demande extérieure et aux restrictions appliquées aux échanges avec la Chine - notamment par les USA. Cela a généré un cercle vicieux qui assombrit encore les perspectives de croissance de l'Empire du Milieu.
  • Le gouvernement chinois semble tiraillé entre deux stratégies pour stimuler l'économie, ce qui se traduit par des indécisions. Il semble disposé à revenir aux mesures de relance basées sur la théorie du ruissellement. Il a déjà eu recours à ces mesures dans le passé, mais leur mise en œuvre avait été limitée par crainte d'exacerber les inefficacités et d'entraver le désendettement généralement bien ordonné en cours dans certains secteurs. Quant à l'alternative souhaitable consistant à partir de la base pour libérer le dynamisme économique, elle est limitée par des considérations de politique intérieure, ce qui laisse le gouvernement indécis. Par ailleurs, des facteurs structurels (notamment le vieillissement de la population, le taux de chômage élevé des jeunes et la persistance de poches de surendettement) aggravent les défis de politique intérieure.
  • La suppression des restrictions sévères de longue date accompagnant la politique de Zéro covid n'a pas généré l'augmentation attendue de la demande des ménages, des entreprises et de l'immobilier. En fait, le processus a été inégal et plus faible que prévu. Le PIB a fait un bond de 6,3% au deuxième trimestre, mais le taux de croissance n'a pas atteint les 7,1% attendus par les analystes.
Nous avons maintenant l'occasion d'utiliser les leçons du passé et du présent pour tracer un chemin d'avenir plus prometteur.

La croissance en Europe et aux USA devrait rester faible dans un avenir prévisible, tandis que l'économie mondiale est encore sous le choc de la vague d'une hausse record des taux d'intérêt de la part des banques centrales des pays avancés. Aussi la Chine ne peut-elle pas compter sur la mondialisation pour sauver son modèle de croissance aujourd'hui dépassé. Les entreprises cherchant à diversifier leurs chaînes d'approvisionnement, les flux d'investissements directs étrangers en direction de la Chine sont limités. Et en réaction aux préoccupations de sécurité nationale des USA, les restrictions imposées aux échanges commerciaux et à l'investissement pour raison géopolitique pourraient s'étendre.

Plutôt que de chercher le salut dans la demande extérieure, la Chine doit se concentrer sur ses propres sources de croissance forte et durable. Dans ce domaine, l'application des décisions politiques a pris du retard et ne correspond pas au discours des dirigeants politiques. De même, la politique industrielle du pays n'a pas encore trouvé le bon équilibre entre directives au niveau macroéconomique et octroi d'une autonomie opérationnelle suffisante au niveau microéconomique.

Pour éviter le piège du revenu moyen dans lequel beaucoup de pays émergents sont tombés, la Chine doit éviter l'incohérence politique. Ceci dit, à quelques exceptions près, il est difficile de citer un pays de taille importante qui a échappé à ce piège au cours des dernières décennies.

La Chine constitue un exemple particulier de stratégie de croissance «au milieu du guêpier», mais elle n'est pas le seul pays à risquer de tomber dans le piège de croissance. Les pays développés comme les pays en développement sont confrontés au même risque de stagnation économique, ou pire, de régression.

A l'exception des USA, peu de pays d'importance systémique ont reconnu la nécessité d'une relance globale de la croissance. Et même aux USA qui ont adopté récemment des mesures en faveur d'une croissance forte et durable, le processus est toujours susceptible d'être perturbé par une nouvelle erreur politique de la Réserve fédérale.

Au cours des 2 dernières années, Gordon Brown, Michael Spence, Reid Lidow et moi avons discuté des stratégies visant à une croissance inclusive et durable nécessaire pour répondre aux besoins et aux aspirations des citoyens. Nos conclusions figurent dans notre livre, Permacrisis: A Plan to Fix a Fractured World, qui va paraître en septembre.

En résumé, nous avons identifié un ensemble de mesures visant 3 points clés: la révision des modèles de croissance figés de moins en moins adaptés, l'amélioration de la gestion de l'économie sur le plan intérieur et l'intensification de la coordination des actions au niveau international. Nous sommes persuadés qu'un ensemble de mesures précises peut inverser une évolution séculaire inquiétante (notamment la baisse de croissance et de productivité, la hausse des inégalités et la fragilité financière croissance).

Nos conclusions peuvent s'appliquer à la Chine et aux autres pays en développement. Mais elles s'appliquent aussi aux grands pays développés dont les difficultés intérieures et le faible niveau d'engagement international fragilise l'économie, et nuit au bien-être de leurs citoyens ainsi qu'à la stabilité du système international. Malgré les erreurs politiques qui font que le monde se trouve aujourd'hui en situation périlleuse, nous avons maintenant l'occasion d'utiliser les leçons du passé et du présent pour tracer un chemin d'avenir plus prometteur pour les prochaines générations.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

 

Copyright: Project Syndicate, 2023.
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