BYD, le géant des voitures électriques

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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Le constructeur chinois a détrôné pour la première fois Tesla en 2024 pour devenir le premier fabricant de voitures électriques au monde. Il vient conquérir l’Europe et la Suisse.

Tandis que Tesla a vu ses bénéfices chuter de 71% en un an, BYD évolue à contre-courant. Le géant chinois de l’électromobilité a enregistré une spectaculaire hausse de 126% de son bénéfice net, atteignant 9,15 milliards de yuans, soit environ 1,26 milliard de dollars.

Portée par une demande intérieure soutenue et une expansion mondiale rapide, l’entreprise prospère là où nombre de ses concurrents réduisent leurs ambitions. Son atout? Un mélange d’intégration verticale, de prix compétitifs et d’expansion agressive. Alors que Tesla et les constructeurs traditionnels font face à des tensions géopolitiques et à la pression des coûts, la dynamique de BYD impressionne.

Production annuelle de véhicules électriques Tesla (en rouge) versus BYD (en noir)


 


Le constructeur automobile chinois fait officiellement son entrée sur le marché suisse avec un premier espace d’exposition à Zurich. D'ici la fin de l'année, quinze points de vente devraient ouvrir dans tout le pays.

 


BYD: Une «success story» à la chinoise

Acronyme de Build Your Dreams, BYD est aujourd’hui le troisième constructeur automobile mondial en volume et le numéro un du véhicule électrique. L’entreprise a vu le jour en 1995 dans la mégapole chinoise de Shenzhen, en tant que petit fabricant de batteries rechargeables. Ce n’est qu’en 2003 que BYD fait son entrée dans l’automobile en rachetant Qinchuan Auto, un constructeur en difficulté. L’entreprise lance peu après la F3, un modèle à succès qui marque son entrée sur le marché chinois. En 2008, BYD prend un virage stratégique en lançant la F3DM, l’un des premiers hybrides rechargeables produits en série, et élargit progressivement ses activités à d’autres technologies vertes comme l’énergie solaire et le stockage d’énergie. La même année, Berkshire Hathaway investit 232 millions de dollars pour acquérir 10% du capital, signe d'une confiance naissante dans sa vision.

Entre 2013 et 2024, BYD affiche une croissance impressionnante: son chiffre d’affaires progresse en moyenne de 29% par an, tandis que son bénéfice net grimpe de 49% par an. L’entreprise se divise en deux segments: les produits automobiles (véhicules électriques, batteries, solutions énergétiques) et les composants pour téléphones mobiles. Mais ce sont bien les véhicules électriques qui propulsent sa croissance, représentant environ 80% de son chiffre d’affaires.

Le chiffre d’affaire de BYD (en noir) a dépassé celui de Tesla (en jaune)


Source: Bloomberg

 

Là où Tesla mise sur quelques modèles premium, BYD adopte une stratégie de marché de masse, avec une offre couvrante presque tous les segments du véhicule électrique:


 

 

  • Entrée de gamme
    Des modèles compacts et abordables tels que la Dolphin, la Destroyer 05 ou la Seal 07, issus de la Ocean Series, séduisent un public jeune et urbain à la recherche d’un véhicule pratique, et connecté. Les prix varient entre 116’800 et 289’800 RMB (environ 16’300 à 40’600 dollars), concurrençant des modèles comme la Tesla Model Y, la Ora Good Cat ou la MG 4 EV.
  • Milieu de gamme, véhicules familiaux et professionnels
    Des modèles comme la Han, la Tang, la Song, la Qin, la Yuan ou la Frigate 07, issus des séries Dynasty et Ocean, sont disponibles en versions 100% électriques (BEV) ou hybrides rechargeables (PHEV) équipées du système DM-i, qui combine moteur thermique et électrique pour plus d’autonomie. Les prix varient entre 76’800 et 350’000 RMB (soit 10’750 à 49’000 dollars), en concurrence avec la Tesla Model 3, la NIO ET5 ou les hybrides Toyota.
  • Modèles haut de gamme 
    La gamme Denza, née d’un partenariat avec Mercedes-Benz, est aujourd’hui entièrement contrôlée par BYD. Elle comprend des modèles comme la Denza D9 DM-i, la Denza N7 et bientôt la Denza N8, ciblant les cadres, les familles nombreuses ou encore le transport premium avec chauffeur. Ces modèles misent sur la technologie, le confort intérieur et des performances hybrides de haut niveau. Les prix varient entre 280’000 et 450’000 RMB (environ 39’200 à 63’000 dollars), en concurrence avec le Buick GL8, le Voyah Dream EV et le Roewe iMAX 8.
  • SUV lifestyle et tout-terrain
    Avec la série Fang Cheng Bao, BYD s’adresse aux passionnés d’aventure. Ces SUV robustes, au design affirmé, affichent des prix allant de 280’000 à 350’000 RMB (soit 39’200 à 49’000 dollars), et rivalisent avec des modèles emblématiques comme le Mercedes G-Class ou le Land Rover Defender.
  • Véhicules de luxe 
    Tout en haut de la gamme se trouve la série Yangwang, dédiée aux véhicules électriques ultra-luxueux. Le Yangwang U8, un SUV hybride rechargeable tout-terrain, et le U9, une supercar 100% électrique, illustrent les ambitions technologiques et esthétiques les plus élevées de BYD. Dotés d’innovations avancées, dont des systèmes autonomes sophistiqués, ces modèles démarrent au-delà de 800’000 RMB (environ 112’000 dollars) et visent une clientèle fortunée, directement en concurrence avec Mercedes-Benz, Porsche et d’autres marques de supercars électriques. BYD vient d’ailleurs d’annoncer la Denza Z, un nouveau coupé sportif bleu nuit, qui marque son entrée dans le segment des voitures de sport de luxe.

BYD vs. Tesla: davantage de modèles à des prix plus compétitifs


Source: Bloomberg

 


Positionnement concurrentiel

La stratégie de BYD repose sur trois piliers fondamentaux : le volume et l’accessibilité, l’intégration verticale, et l’expansion internationale.

  • Economies d’échelle

L’un des principaux moteurs de la croissance fulgurante de BYD est le soutien massif de l’Etat chinois. Selon l’Institut allemand Kiel, l’entreprise aurait reçu au moins 3,7 milliards de dollars de subventions entre 2020 et 2022. Ces aides auraient permis d’investir dans la R&D, d’augmenter ses capacités de production et de développer ses infrastructures pour véhicules électriques. Outre ces subventions directes, BYD aurait bénéficié de politiques industrielles favorables, de terrains à moindre coût, d’exonérations fiscales et d’incitations à l’achat pour les consommateurs.

Grâce à cet appui, la capacité de production de BYD a bondi de 259% entre 2021 et 2024. L’entreprise exploite aujourd’hui plusieurs gigafactories en Chine et se développe à l’international avec des usines en Thaïlande, au Brésil, en Hongrie et en Turquie.

Ce déploiement industriel lui permet de produire plusieurs millions de véhicules par an. En 2024, BYD a livré environ 4,25 millions de voitures, presque autant que Ford. Pour 2025, l’entreprise prévoit jusqu’à 5,5 millions de livraisons. BYD est devenue en 2023 le premier constructeur mondial de véhicules électriques en volume. Ces économies d’échelle lui permettent de réduire ses coûts unitaires, de proposer des prix attractifs tout en maintenant des marges saines, autour de 22%.

  • Intégration verticale

Contrairement à la majorité des constructeurs automobiles mondiaux, BYD produit en interne la grande majorité de ses composants. Cette stratégie d’intégration verticale lui offre un contrôle étendu sur toute la chaîne de valeur du véhicule électrique. En 2024, environ 75% des composants de ses véhicules sont fabriqués en interne: batteries, moteurs électriques, semi-conducteurs et électroniques de puissance.

En 2020, BYD a lancé sa propre batterie Blade et a opéré un virage stratégique en adoptant la technologie LFP (phosphate de fer lithium) au détriment des batteries NCM (nickel-cobalt-manganèse). Ce choix s’est révélé judicieux: alors que le reste du secteur subissait la flambée des prix du carbonate de lithium, essentiel aux batteries NCM, BYD profitait d’une solution plus stable, économique et sûre. Aujourd’hui, les batteries Blade de BYD sont aussi vendues à d’autres constructeurs.

Cette intégration permet de réduire les coûts, d’éviter les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et de stimuler l’innovation. Elle soutient également une double stratégie: sécuriser l’approvisionnement pour ses propres véhicules tout en développant un pôle batteries à destination d’autres marques.

  • Expansion internationale

Ecartée du marché américain en raison de droits de douane élevés, BYD a redirigé ses efforts vers d’autres marchés. Au premier trimestre 2025, ses ventes à l’international ont bondi de 111%, portées par une forte demande en Europe, en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Les exportations représentent désormais 21% de ses ventes totales, un chiffre appelé à croître.

Plutôt que de se limiter aux exportations depuis la Chine, BYD investit massivement dans des sites de production locaux (Thaïlande, Hongrie, Brésil), afin de réduire les coûts logistiques, bénéficier de réglementations favorables et renforcer sa présence locale. Elle adapte également ses modèles aux spécificités régionales et collabore souvent avec les autorités locales, notamment dans le transport public. Ses bus électriques circulent déjà en Colombie, en Egypte ou encore au Royaume-Uni.


Source: Counterpoint

 


Perspectives futures

Grâce à sa combinaison unique d’économies d’échelle, compétitivité prix et innovation technologique, BYD est idéalement positionné pour une croissance mondiale soutenue. Toutefois, son expansion n’est pas sans obstacles.

  • Opportunités

BYD poursuit son avancée technologique. L’entreprise vient de dévoiler une plateforme de recharge ultra-rapide capable d’ajouter 470 km d’autonomie en seulement 5 minutes. Son système d’assistance à la conduite «God’s Eye» est intégré jusqu’à ses modèles les plus accessibles, démocratisant les fonctionnalités de conduite intelligente. Au cœur de cette technologie : la batterie Blade, reconnue pour sa sécurité, sa durabilité et sa stabilité thermique.

L’objectif pour 2025 est ambitieux: vendre 5,5 millions de véhicules, dont 800’000 à l’étranger, soit presque le double des ventes internationales de l’année précédente. Pour y parvenir, BYD développe plusieurs usines à l’étranger. En Hongrie, une usine de 4 milliards d’euros à Szeged devrait produire jusqu’à 200’000 véhicules par an dès fin 2025. En Turquie, une nouvelle usine ouvrira à Izmir en 2026. Au Brésil, une usine à Camaçari produira dès 2025 des modèles comme la Dolphin Mini et la Song Pro.

En parallèle, BYD renforce son positionnement haut de gamme avec des modèles comme la Yangwang U8 ou la Denza Z, visant à rivaliser les marques européennes premium.

  • Défis

L’expansion internationale de BYD s’accompagne de défis croissants, notamment géopolitiques. En octobre 2024, l’Union européenne a imposé un droit de douane supplémentaire de 17% sur les véhicules électriques chinois, s’ajoutant au tarif de base de 10%, invoquant des subventions étatiques par le gouvernement chinois jugées déloyales. Si BYD est solidement implantée en Chine, elle peine encore à s’imposer en Europe et est absente des Etats-Unis, où les barrières commerciales restent dissuasives.

Le déploiement de sa nouvelle technologie de recharge ultra-rapide nécessitera la construction d’environ 4000 stations à travers la Chine, représentant un investissement considérable en infrastructure.

Les préoccupations autour de la sécurité des données s’intensifient en Occident. Au Royaume-Uni, certaines entreprises de défense auraient déconseillé à leurs employés de connecter leur téléphone à un véhicule électrique chinois, par crainte de potentielles fuites de données.

Le marché des véhicules électriques devient également de plus en plus concurrentiel, avec des acteurs comme Xiaomi, NIO, XPeng, Tesla, Volkswagen ou Hyundai, tous très innovants en matière de design, de logiciel et de performance.


Source: Bloomberg

 


Conclusion

Grâce à son intégration verticale, à une stratégie de prix agressive et à une expansion internationale bien orchestrée, BYD s’impose désormais comme une référence mondiale des voitures électriques. Si la première révolution électrique fut dominée par la Silicon Valley, la suivante pourrait bien être conduite depuis la Chine.

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