Bouc émissaire: l’OFSP

Martin Neff, Raiffeisen

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Des erreurs doivent être admises dans un processus d’apprentissage, au moins de petites erreurs, et ce n’était pas plus.

Mon plus jeune fils n’a pas vraiment la bosse des maths. Il échoue régulièrement même aux exercices les plus simples et pratiquement toutes les tentatives pour l’aider se soldent par un échec. Il n’y a guère que dans un cadre ludique que les choses ne se passent pas trop mal. Il lui arrive même d’être réceptif à quelques exercices de calcul mental sur la route. Mais dès qu’il se sent sous pression, plus rien ne va. Il commet alors les erreurs les plus stupides et il lui arrive même d’être dépassé par la table de multiplication. Ce n’est pas facile pour moi, car les mathématiques étaient justement l’une de mes matières préférées, mais seulement dans le secondaire, je dois l’admettre. Peut-être que cela finira également par s’arranger pour lui. Aujourd’hui en tous cas, ses points forts sont ailleurs et même si les mathématiques ne sont pas totalement dispensables pour ses souhaits de carrière actuels que je ne préfère pas divulguer en raison de leur part de rêve, elles ne font pas non plus partie des compétences de bases les plus recherchées, tout comme les statistiques. Ceci étant, il n’y a sans doute guère de professions dans lesquelles les chiffres et les statistiques ne jouent aucun rôle. Il faut donc des compétences pour les manier. Or, cela ne convient pas à tout le monde.

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) fait partie du Département fédéral de l’intérieur (DFI) et est responsable de la santé de la population. Il élabore la politique suisse de la santé et s’engage pour un système de santé performant à long terme et financièrement supportable. Ce sont les mandats et objectifs officiel de l’office, tels qu’ils sont formulés sur son site Internet. Les mathématiques ne constituent donc pas une compétence de base de l’OFSP et les statistiques sans doute pas non plus. Nous savons tous qu’il existe un office fédéral dédié pour ces dernières, qui relève également du DFI. L’OFSP doit néanmoins s’intéresser aux chiffres et aux statistiques et pas qu’un peu. Il recueille des indicateurs de toute sorte, sur les métiers de la santé, la démence, la dépendance à l’alcool, au tabac ou au cannabis, les assurances-maladie, les hôpitaux, la procréation médicalement assistée et la transplantation, les maladies infectieuses, etc. Nous sommes nombreux en Suisse à ne pas avoir conscience de cette diversité. La déclaration obligatoire est un élément essentiel pour la surveillance des maladies infectieuses, conformément au principe «celui qui diagnostique déclare». Il n’en va pas autrement dans le cas du COVID-19, la nouveauté étant que la propagation actuelle (mot-clé pandémie) dépasse tout ce que nous connaissions et que la portée du COVID-19 est bien supérieure à celle de la plupart des maladies infectieuses.

Les tests offrent des certitudes... 

Même six mois après la flambée du coronavirus, son monitorage statistique n’est malheureusement toujours pas à la hauteur des enjeux et on comprend de moins en moins pourquoi nous avançons encore à ce point à tâtons. D’autant qu’il existe un large consensus quant à la nécessité d’endiguer absolument la propagation du virus. Le manque de transparence et parfois l’ignorance ouvrent la voie à toutes sortes de spéculations. Les gens hostiles au masque, ceux qui minimisent la gravité, les dramaturges, les théoriciens du complot nourrissent actuellement les argumentations les plus hasardeuses, grâce au manque de pertinence des données. Il n’y a qu’un seul moyen d’y remédier, ainsi que nous l’avions déjà évoqué la semaine dernière. Nous avons impérativement besoin d’un échantillon statistiquement représentatif du COVID-19. Tester, tester et encore tester devrait donc être la devise. Dans une petite économie ultra-développée telle que la nôtre, cela ne constitue pas un obstacle insurmontable. Nous avons les moyens et la masse est limitée. Dès la mi-avril, une large alliance constituée de scientifiques et d’acteurs de l’économie s’était prononcée en faveur d’une multiplication des tests. Depuis le 25 juin, la Confédération prend en outre en charge tous les coûts des tests du coronavirus. Elle paye le test au prix forfaitaire de 169 francs, ce qui a temporairement entraîné une hausse (bienvenue) du nombre de tests à plus de 10’000 par jour. Entre-temps, nous sommes toutefois retombés à nettement moins de 8’000, voire moins de 6’000 tests par jour récemment. Le 3 août 2020, le nombre total de tests réalisés s’établissait à 803’725. Je précise que le décompte porte sur les tests et non les personnes testées. Une personne peut aussi avoir passé plusieurs tests.

… mais pas pour tout 

Les tests du coronavirus devraient principalement servir à instaurer la transparence quant à la propagation quantitative du virus. Ceux qui pensent que les tests permettent également d’identifier le lieu exact et les modalités de la contamination se trompent grandement. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’était pas très malin de la part de l’OFSP de communiquer des chiffres en ce sens la semaine dernière, à la demande de la télévision suisse (SRF). Mais on peut aussi se demander pourquoi notre télévision publique a précisément demandé des informations sur ce «théâtre de guerre secondaire» et surtout pourquoi le SRF n’a pas commenté l’échantillon ridiculement petit (629) et le passage correspondant dans le formulaire de déclaration du COVID-19, qui stipule «Voie de transmission la plus probable», afin de relativiser ces déclarations. Voulait-on faire porter le chapeau à quelqu’un? Intuitivement, beaucoup de personnes en Suisse ont vu leurs soupçons confirmés quand les clubs et les discothèques sont apparus tout en haut en réponse à la question de la voie de transmission. Personne n’a remarqué que l’échantillon et la méthode ne permettaient pas de tirer de telles conclusions. Les résultats ont été reproduits sans hésitation.

Il faut se tromper pour apprendre 

Le vent d’indignation qui s’est ensuite levé sur le pays était disproportionné. Un office fédéral est évidemment une institution qui se nourrit de la confiance et qui devrait donc accomplir son travail de façon minutieuse et consciencieuse. Compte tenu du peu d’informations sur le virus dont nous disposons encore actuellement, le lieu de la contamination ne constitue certainement pas l’information la plus importante. Son évaluation ne relève pas non plus nécessairement des compétences de base de l’OFSP. Les nouveaux chiffres concernant la famille ne valent pas non plus grand-chose. Le virus s’y répand rapidement, mais c’est en dehors de la famille que le virus a d’abord été contracté. Des questions plus importantes demeurent toujours sans réponse. Les enfants sont-ils des foyers d’infection? Qu’en est-il de l’immunité de groupe? Quelle est la durabilité des anticorps? A combien s’élève la séroprévalence? Quels sont les chiffres réels, autrement dit le pourcentage des porteurs sains asymptomatiques? Seuls des tests peuvent apporter des réponses. Plus on en fera, plus le résultat sera pertinent. Des erreurs doivent également être admises dans un processus d’apprentissage, au moins de petites erreurs, et ce n’était pas plus. La «mauvaise» statistique n’est rien de plus qu’une goutte d’eau dans l’océan. Il suffit pourtant d’un peu de logique et de bon sens pour inévitablement se rendre compte que les clubs et les discothèques représentent assurément un risque de contamination plus important. Respecter la distanciation sociale quand on guinche sur la piste de danse ou qu’on flirte au bar est totalement contradictoire, a fortiori quand l’alcool, voire des drogues, entrent en jeu. Aucune preuve statistique n’est requise à cet effet. Le canton de Genève l’a bien compris. Les vives réactions aux chiffres «erronés» ont vraisemblablement une autre raison. La politique et un large public sont de plus en plus las du coronavirus, se sentent contraints et placés sous tutelle et cherchent également un responsable, qu’ils viennent de trouver, à savoir l’OFSP. Les cantons aiment également se défausser de leur responsabilité sur la Confédération, parce qu’ils n’aiment guère assumer les restrictions désagréables et gênantes. Nous nous contentons malheureusement d’un seul coupable, pourtant nous avons presque tous notre part de responsabilité.

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