BNS: plutôt intervenir que de toucher aux taux

Cyril Gomez

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Des taux trop négatifs seraient préjudiciables aux banques, même face à un franc toujours trop fort. L’avis d’Adrien Pichoud de la Banque SYZ.

«L’euro fort inquiète la BCE», observait Ulrike Kastens, économiste Europe chez DWS, suite à la réunion de la Banque Centrale Européenne du jeudi 10 septembre. Et le franc suisse? Sa vigueur persistante devrait-elle inquiéter la Banque Nationale Suisse (BNS) davantage que ce n’est déjà le cas? Ce, au point d’amener celle-ci à procéder à une baisse de son taux directeur, jeudi 24 septembre lors de sa prochaine revue trimestrielle de la situation économique et financière? Et ce pour la première fois depuis janvier 2015? Certains s’attendaient déjà à une telle mesure lors de la réunion de la BNS de juin. En vain.

Rappelons qu’après s’être apprécié d’un peu plus de 3% contre l’euro depuis fin décembre à 1,0514 franc, pour flirter avec les niveaux proches de 2015 (année d’abandon du cours plancher par la BNS), la devise helvétique n’a depuis cédé qu’une part de ses gains pour se situer actuellement (jeudi 17 septembre) à 1,0749 franc. On ne peut pas dire que la monnaie refuge soit à l’abri d’une réappréciation significative face à autant d’incertitudes. Quant au dollar, contrairement à l’euro, il n’a cessé de se déprécier contre le franc suisse tout au long de l’année. Il perd plus de 6% depuis fin décembre – et 8% depuis fin mars – à 0,9097 franc.

La position de la BNS n’est pas enviable. Baisser les taux
pose le risque d’une surchauffe de l’économie.

Une évolution qui peut laisser penser que les investisseurs dont la monnaie de référence est le dollar se positionnent à l’achat sur le franc suisse à titre de protection contre d’éventuels accès de volatilité. Les investisseurs non-commerciaux des contrats à terme accumulent de fait des positions longues sur la devise helvétique depuis fin avril. Le CFTC CHF Speculative Non-Commercial Net Positions, qui correspond au solde des positions acheteuses par rapport aux positions vendeuses, est de 11.500, d’après les chiffres du Commodities Futures Trading Commission (CFTC) pour la semaine se terminant le 11 septembre. Soit pratiquement le même que la semaine précédente (11.600). Le solde des positions était négatif à -10.000 en moyenne durant l’année 2019.
 
«Effectivement, le rapport CFTC des positions nettes spéculatives montre des positions acheteuses sur le franc suisse à leur plus haut niveau depuis l’abandon du cours plancher en 2015», constate Adrien Pichoud chef économiste à la Banque Syz, contacté par Allnews. «Ce positionnement souligne en tout cas la force structurelle du franc suisse, liée au large excédent courant enregistré vis-à-vis du reste du monde et à une inflation plus basse que dans la plupart des autres grandes économies développées», poursuit Adrien Pichoud.
 
Dans son scénario de base, la banque centrale suisse escomptait en effet une stabilisation plus ou moins significative des cas de contamination. Se contentant d’intervenir sur le marché des changes. Mais même avoir récemment franchi la barre symbolique de 900'000 décès dans le monde attribuables au coronavirus, un léger mais notable rebond des cas de contamination semble se manifester. Ce qui pourrait freiner davantage encore l’activité économique globale, au moment où celle-ci donnait des signes de reprise significative, et pousser les investisseurs à se réfugier à nouveau dans le franc suisse.
 
La position de la BNS n’est pas enviable. Baisser les taux pose le risque d’une surchauffe de l’économie. Ne rien faire pose le risque de renforcer les forces déflationnistes. «D’un côté, de nouvelles vagues de contamination ou des tensions commerciales pourraient freiner encore l’évolution conjoncturelle. De l’autre, les importantes mesures de politique monétaire et budgétaire prises dans de nombreux pays pourraient soutenir la reprise plus fortement que prévu», avait-elle prévenu lors de sa réunion de juin.

La tendance structurelle à l’appréciation
du franc risque bien de perdurer.

«Face à l’appréciation de sa devise, la BNS semble favoriser nettement les interventions sur le marché des changes plutôt que de nouvelles baisses des taux», estime Adrien Pichoud. «Compte tenu des conséquences défavorables des taux négatifs, sur le système bancaire en particulier, le seuil au-delà duquel la BNS envisagerait d’abaisser encore son taux directeur est assez élevé». Tablant sur une «reprise progressive» de l’économie suisse et de l’économie globale, l’économiste exclut ainsi le recours aux taux d’ici la fin de l’année. «Seule une nouvelle baisse de taux de la Fed ou de la BCE pourrait l’y contraindre, afin de maintenir le maigre différentiel de taux actuel, mais un tel scénario nous parait aujourd’hui très peu probable», ajoute Adrien Pichoud.
 
L’expert explique qu’après l’assouplissement des politiques monétaires de la Fed et de la BCE lors de la crise du Covid, les éléments structurels (excédent courant et plus faible inflation) soutenant le franc ne sont plus contrebalancés par des différentiels de taux auparavant en défaveurs du franc suisse. «Avec des taux désormais proches de zéro dans l’ensemble des économies développées, la tendance structurelle à l’appréciation du franc risque bien de perdurer et de forcer la BNS à continuer ses interventions sur le marché des changes», conclut Adrien Pichoud.

 

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