Le mouvement contre l’investissement responsable a pris une ampleur considérable aux Etats-Unis, en particulier durant les périodes d’assemblées générales des entreprises. Selon des rapports publiés par la Harvard Business Review et «Responsible Investor», les propositions des actionnaires axées sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ont augmenté, mais elles ont été activement combattues par les factions anti-ESG. Cette opposition ne se limite pas aux assemblées des actionnaires. Elle se manifeste également par des actions en justice ou des campagnes de lutte contre les principes ESG.
Haro sur le durable
Les républicains du New Hampshire sont même allés jusqu’à préconiser des peines de prison d’un à vingt ans pour les gérants d’actifs qui donnent la priorité aux critères ESG dans leurs investissements. Ce type de proposition s’inscrit dans le cadre d’une action plus large des législateurs d’Etat dont les projets de loi cherchent à restreindre ou à pénaliser l’investissement responsable. Par ailleurs, certaines personnalités du monde politique ainsi que des groupements d’influence travaillent activement à discréditer les pratiques ESG.
Le rejet de l’investissement responsable a débouché sur le boycott de gérants d’actifs ayant adopté une approche axée sur la finance durable. Ces actions de boycott sont fréquemment initiées par des activistes ou des groupements opposés aux politiques ESG. Certains d’entre eux se sont ainsi mobilisés contre les entreprises qui se sont retirées du secteur des énergies fossiles ou qui ont adopté des stratégies d’investissement favorisant l’équité au plan social. Leur argument est que de telles pratiques ont un tour trop politique ou sont défavorables à certains secteurs économiques.
Pour des opposants tels que le NCPPR, la SEC aurait outrepassé son mandat en adoptant des normes qui imposent un cadre réglementaire axé uniquement sur le changement climatique.
En mars dernier, la SEC finalisait les règles portant sur les informations relatives au climat que les entreprises cotées en bourse sont tenues de publier. Mais elle en réduisait considérablement la portée puisqu’elle n’incluait pas l’obligation de déclarer les émissions de gaz à effet de serre (GES) de scope 31 Les règles définies par la SEC n’exigent qu’une publication progressive des émissions de scope 1 et 2 pour les entreprises de grande taille ou qui ont des délais de publication raccourcis et cela, uniquement si les émissions sont significatives.
En attendant Godot
Cet assouplissement des règles concernant la publication des informations relatives au climat a déçu tout le monde, les partisans de l’investissement responsable et ses détracteurs. Les premiers déplorent le fait que la publication des GES de scope 3 ne soit pas obligatoire, les seconds remettent en question l’existence même d’une règle relative au climat.
En réaction à l’adoption des nouvelles normes concernant la publication des informations climat par les entreprises cotées, plusieurs opposants ESG ont intenté des poursuites, ce qui a amené la SEC à suspendre l’application de ces normes en attendant la résolution judiciaire de ces contestations. L’un des opposants, bien connu mais contesté, est le «National Center for Public Policy Research» (NCPPR). Or, en 2023, nous avons pu constater que cet organisme soumettait exclusivement des propositions anti-ESG. Dans le cas de Visa par exemple, le NCPPR a proposé de dissocier les rôles de PDG et président du conseil d’administration. Bien que ceci soit conforme aux meilleures pratiques et corresponde à notre propre politique de vote, nous n’avons pas soutenu cette proposition. Il s’est en effet avéré que le NCPPR était en train d’orchestrer une campagne contre les mesures sociales. Il demandait, entre autres, que Visa suspende son soutien à l’initiative «Black Lives Matter» et qu’elle cesse d’offrir une couverture d’assurance maladie aux employés transgenres.
La SEC dépasse les bornes?
Pour des opposants tels que le NCPPR, la SEC aurait outrepassé son mandat en adoptant des normes qui imposent un cadre réglementaire axé uniquement sur le changement climatique, ce qui constitue une violation du Premier Amendement et revient à se soustraire à l’approbation du Congrès. Selon eux, la SEC aurait accordé une importance excessive aux informations non financières concernant le climat, ce qui est sans rapport avec son mandat de protection des investisseurs.
La SEC réfute cet argument, estimant qu’elle reste dans le cadre de son mandat de protection des investisseurs puisqu’elle exige la publication de tous les risques significatifs, au nombre desquels se trouvent les risques climatiques. Elle ajoute qu’au vu de son historique elle est fondée à exiger des informations autres que purement financières lorsque celles-ci sont pertinentes pour les investisseurs. La SEC insiste sur le fait que les risques climatiques sont susceptibles d’avoir un impact sur les performances financières et que, par conséquent, les normes de publication doivent en tenir compte tant pour des raisons de transparence que de cohérence.
En conclusion, la forte montée du mouvement anti-ESG semble avoir plongé les Etats-Unis dans un débat qui pourrait s’avérer déterminant pour la place de l’éthique en finance.
1 Le scope 3 regroupe les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur, souvent la plus grande partie de l’empreinte carbone d’une entreprise.