Les éditeurs veulent défendre les contenus des médias suisses face à l’exploitation par les plateformes d’intelligence artificielle (IA) comme ChatGPT. Le ministre de la justice Beat Jans s’est montré prudent sur la marche à suivre pour parvenir à un tel dédommagement.
«Nous défendrons la place médiatique suisse, aussi face aux attaques de l’IA contre nos contenus», a déclaré jeudi le président de l’association des éditeurs alémaniques Schweizer Medien (VSM), Andrea Masüger, lors de la traditionnelle réunion de l’Epiphanie à Zurich.
Il a appelé à un accord «équitable» en la matière, alors que les outils d’IA exploitent intensivement les contenus journalistiques pour générer les leurs. Pour les éditeurs, la propriété intellectuelle est violée.
«Ne pas trop charger le bateau»
Andrea Masüger a rappelé qu’un tel dédommagement était en cours de définition en Suisse sur la question du droit voisin, une norme comparable au droit d’auteur qui permettrait aux éditeurs de réclamer de l’argent aux plateformes comme Google ou Facebook pour l’utilisation de leurs contenus.
Le conseiller fédéral socialiste a convenu que les dédommagements générés par le droit voisin représenteront un «bol d’air» pour le secteur. Mais cela ne résoudra pas tous les problèmes.
Il a remarqué que le droit voisin a été en général salué lors de la procédure de consultation, mais qu’il y avait aussi des oppositions. Le Conseil fédéral reste cependant convaincu de la nécessité d’une telle norme. Il présentera un message d’ici l’été, a précisé le ministre.
Beat Jans s’est en revanche montré réservé sur la possibilité de réclamer, dans ce même cadre, des indemnisations aux plateformes d’IA. «Il faut faire attention à ne pas trop charger le bateau», a-t-il mis en garde.
Appel à un «contre-mouvement»
La discussion sur l’IA doit cependant être menée «de manière intensive», a souligné Beat Jans. Le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral des télécommunications (DETEC) d’effectuer un état des lieux de la réglementation en Suisse. Le gouvernement livrera prochainement de «premières indications» en la matière, a fait savoir le conseiller fédéral.
Beat Jans a par ailleurs jugé «inquiétante» la décision du patron de Facebook Mark Zuckerberg de renoncer à la fonction de fact-checking sur sa plateforme. Cette mesure pourrait toutefois aussi constituer une chance pour les médias, selon le ministre socialiste. «Si la big tech ne veut plus trier le vrai du faux, vous les médias entrez alors en jeu», a déclaré Beat Jans.
700 postes supprimés
Andrea Masüger a de son côté rappelé la crise que traverse la presse en Suisse, avec quelque 700 emplois supprimés dans la branche l’année dernière. La politique a heureusement «entendu» les préoccupations des éditeurs: lors de la dernière session de décembre, le Parlement s’est mis d’accord sur une hausse de l’aide indirecte, qui permettra de réduire les coûts de distribution des journaux par la Poste.
Le Grison a balayé les critiques de certains politiciens selon lesquels les médias ont «dormi» jusqu’ici en matière de transformation numérique. Des sommes considérables ont été investies dans ce domaine, y compris par les acteurs plus petits, selon lui.
Beat Jans a invité les éditeurs à prendre l’exemple des milieux paysans. «Faites comme l’Union suisse des paysans, qui réclame de l’aide avec assurance et de manière audible, parce que l’agriculture est importante pour l’approvisionnement du pays. Vous avez la même importance», a lancé le ministre.
Ne pas viser uniquement le profit
«Notre démocratie a besoin de vous», a dit M. Jans, invitant les éditeurs à se souvenir de cette responsabilité à l’heure d’annoncer leurs mesures d’économies dans les rédactions.
Pour le Bâlois, «les objectifs de profit ne peuvent pas être le seul but», alors qu’une telle critique a été adressée en particulier au groupe Tamedia l’année dernière, après une nouvelle restructuration de ses titres. «Le journalisme va au-delà des gains matériels», a-t-il relevé.