Une fin de trimestre porteuse d’espoir

Nicolette de Joncaire

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«On observe une immense divergence entre pays développés et pays du Sud-est asiatique. Un trend qui durera» note Patrick Zweifel de Pictet.

Au terme d’une deuxième vague de pandémie, les économies occidentales – plus touchées que les autres -, se détendent timidement à la veille des fêtes de fin d’année. La situation reste toutefois extraordinaire, avec un bilan encore difficile à cerner et un avenir encore plus malaisé à jauger. Avec des variations, parfois peu explicables, des taux de contamination entre pays et une grande diversité de réactions politiques, les conséquences diffèrent énormément d’une région à l’autre. Reste en commun un choc considérable de la demande, partiellement compensé par des plans de relance dont l’impact reste encore à évaluer. La visibilité demeure faible mais Patrick Zweifel, chef économiste de Pictet Asset Management, entrevoit toutefois quelques lueurs d’espoir.

Quelques considérations générales pour commencer?

L’impact des mesures de confinement du printemps a été exorbitant avec pour corollaire un effondrement de l’économie mondiale comme jamais observé en temps de paix. Avec l’été, nous avions observé une très forte reprise – dite en V. A la deuxième vague, en Europe et aux Etats-Unis, la réponse politique a été moins sévère et, en conséquence, la contraction de l’économie moins violente qu’au printemps. La relative clémence du second creux s’explique donc par des mesures gouvernementales plus ciblées, par une certaine efficacité des entreprises à mieux gérer la situation (extension du télétravail et autres relations à distance), mais aussi par le fait que certains secteurs qui s’étaient effondrés lors de la première vague ne sont jamais remontés. 

«Au creux de la vague, la production manufacturière mondiale
s’était effondrée de 18%, elle est aujourd’hui à -2%.»

A la fin du troisième trimestre, et par rapport au niveau de fin 2019, le PIB des Etats-Unis marque une chute de 3,5%, celui du Japon de 4,2% et celui de la zone euro de 4,4%. Certaines observations sont toutefois porteuses d’espoir: au creux de la vague, la production manufacturière mondiale s’était effondrée de 18%, elle est aujourd’hui à -2%. Toujours au niveau global, les ventes de détail sont passées de -18% à +2%. Aux Etats-Unis, l’immobilier résidentiel a bien tenu avec un niveau aujourd’hui supérieur de 4% à ce qu’il était en fin d’année dernière. L’investissement des entreprises est lui-aussi revenu à des niveaux pré-crise. Très récemment, aux USA, les commandes de biens d’investissement sont remontées aux environs de 3-4% au-dessus du niveau d’avant-crise alors qu’elles s’étaient effondrées de 6,5% à leur plus bas. Notez qu’au lendemain de la crise de 2008, elles avaient chuté de plus de 30% et qu’il a fallu presque 8 ans pour rattraper. Regrettablement, la production de service reste 15% au-dessous de l’avant-crise car, comme nous le savons tous, ce sont les professions de contact qui ont été les plus affectées. Mais, au sens le plus large, les fondamentaux restent à peu près sains tant qu’on est capable de faire fonctionner l’économie à un rythme correct (en fermant un peu quand nécessaire mais pas trop). L’équilibre semble à peu près trouvé.

Avez-vous observé d’importantes différences entre les régions?

Entre le sommet d’avant la pandémie (Q4 2019) et le creux (Q2 2020), le PIB des pays émergents est tombé deux fois moins (-6,3%) que le PIB des pays développés (-12,5%). Première frappée par le virus, la Chine est la première à s’être relevée. Son PIB serait aujourd’hui supérieur de 2% à ce qu’il était avant la crise, ses exportations de 10%. C’est également vrai des pays voisins qui ont été tirés vers le haut par leurs exportations, en particulier vers les Etats-Unis et l’Europe qui ne produisaient plus mais qui, grâce au stimulus monétaire ont continué à consommer. On observe donc une très grande divergence de l’offre et de la demande entre pays développés et pays émergents, un trend qui, à mon sens, va durer : l’Asie tirera l’économie mondiale en 2021. Rappelons ici que les pays émergents sont deux fois plus sensibles au commerce mondial des biens que ne le sont les pays développés. Or, les chiffres de septembre laissent à penser que ce commerce mondial est quasi revenu au niveau d’avant crise: d’un creux de -18 à -2%, tiré par les EM.

«Entre hausse du revenu et baisse de la consommation, les ménages américains
ont généré de l’ordre de 1’300 milliards d’épargne supplémentaire.»
Vous évoquiez plus tôt les difficultés subies par les secteurs de service. Y observe-t-on aussi des écarts entre pays développés et émergents?

Sans aucun doute. Cette crise ayant frappé surtout le secteur des services, la grande divergence de performance économique entre pays émergents et pays développés s’explique essentiellement par une part bien moindre des services dans le PIB des premiers (54%) que dans celui des seconds (72%). En conséquence, le chômage (largement dans les secteurs des services) jouera en faveur des émergents dans la reprise de la consommation en 2021.

Les plans monétaires et fiscaux ont-ils – et auront-ils – un effet significatif?

Les réponses monétaires et fiscales sont sans précédent et se caractérisent par une distribution d’argent direct aux entreprises et non par l’intermédiaire des banques comme en 2008. Prenez l’exemple des Etats-Unis où le revenu des ménages a été renforcé en fin de second trimestre de plus de 15% par les transferts supplémentaires du Care Act (dont 1’200 dollars en cash) et par les programmes de soutien à l’emploi (les versements ont été étendus de 600 dollars et allongés de de 13 semaines). Corollaire: entre hausse du revenu et baisse de la consommation, les ménages américains ont généré de l’ordre de 1’300 milliards d’épargne supplémentaire.

«En Europe, la chute a été plus profonde
mais la reprise devrait être plus marquée.»
Les Démocrates feront-ils mieux encore?

En partant du postulat d’un congrès divisé, Joe Biden n’aura pas une totale liberté d’action. Mais il existe clairement une volonté bipartisane d’aller de l’avant et un second paquet devrait être distribué fin janvier. Ce qui augure d’un scenario positif pour la reprise. En raison de l’épargne réalisée et de l’énorme paquet fiscal, nous attendons une croissance de l’ordre de 5% aux Etats-Unis en 2021. Notez que les dépenses seront réallouées pour d’évidentes contraintes liées à la pandémie: moins de tourisme, plus d’alimentaire, de technologie ou d’équipement sportif (dont étonnamment des bateaux et avions de plaisance). Ajoutez à cela le projet Démocrate sur le renouvellement de l’infrastructure, largement consensuel politiquement. La régulation financière devrait être minime et la politique étrangère plus multilatérale. Un développement globalement plutôt positif donc.

L’Europe a-t-elle souffert davantage?

Oui, en Europe, la chute a été plus profonde mais la reprise devrait être plus marquée. Le plan fiscal européen démontre – enfin! - une volonté de politique fiscale commune. Ceci dit l’implémentation en sera longue - pas avant le milieu de l’année prochaine -, et de fait, en deviendra contracyclique. Par contre, une grande partie des dépenses prévues seront sur l’infrastructure, avec un impact positif de long terme.

Quelques mots du «grand accord» asiatique?

Il mérite son qualificatif: 15 pays, 30% de la population mondiale, 30% du commerce mondial, 30% du PIB mondial. Il concerne une réduction des tarifs sur tous les biens échangés, l’investissement direct et la mobilité temporaire. Pour ces 15 pays, le commerce intrarégional représente plus de 55% des échanges et va encore s’intensifier de manière significative. C’est excellent pour l’image de la Chine mais les vrais gagnants seront les plus pays plus petits de l’Asean qui bénéficieront d’un afflux d’investissement direct supplémentaire. Les perdants? L’Europe et les Etats-Unis. 

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