Bilan provisoire de la guerre commerciale

Nicolette de Joncaire

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«Ce qui freine l’investissement des entreprises n’est pas le coût du financement mais l’incertitude» estime Patrick Zweifel de Pictet AM.

Panique sur le Gruyère et l’Emmenthal: les exportations suisses, victimes de la rétorsion américaine aux subventions européennes à Airbus… L’humour n’est probablement pas de mise : le commerce international s’est bel et bien effondré et l’humeur des entreprises est morose. L’incertitude a atteint un sommet. «L’équivalent d’un choc pétrolier» estime Patrick Zweifel, chef économiste de Pictet Asset Management.

Comment lisez-vous le sentiment général?

Les courbes parlent d’elles-mêmes. Au niveau global, la tendance des PMI est à la chute libre depuis la déclaration de guerre commerciale de Donald Trump en janvier 2018. Exactement en parallèle avec la chute des exportations. Ce n’est que grâce à la stabilité du sentiment des consommateurs que nous évitons encore la récession. Mais, faute de politiques économiques, il ne faut pas espérer un regain d’expansion. Face à l’incertitude générée par les tensions commerciales, les entreprises ne se risqueront pas à investir. 

«Des taux trop faibles sont une menace pour l’industrie bancaire.»
Est-ce la raison pour laquelle Donald Trump tempère ses ardeurs belliqueuses?

Sans aucun doute. Aux Etats-Unis aussi, le sentiment des entreprises est sombre.

Y-a-t-il encore une place pour l’intervention des banques centrales?

Environ une moitié des banques centrales a réduit le taux directeur. Peut-on aller au-delà? Probablement dans certains pays émergents où il reste encore une marge de manœuvre mais ce n’est certainement plus le bon outil dans les pays développés. Ce qui freine l’investissement des entreprises aujourd’hui n’est pas le coût du financement mais l’incertitude, conséquence directe des tensions sur le front commercial. J’irais même plus loin. Des taux trop faibles sont une menace pour l’industrie bancaire et, à partir d’un certain niveau (entre -1% et -2%), pourraient devenir un facteur de contraction économique comme l’explique Markus Brunnermeier1. En outre, les taux faibles encouragent les inégalités et, on le sait, les inégalités tuent la croissance.

Voit-on poindre la relève par les politiques économiques?

Au vu des derniers budgets, l’heure est à une vague de relâchement vis-à-vis de la sacro-sainte rigueur. Mais on voudrait voir l’Allemagne dépenser davantage, comme le propose par exemple le programme de relance des investissements en infrastructure de 50 milliards d’euros d’Olaf Scholz. Un bon plan qui ne résoudrait toutefois pas le problème du cycle car un renouveau des infrastructures constitue un stimulus à long terme et ne sortira pas l’Allemagne immédiatement de la phase de récession dans laquelle elle est entrée. Il faudrait employer d’autres armes: la TVA par exemple, souvent utilisée en sens contraire, mais qui pourrait se montrer efficace pour stimuler la consommation. Les crises sont les moments où les plans fiscaux donnent les meilleurs résultats et les gouvernements se doivent de soutenir la demande et, plus généralement, des politiques procycliques. Au tour des parlementaires de se montrer créatifs car contrairement à ce que semble penser Donald Trump, ce n’est pas en période de croissance qu’il faut réduire les impôts.

«Ursula von der Leyen semble sensible à un modèle européen
plus solidaire sans centralisation excessive.»
Quelle serait l’attitude de la nouvelle administration européenne à cet égard?

Elle parait prête à une approche moins austère que les précédentes. Ursula von der Leyen semble également sensible à un modèle européen plus solidaire sans centralisation excessive; avec éventuellement une forme de péréquation, respectueuse des libertés locales. Nous sommes peut-être à l’aube d’un tournant. Le Fonds européen de défense ou un mécanisme européen d’assurance-chômage pourraient être les prémices d’un budget commun et la disposition serait donc à une concertation, plus souple envers une certaine décontraction fiscale pour relancer la machine européenne. Manque encore peut-être la «figure» forte de l’Europe pour soutenir ces thèmes. 

Sommes-nous à la veille d’une récession et de quelle ampleur?

Non, il ne me parait pas que nous soyons à la veille d’une récession. Le monde développé est certes en récession manufacturière, conséquence de la guerre commerciale, mais la solidité des bilans des ménages et leur confiance toujours proche de leur plus haut historique a empêché ce choc commercial de se transmettre au reste de l’économie. Une certaine stabilité devrait perdurer grâce aux politiques plus accommodantes mises en place depuis plusieurs mois.

De la guerre commerciale entre Etats-Unis et Chine, quels seront les effets à terme?

Structurellement, il faut anticiper un découplage des chaînes de production globales et la fin de l’interdépendance étroite entre les économies. Et possiblement aussi, l’extinction de la suprématie de la technologie américaine. Car les Chinois mettront plusieurs années à rattraper l’écart technologique mais, en fin de compte, lorsqu’ils y parviendront, ce sont les Etats-Unis qui auront perdu la bataille. 

1 The Reversal Interest Rate, Markus K. Brunnermeier, Yann Koby, December 2018

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