Une baisse de taux de la BNS? A partir de septembre, pas en juin

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Marc Brütsch, chef économiste chez Swiss Life AM, la Banque nationale suisse abaissera son taux directeur encore une fois d’un quart de point cette année.

Dans environ un mois, la Banque nationale suisse (BNS) va communiquer sa décision concernant son taux directeur à l’occasion de son examen de la situation économique et monétaire de juin. Nombre d’analystes s’attendent à une nouvelle baisse d’un quart de point du taux directeur de la banque centrale, qui serait alors ramené à 1,25% contre 1,5% actuellement, tandis que d’autres experts n’anticipent une telle décision qu’à partir de septembre au plus tôt. Quels sont les facteurs qui sont susceptibles de faire pencher la balance dans un sens ou un autre? Le point avec Marc Brütsch, chef économiste chez Swiss Life Asset Managers.

Avant d’analyser en détail les aspects qui plaident en faveur ou à l’encontre d’un nouvel assouplissement des taux en juin, aviez-vous été surpris par l’annonce en mars dernier de la baisse d’un quart de point du taux directeur de la BNS?

Le moment nous a un peu surpris, oui. Mais pas la baisse. Trois facteurs ont contribué à la décision de la BNS d’abaisser son taux directeur en mars dernier. Premièrement, le net renforcement du franc vis-à-vis de l’euro et du dollar tout au long de 2023 jusqu’à décembre dernier avait contribué à réduire les prix des biens importés. D’une certaine manière, cette décision a aussi été un signal envoyé à l’économie d’exportation qui a souffert de la force du franc l’an dernier.

Deuxièmement, les craintes concernant l’inflation – en plus d’être atténuées par la force du franc s’agissant des prix des biens importés – se sont aussi affaiblies tout au long de l’hiver au fur et à mesure qu’il a été clair que les prix de l’énergie diminuaient graduellement.

Troisièmement – et il s’agit ici plutôt d’une hypothèse -, la BNS, en abaissant d’un quart de point ses taux en mars, a eu les moyens d’agir par elle-même pour éviter une éventuelle nouvelle hausse du taux d’intérêt de référence à l’avenir, qui à son tour aurait été susceptible de relancer l’inflation. C’est un moyen d’action que la banque centrale a peut-être voulu mettre à profit à ce moment-là.

Concernant l’inversion de tendance sur les marchés des devises observée depuis début janvier, y a-t-il un risque que l’affaiblissement graduel du franc vis-à-vis de l’euro relance la dynamique de l’inflation en Suisse (ndlr: l’inflation est remontée à 1,4% en avril en rythme annuel, après 1% en mars)?

Tout affaiblissement ou renforcement du franc par rapport à l’euro ou au dollar a certes un effet sur l’inflation mais il ne faut pas non plus surestimer cet impact en ce qui concerne la Suisse. En effet, il y a ceci de particulier en Suisse qu’une baisse des taux réduit aussi la probabilité que le taux d’intérêt de référence soit revu à la hausse, ce qui contribuerait alors à relancer l’inflation. Dès lors, les effets d’affaiblissement de la devise helvétique, d’un côté, et d’absence de relèvement du taux d’intérêt de référence, de l’autre, se contrebalancent les uns des autres. Sans hausse du taux d’intérêt de référence, la progression des loyers au sein de l’indice des prix à la consommation (IPC) en 2025 devrait être moins forte que prévu.

«Si la BCE commence à abaisser ses taux directeurs en juin, cela laissera davantage de marge de manœuvre à la BNS, lui permettant d’abaisser ultérieurement son taux directeur.»

Par ailleurs, il y a aussi un effet de timing potentiel qui pourrait entrer en ligne de compte ces prochains mois dans les décisions de la BNS: auparavant, les marchés s’attendaient à ce que la BCE commence, en premier, à abaisser ses taux à compter du mois d’avril, un premier mouvement qui aurait été suivi par la BNS en juin. Or, les experts s’attendent désormais aussi dans la zone euro à une première baisse des taux, au plus tôt, à partir du mois de juin du côté de la BCE. Cela modifie les anticipations concernant le différentiel de taux entre les deux devises. Si la BCE commence à abaisser ses taux directeurs en juin – pour les faire passer de 4,5% actuellement à moins de 3% d’ici à la fin de 2024 -, cela laissera davantage de marge de manœuvre à la BNS, lui permettant d’abaisser ultérieurement son taux directeur.

La BNS va-t-elle à votre avis suivre immédiatement la BCE ou alors l’institut d’émission helvétique va-t-il au contraire préférer faire une pause en juin?

Nous nous attendons à ce que la BNS abaisse encore une fois son taux directeur d’un quart de point cette année – mais cela seulement à partir de septembre, pas en juin.

Pourquoi la BNS déciderait-elle de laisser ses taux inchangés en juin?

A ce sujet, il est important de tenir compte de ce que l’on appelle le taux d’intérêt neutre. En Suisse, le taux d’intérêt neutre peut être estimé aux environs de 1,25%, alors qu’il est situé aux environs de 2,25% en ce qui concerne la zone euro. Comme on le voit, la BNS n’aurait plus besoin d’abaisser son taux directeur (situé à 1,5% actuellement) que d’un quart de point (0,25%) pour arriver au taux d’intérêt neutre.

Comparativement, la BCE devrait réduire d’environ huit fois ses taux directeurs d’un quart de point pour qu’ils correspondent au taux d’intérêt neutre.

Dans la zone euro, il est beaucoup question de la situation de l’endettement, en particulier en ce qui concerne la France. Certes, deux agences n’ont pas abaissé leur notation sur la dette de la France récemment mais on attend encore la décision de Standard & Poor’s. Ces craintes sont-elles perceptibles aussi sur les marchés?

«Je ne pense pas que les marchés redoutent une nouvelle crise de la dette en Europe ou un nouveau scénario similaire à celui des «PIGS » au début des années 2010.»

Le déficit budgétaire de la France, de l’ordre de 5,5% dépasse les limites prévues dans le cadre des accords de Maastricht. Pour autant, on ne constate aucune nervosité sur les marchés à ce sujet. L’écart de taux entre les emprunts allemands et français n’a pratiquement pas varié. C’est pourquoi, je ne pense pas que les marchés redoutent une nouvelle crise de la dette en Europe ou un nouveau scénario similaire à celui des «PIGS» au début des années 2010.

Actuellement, la difficulté pour la BCE est plutôt d’être confrontée à d’importants écarts de croissance entre des pays comme l’Espagne, qui reste très dynamique, et l’Allemagne où elle est au contraire anémique.

A lire aussi...