Une économie plus solide qu’elle n’y paraît

Yves Hulmann

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Pour Jack Janasiewicz, gérant de portefeuille chez Natixis IM, la perception générale des marchés, plutôt négative, contraste avec la situation, plus positive, de l’économie elle-même.

Quelles leçons peut-on tirer des récentes données statistiques pour l’économie américaine au premier trimestre et à propos des résultats publiés par les entreprises? Eléments de réponse avec Jack Janasiewicz, gérant de portefeuille chez Natixis Investment Managers.

Au premier trimestre 2023, le produit intérieur brut (PIB) américain a crû de 1,1% sur un an, soit sensiblement moins qu’attendu ainsi que par rapport à un taux de croissance de 2,6% au quatrième trimestre 2022. S’agit d’un simple ralentissement de l’économie aux Etats-Unis ou le signe que l’on s’oriente vers une récession?

Alors que le chiffre principal du PIB était certainement plus faible que prévu, les détails racontent une histoire différente. La demande finale, c'est-à-dire le PIB hors stocks et commerce, qui est l'indicateur le plus important, a augmenté de 3,2% en rythme annuel, soit la croissance la plus rapide depuis le deuxième trimestre de l'année 2021. Les stocks ont fortement pesé sur le chiffre global. Ce n'est pas surprenant, car les consommateurs passent de l'achat de biens à l'achat de services. Mais la correction des stocks est en grande partie terminée et il serait difficile de voir ce frein se reproduire à l'avenir. L'investissement résidentiel a également connu une forte contraction. Compte tenu des ventes de logements neufs et du sentiment positif exprimé par les constructeurs, il est peu probable que l'investissement résidentiel continue d'être un frein à l'avenir. Les investissements fixes non résidentiels des entreprises ont également été faibles, en raison du ralentissement des dépenses en matériel de transport. Mais une fois de plus, si l'on considère les pipelines de production d'automobiles et d'avions, nous pensons qu'il s'agit là de vents favorables et non de vents contraires. Il est certain que les dépenses de consommation vont ralentir. Mais dans l'ensemble, les détails qui ressortent du PIB ont en fait soutenu la thèse de l'atterrissage en douceur.

En ce qui concerne l’évolution des taux d’intérêt, s’approche-t-on du pic du resserrement des taux des banques centrales? Quelles sont vos attentes concernant les taux «terminaux» de la Fed?

Je pense que nous sommes déjà très proches du pic de la hausse des taux. Lors de la réunion de la Fed en mai, il est déjà possible que nous assistions à une dernière hausse, puis à une pause dans le cycle de resserrement des taux d'intérêt de la Réserve fédérale. En ce qui concerne l'évolution future des taux fédéraux, le marché s'attend à une baisse de 50 points de base d'ici à la fin de 2023, qui serait suivie par une réduction supplémentaire de 100 points de base l'année prochaine. Le rythme des baisses de taux au second semestre et en 2024 dépendra toutefois précisément du fait que l'économie américaine connaisse un atterrissage brutal ou un atterrissage en douceur. Notre scénario de base prévoit un atterrissage en douceur et, par conséquent, nous pensons que le marché s'attend à trop de réductions de taux. Nous ne serions pas surpris de voir certaines de ces prévisions de réduction s'évaporer au fil du temps.

Les marchés ont offert aux investisseurs des excuses à la chaîne pour rester très prudents avec leurs investissements. Or, force est de constater que l’économie, dans son ensemble, ne se porte pas si mal.
Y a-t-il un risque que l’on sous-estime la persistance de l’inflation? Par exemple si les prix du pétrole rebondissaient, comme on l’a vu par exemple vers la mi-avril suite à une annonce de l’OPEP.

Pour l’essentiel, nous nous attendons à ce que le prix du pétrole se maintienne dans une fourchette comprise entre 75 et 85 dollars. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que sur un an, les cours du pétrole sont même en légère baisse. Donc, en ce qui concerne la partie de l’inflation liée aux coûts de l’énergie, nous sommes dans une phase de réduction de la pression inflationniste.

L’inflation a ralenti à 4,2% en mars (selon l’indice des prix PCE publié fin avril), contre 5,1% en février. Est-ce la confirmation d’une décélération rapide de l’inflation aux Etats-Unis – ou est-ce trop tôt pour l’affirmer?

Je pense que l'on peut affirmer sans risque que l'inflation est en baisse et que cette trajectoire va se poursuivre. La question est de savoir à quelle vitesse ce rythme se maintiendra et quel niveau il atteindra finalement. L'un des principaux moteurs de l'inflation aux États-Unis reste la composante «logement», qui représente près de 40% de l'indice d'inflation. En raison de particularités méthodologiques, la composante logement accuse un retard important par rapport aux données en temps réel, ce qui signifie qu'il faut du temps avant que les données ne soient prises en compte dans le calcul de l'inflation. Les indicateurs en temps réel montrent que les prix des logements ont augmenté et nous voyons enfin les premiers signes de cette faiblesse se répercuter sur les données relatives à l'inflation. Cette répercussion devrait se poursuivre, ce qui contribuera à réduire l'inflation dans les mois à venir. Étant donné que ce poste représente près de 40% de l'indice et que les indicateurs en temps réel montrent une baisse de 10% ou plus des prix des logements, il est difficile de ne pas voir une baisse persistante des chiffres de l'inflation à l'avenir. La question est simplement de savoir à quelle vitesse et jusqu'à quel point cette baisse se poursuivra.

Si les banques centrales font une pause dans leur phase de resserrement monétaire, voire commencent à l’assouplir, cela suffira-t-il à soutenir la poursuite de la hausse des marchés des actions? Ou faut-il plutôt craindre une baisse des bénéfices par actions (EPS) en raison du ralentissement de la conjoncture?

Si les taux d’intérêt baissent, cela offrira un potentiel supplémentaire en termes d'expansion multiple. Maintenant, il est clair que le sentiment des marchés est plutôt négatif depuis plus d’un an. Une grande partie des investisseurs restent focalisés sur les aspects liés aux risques. Et l’environnement de marché a fourni toutes sortes d’excuses aux investisseurs pour jouer la carte de la prudence: il y a  d’abord eu les taux d’intérêt et l’inflation, puis l’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB) et les difficultés de plusieurs banques régionales aux Etats-Unis. À cela s'ajoutent les inquiétudes concernant l'évolution des taux commerciaux (commercial rate) sur l'immobilier commercial.  Bref, les marchés ont offert aux investisseurs des excuses à la chaîne pour rester très prudents avec leurs investissements. Or, force est de constater que l’économie, dans son ensemble, ne se porte pas si mal, tout comme c’est le cas pour de nombreuses entreprises.

La saison des résultats du 1er trimestre bat son plein: quelle est votre impression sur les résultats récents des grandes entreprises?

Sans entrer dans les détails des résultats de chaque entreprise, je pense qu’il vaut la peine de s’intéresser en particulier aux commentaires sur les perspectives. Et mon impression est que si l’on s’acheminait vers une sévère récession ou une crise bancaire majeure, les commentaires des entreprises seraient différents. Quand je lis ce qu’écrivent par exemple des grandes banques comme Wells Fargo ou JP Morgan, ces établissements ne donnent pas l’impression qu’ils vont resserrer leurs standards de crédit de façon spectaculaire. C’est pourquoi, il me semble que la perception générale des marchés, plutôt négative, contraste avec la situation de l’économie elle-même. Il y a certes des signes de ralentissement de l’économie mais cela ne signifie pas pour autant que l’on se dirige vers un hard landing ou une récession. En Europe, j’ai été frappé par la résilience des résultats d’entreprises comme LVMH par exemple qui profite de la réouverture de la Chine.

Quelle est votre opinion sur les tensions dans le secteur bancaire, qui ont atteint un pic en mars avec la déroute de la SVB et la reprise forcée de Credit Suisse et qui a ressurgit fin avril avec un nouvel effondrement des actions de la First Republic Bank ainsi que d’autres banques régionales: quelles sont les leçons que l’on peut tirer des récents épisodes de crise?

Il faut garder une vision différenciée au sujet du secteur bancaire. A mon avis, on peut tirer deux leçons des turbulences qui ont affecté le secteur bancaire. Premièrement, il y a l’aspect de la vitesse des développements qui ont affecté les établissements fragilisés. Même au plus fort de la crise financière de 2008, les choses n’évoluaient pas à une telle vitesse. Les gens regardent le flux de nouvelles sur les réseaux sociaux qu’ils utilisent et peuvent désormais transférer leur argent ailleurs en quelques minutes. Deuxièmement, je crois que beaucoup d’investisseurs – même ceux qui n’étaient pas encore aux manettes à l’époque de la crise financière globale (GFC) – continuent d’être affectés par une sorte d’événement post-traumatique que l’on pourrait appeler la «2008-itis» pour inventer une expression. Chaque fois que les gens entendent parler d’un problème dans le secteur bancaire, on ressort tout de suite le spectre de la faillite de Lehman Brothers ! Mais, encore une fois, je pense que cette comparaison est exagérée: certes, il y a des prêts pourris dans certaines banques mais cela ne veut pas dire que l’on va revivre la crise des «subprimes».

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