Surmonter une fin de cycle de crédit incohérente

Salima Barragan

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D’après Erick Muller de Muzinich, le cycle d’investissement reste fragile car les tensions perturbent les flux.

Les atteintes au multilatéralisme affectent la visibilité et la stabilité des flux commerciaux mondiaux. Dans ce contexte incertain sur les droits de douane, Erick Muller estime que le cycle d’investissement reste bien fragile. Alors que les tensions commerciales perturbent les flux d’investissement, quelle stratégie obligataire favoriser? Les réponses avec le directeur des produits et de la stratégie d’investissement chez Muzinich & Co.

Quel est votre diagnostic de cette fin de cycle de crédit?

Tout d’abord, signalons que ce cycle n’est pas tout à fait traditionnel dans le sens où les symptômes associés à une fin de cycle ne sont pas tous présents et le diagnostic n’est pas totalement cohérent. En fin de cycle, d'habitude, le levier des entreprises est généralement en forte hausse, surtout sur les entreprises dites «High Yield», ce qui induit une hausse des taux de défaut et évidemment des spreads. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’effet de levier a baissé depuis 2016 sur ce segment d’entreprises. Le taux de défaut est l’un des plus bas de l’ensemble du cycle et des dernières décennies. En revanche, les entreprises Investment Grade ont fortement augmenté leur levier. Le risque est moins le défaut que ce qu’on pourrait appeler une «negative credit migration», soit une dégradation des ratings des entreprises dites de qualité.  A ce stade du cycle, les retournements de marchés peuvent être fréquents et rapides, ce qui demande une gestion véritablement diversifiée et flexible.

La prime d’illiquidité reste intéressante à capturer
si l’on a un horizon d’investissement suffisamment long.
Les valorisations sont-elles tendues?

Les valorisations actuelles sont encore assez chères, même si les derniers jours ont créé un peu de volatilité et des primes légèrement plus élevées. Mais les valorisations de décembre dernier ont totalement disparu. Les facteurs techniques – offre et demande de papiers – sont bien mieux orientés que l’année dernière. Le cash accumulé en fin 2018 s’investit progressivement depuis le début de l’année.

Quelles sont les grandes tendances qui se dessinent?

Face à des valorisations tendues et des incertitudes cycliques réelles, nous voyons deux tendances se dégager de la part des investisseurs. D’une part, le besoin de rendement à long terme génère des flux vers les actifs illiquides ou semi-liquides comme les prêts bancaires aux entreprises ou la dette privée; la prime d’illiquidité reste intéressante à capturer si l’on a un horizon d’investissement suffisamment long. D’autre part, la recherche d’alpha mène vers des stratégies de rendement absolu, plus court terme, mais avec des profils très flexibles.

Face à cet environnement quelque peu incohérent, quelles stratégies préconisez-vous?

Nos stratégies globales et flexibles ont plutôt réduit le risque de crédit en 2018 mais les valorisations atteintes en décembre dernier ont encouragé la prise de risque de crédit pour profiter du niveau des spreads. Rappelons que la Fed a fortement modifié son cap et que cela a généré un stimulant puissant sur les conditions financières. La situation actuelle est différente car les valorisations nous semblent sensiblement moins attractives. Mais derrière une cherté d’ensemble, se cachent de nombreuses opportunités dans un marché qui reste encore dispersé. Bien sûr, le pari entre les valeurs cycliques ou non cycliques est majeur, en particulier compte tenu de l’importance du secteur financier dans les univers d’investissement, mais dans l’ensemble, les opportunités actuelles sont moins dans les paris sectoriels que dans le «stock picking». Après les phases de fort «leverage» chez les entreprises IG américaines, en particulier notées dans le segment BBB, nous observons un changement d’attitude visible chez ces émetteurs qui revoient à la baisse les programmes de rachats d’actions ou les distributions prévues de dividendes afin de préserver leur rating IG. Nous pensons qu’elles proposent encore de bons rendements et sont souvent disponibles sur un éventail assez large de maturités. Aussi, nous voyons des entreprises avec des notations assez faibles mais dont le potentiel de redressement est intéressant. Elles sont souvent peu suivies par les investisseurs car souvent moins liquides mais nous cherchons à trouver là des paris de convictions qui peuvent contribuer très positivement à nos stratégies de rendement absolu. D’un point de vue régional, les cycles de croissance sont peu synchronisés – en partie à cause des tensions tarifaires et des modifications induites sur les «supply chains» des entreprises globales – ce qui influencera nos positions géographiques. Les marchés émergents sont aussi dans différentes phases du cycle et les politiques budgétaires spécifiques sont ciblées sur des moteurs très domestiques. Cela ouvre plusieurs opportunités différentes dans chacune des régions, selon les politiques publiques employées. Nous considérons que l’environnement reste assez favorable aux stratégies d’alpha.