Quelle suite pour les valeurs de croissance?

Salima Barragan

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Les stratégies de croissance de qualité pourront continuer de battre le marché, estime Richard Speetjens de Robeco.

Dans un monde en plein chambardement, le fonds de Robeco sur les grandes tendances de consommation a enregistré une performance de 36% sur l’année 2020, porté par le momentum de la numérisation de l’économie durant la pandémie, ce qui a naturellement soutenu les valeurs de croissance. Fort d’une performance cumulée de 124% sur cinq ans  selon Citywire, ce portefeuille apparait à son classement des meilleurs managers de Suisse de décembre.

La question sur toutes les lèvres est maintenant de savoir si les actions de croissance continueront à nous surprendre - ou du moins ne nous décevront pas - après deux années exceptionnelles. Son co-gérant, Richard Speetjens est catégorique: « la tendance de la numérisation qui était déjà bien en place et que la pandémie a accélérée, perdura même si elle ne sera plus aussi forte». Entretien.

Quelle est la stratégie de votre fonds?

Le fonds se base sur des tendances de consommation à long terme, indépendantes des aléas géopolitiques à très court terme. La digitalisation est un thème de croissance séculaire et de longue durée qui comprend les entreprises de croissance dans le commerce électronique et les paiements numériques. S’il est vrai qu’elles ont tiré leur épingle du jeu durant la pandémie, elles étaient déjà bien parties avant. Pour preuve, elles ont affiché des bons rendements durant toute la décennie écoulée. Nous jouons aussi le thème de la nouvelle classe moyenne dans les marchés émergents avec des champions locaux ou des sociétés de luxe occidentales, mais ces dernières dépendent fortement du cycle économique. Alors, nous maintenons également une poche d’investissement plus défensifs, composée de sociétés de qualité aux marques bien établies, jouissant d’une bonne visibilité sur leurs revenus, et qui ont malgré tout, réussi à accroitre leurs bénéfices malgré la pandémie grâce à leurs modèles d’affaires résilients. La diversification du fonds nous a permis de maintenir un bêta autour de un, voire légèrement en-dessous.

«Nous nous éloignons des ‘challengers’
qui n’arrivent pas à capturer des parts de marché.»
Quel est le point en commun de toutes ces sociétés en portefeuille?

Il s’agit de sociétés de croissance - rapide ou lente- et de qualité. Lorsque nous nous intéressons à une tendance de consommation, nous recherchons les gagnants de chaque industrie respective, les leaders du marché, voire ceux qui les suivent à la seconde place. Mais nous nous éloignons des «challengers» qui n’arrivent pas à capturer des parts de marché, et qui n’y arriveront probablement jamais.

A quels facteurs attribuez-vous la bonne performance de votre fonds vis-à-vis de son benchmark*?

Sur le long terme, les investissements de croissance performent mieux lorsque la croissance économique est plutôt rare. L’année passée avait commencé très calmement, puis nous avons tous assisté à l’emballement de la digitalisation et de la pénétration de l’e-commerce qui, selon un CEO américain renommé, ont achevé sur une seule année la croissance qu’elles avaient précédemment acquises en six ans. Il y a aussi eu d’intéressantes surprises parmi les contributeurs à la performance, comme les produits pour animaux domestiques. Les individus qui souffraient de la solitude durant le confinement, ont adopté des animaux de compagnie, ce qui s’est traduit par une augmentation de 20% des activités des entreprises d'alimentation ou de soins pour animaux. Nous avons enfin observé une demande plus soutenue pour les produits d’hygiène comme les désinfectants et les savons pour les mains. Ces produits sont en passe de devenir des articles que les consommateurs continueront d'exiger et qui feront partie de leur mode de consommation habituel.

La numérisation pourra-t-elle continuer de croitre au même rythme une fois la pandémie passée?

Beaucoup d’individus ont découvert la digitalisation durant la pandémie parce qu’ils n’avaient pas d’autres alternatives. Près de 14% des Américains ont effectué leurs premiers achats en ligne à ce moment. Ayant compris les avantages de ces nouveaux modes de consommation, ils continueront de les solliciter. Mais le taux de pénétration de la numérisation ne continuera pas de croitre au même rythme et nous pouvons prudemment supposer que la croissance des revenus  reviendra à un niveau plus normal. A moyen terme, la croissance des bénéfices de nombreuses entreprises numériques continuera de se développer à un rythme élevé en raison des fortes tendances sous-jacentes. Elle continuera d’être le principal moteur de nos rendements, comme durant la dernière décennie. 

«Nous retrouvons aujourd’hui en Inde les mêmes tendances d’urbanisation
et de produits de base qui dominaient en Chine il y a dix ans.»
Que penser des valorisations des sociétés de paiements en ligne, devenues très tendues au cours de l’année passée?

Dans certains pays comme l’Allemagne, les paiements étaient entièrement réalisés en monnaie sonnante et trébuchante. Lors de la pandémie et pour des raisons évidentes d’hygiène, les paiements électroniques sont rentrés dans les habitudes du consommateur. Ce qui explique pourquoi nous avons vu une croissance phénoménale des chiffres d’affaires suivie par une réévaluation rapide des sociétés, qui est à mon sens, parfaitement en ligne avec leurs nouveaux fondamentaux.

Certaines sociétés tech émergentes se sont également très bien défendues l’année passée. Quelles sont vos perspectives pour les marchés émergents? 

Il est difficile de mettre tous ces marchés dans le même panier…cependant, j’ai observé que nous retrouvons aujourd’hui en Inde, et dans une certaine mesure en Amérique du Sud, les mêmes tendances d’urbanisation et de produits de base qui dominaient en Chine il y a dix ans. De même, les tendances numériques comme le commerce électronique se sont développées à des rythmes différents parmi les pays. Alors que la pénétration du commerce électronique en Chine est bien supérieure à 25%, elle ne dépasse pas 10% en Amérique latine. Toutefois, l'augmentation des investissements dans les infrastructures par les acteurs établis et les fonds de placement privés entraine un rattrapage rapide dans cette partie du monde. 

La transformation digitale remarquable de la Chine parviendra dans nos pays occidentaux dans trois ans. A cause des tensions avec Hong-Kong, les Chinois achètent dorénavant les produits de luxe sur leur sol domestique au détriment de Hong-Kong, même si les tarifs y sont plus élevés. Ainsi, beaucoup d’enseignes de luxe ont quitté la cité portuaire pour la Chine continentale.

Quel changement envisagez-vous dans votre portefeuille pour ces prochains mois?

Nous sommes bien positionnés pour le moyen terme, mais gardons un œil sur l’hygiène et le bien-être, surtout avec l’arrivée des jeunes générations adeptes d’une nourriture et d’un style de vie «healthy».

 

* MSCI All Country World Index (Net Return, EUR)

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