La demande de produits structurés croît sur pratiquement tous les marchés. Elle pourrait croître davantage encore sans une technologie obsolète. Se créent alors des acteurs disruptifs et indépendants, comme Taurus, par exemple. Grâce à qui, depuis décembre 2022, des banques telles que Pictet ou Vontobel peuvent lancer des produits structurés tokénisés sur la blockchain Ethereum.
Pourrait-on ainsi assister, dès 2025, à une accélération des rachats de fintech spécialisées dans les infrastructures de marché basées sur la blockchain? Et qui seront les acquéreurs? Les grandes banques systémiques? Rappelons que, d’après le cabinet Oliver Wyman, spécialiste du conseil pour l’industrie bancaire, les banques ont réalisé moins de 1% de toutes les acquisitions fintech entre 2013 et 2023. Et seulement 13% des 94 transactions dépassaient 300 millions de dollars. Pour Vincent Pignon, président exécutif de Wecan Group, il existe pourtant une intense rivalité entre les infrastructures traditionnelles et disruptives.
Mais quel pourrait être le rôle des pure players technologiques offrant des services aux émetteurs, structureurs, banques ou distributeurs de produits structurés?
On peut imaginer des acteurs indépendants, innovants et disruptifs comme l’américain Coinbase, que Meta a tenté de racheter. De telles entreprises pourraient se substituer aux bourses traditionnelles si ces dernières ne parviennent pas à réaliser leur transformation technologique. Coinbase a justement pour ambition de pouvoir coter toutes les valeurs tokénisées, c’est-à-dire reflétée sur une DLT à l’échelle globale. Si, demain, Coinbase parvient à lister normalement des produits structurés tokénisés, alors on pourra se poser la question de savoir quelle peut bien être l’utilité des plateformes d’échanges traditionnelles.
Environ 90% de tous les ETF cryptos sont cotés sur Coinbase. Même de grands émetteurs d’ETF comme BlackRock utilisent Coinbase pour le dépôt de leurs produits. Il y a là un vrai enjeu de continuité et reste à savoir qui sera l’acteur dominant dans quelques années, sachant qu’une bourse DLT sera supranationale, ouverte 24/24 heures et avec un coût de cotation inférieur à celui des bourses traditionnelles.
Notons aussi que la plupart des pure players disruptifs pourraient simplement être rachetées par des grands acteurs traditionnels et, surtout, régulés. Ces pure players entreront en compétition les uns avec les autres et, au bout de quelques années, il sera possible d’identifier les entreprises les plus abouties et les plus efficaces qui serviront de référence ou de standard pour l’ensemble de la chaîne de valeur. Entreprises qui feront probablement l’objet d’un mouvement de consolidation.
«La réalité est que la blockchain ne va pas supprimer la nécessité de valider certaines étapes.»
Concernant les flux financiers, quelles limites les technologies actuelles présentent-elles?
Nous voyons par exemple des gérants de fortune indépendants s’adressant à un vendeur de produits structurés et à une banque dépositaire. Le gérant donne l’ordre d’achat à la banque, mais l’émetteur du produit structuré doit obtenir au préalable une validation en termes de compliance auprès des deux autres parties. Du coup, le paiement n’est pas débloqué tant que ces éléments ne sont pas réunis. Ce qui peut prendre des jours dans un scénario très optimiste. Dans les faits, cela prend généralement beaucoup plus de temps. Si tout était préparé en amont, comme ambitionne de le faire la technologie des DLT, tout serait fait instantanément, du passage de l’ordre au paiement effectif.
Est-ce que les DLT vont-elles réellement éliminer certains intermédiaires ou vont-elles plutôt amener ces derniers à changer leur façon d’opérer?
Mon intuition personnelle est que, au contraire, ces changements technologiques vont les renforcer. La réalité est que la blockchain ne va pas supprimer la nécessité de valider certaines étapes, comme, par exemple, structurer un produit ou recourir à des services juridiques. Si tous ces intermédiaires parviennent à s’approprier la blockchain ou l’intelligence artificielle, leurs métiers seront améliorés et non supprimés, notamment grâce à une optimisation radicale de leurs processus. Ces intermédiaires vont pouvoir travailler beaucoup plus efficacement sur les fondamentaux de leurs métiers respectifs.
Cela signifie-t-il que tous les acteurs de la chaîne de valeur, même les plus éloignés du métier de la finance, devront obligatoirement passer par une transformation digitale?
A terme, je n’en doute pas. Cette transformation ne se fera pas simultanément et dépendra de la nature du métier. Les acteurs les plus importants de l’industrie financière, tels que les banques ou les bourses, devraient être les premiers à procéder à cette transformation. Rappelons justement que les bourses ont été les premières sociétés à investir dans ce changement. SIX Group, Deutsche Börse, Euronext, NYSE, toutes sont dotées aujourd’hui d’infrastructures reliées à celles des registres distribués.