L’activité de recrutement évolue non seulement en fonction des variations de la conjoncture mais aussi selon les profils recherchés par les entreprises. Quels sont les profils les plus recherchés dans le secteur financier actuellement? Et quelles sont les prestations que les entreprises attendent de la part des sociétés de recrutement. Le point avec Gerrit Bouckaert, CEO Recruiting chez Robert Walters, qui s’exprimait à l’occasion d’un récent passage en Suisse.
Quelles sont les compétences les plus recherchées dans le secteur financier actuellement?
On peut observer qu’une transformation imprévue est en train de se produire dans le secteur des services financiers. La disponibilité de technologies telles que le «machine learning» et l’intelligence artificielle (IA) va apporter d’importants changements au sein des institutions financières, non seulement pour améliorer l’efficience du traitement des opérations de back-office mais aussi dans ce que l’on pourrait appeler l’«engine room» où différentes tâches plus complexes sont aussi prises en charge par les technologies. Cela concerna le développement des produits et services proposés par les institutions financières, tout comme les interactions que celles-ci ont avec leurs clientes et clients. Bien entendu, il y aura aussi toujours au sein de l’industrie financière des entreprises qui choisiront de ne pas utiliser l’IA dans les contacts et interactions qu'elles entretiennent avec leurs clients. Certaines sociétés utiliseront peut-être l’IA dans les interactions avec la clientèle dite affluente mais pas dans les contacts avec les clients les plus fortunés ou HNWI. Dans certains cas, l’IA sera utilisée dans le cadre de l’«engine room» et pour traiter les opérations de back-office mais non pas dans ce qui concerne la gestion des contacts avec les clients.
«La difficulté pour les entreprises issues du secteur financier est que les ‘Tech talents’ sont souvent actifs dans d’autres branches – il faut donc aller les chercher ailleurs que dans son pool de personnel habituel.»
Dans l’ensemble, il faut donc s’attendre à ce que les institutions financières se concentrent à l’avenir davantage sur le recrutement de personnes dotées d’importantes compétences dans le domaine technologique, les «Tech talents» comme on les appelle. La difficulté pour les entreprises issues du secteur financier est que les «Tech talents» sont souvent actifs dans d’autres branches comme les vendeurs de technologies (tech vendors), les sociétés qui développent des logiciels, etc. – et qu’il faut donc aller les chercher ailleurs que dans son pool de personnel habituel.
Le fait qu’il y ait eu un ralentissement dans le secteur des technologies, notamment avec les réductions d’effectifs dans des entreprises comme Google en Suisse, est-elle une chance à saisir pour le secteur financier?
S’il y a un ralentissement ou des réductions d’effectifs dans le secteur de la IT, cela peut bien sûr offrir des opportunités pour des entreprises issues d’autres secteurs. La Suisse, notamment avec les EPF et ses universités, offre un grand pool de talents dans le domaine de la IT, ce qui créée donc des opportunités de recrutement.
Un point important à souligner est que l’évolution rapide des technologies ne concerne pas seulement les personnes affectées au développement de celles-ci – au contraire, toutes sortes d’autres personnes qui travaillent dans le secteur financier devront aussi apprendre à naviguer et travailler avec les nouveaux outils mis à disposition par ces technologies. Cela signifie qu’il faudra donc réentraîner et développer les compétences de toutes sortes de personnes en lien avec les nouvelles possibilités offertes par la technologie.
Ces dernières années, on a pu lire toutes sortes d’études qui prédisent des disparitions massives d’emplois en raison des nouvelles possibilités offertes par l’IA. Qu’en pensez-vous?
Il existe une grande méprise autour de l'IA et de sa capacité à remplacer les emplois actuellement occupés par des humains - ce n'est pas le cas. L'IA a la capacité d'optimiser de nombreuses tâches routinières, ce qui signifie que, graduellement, les gens vont alors se concentrer sur le travail et les tâches avec une plus grande valeur ajoutée. Pour autant, cela ne signifie pas que la technologie va complètement prendre le dessus sur l’humain. Il existera toujours beaucoup de tâches qui ne seront pas remplacées par la technologie. Il y a un certain nombre de choses que la technologie ne peut pas faire : la capacité à résoudre des problèmes ou à penser de manière critique, appliquer l'intelligence émotionnelle ou l'empathie à des situations, et une pensée créative ou innovante.
«En général, les corrections financières majeures entraînent un changement de la demande pour certains rôles plutôt qu'une baisse significative du nombre total de postes.»
Par ailleurs, cela dépend aussi de savoir si la base de clients de l’entreprise souhaite être contactée de manière entièrement numérique – ce qui est le cas pour certains services, comme les réservations de voyage par exemple – ou si elle souhaite avoir une interaction réelle avec des personnes ou des conseillers. Le second cas s’applique en général lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui portent sur des choses importantes ou personnelles: acheter une maison, changer d’emplois, obtenir un diagnostic de santé, etc.
Donc, en résumé, la technologie va assurer toujours plus de tâches - libérant ainsi les professionnels pour des travaux plus stratégiques de niveau supérieur - mais cela ne se produira pas du jour au lendemain. En outre, il faut toujours un certain temps pour que la technologie s’ajuste aux habitudes et aux besoins des clients.
A la sortie de la pandémie, il était beaucoup questions de pénurie de personnel dans toutes sortes de domaines. Est-ce encore le cas chez vos clients aujourd’hui, alors que l’économie mondiale montre des signes de décélération?
Cette question n'a pas de réponse claire et directe. Cela varie d'un secteur à l'autre et peut être saisonnier ou lié aux hauts et aux bas économiques. Par exemple, il y a un ralentissement dans l’économie d’exportations en Suisse mais en même temps il y a d’autres secteurs qui manquent toujours beaucoup de personnel.
Au niveau global, les taux d’intérêt restent encore trop élevés actuellement, en particulier aux Etats-Unis, ce qui décourage les entreprises à faire de nouveaux investissements. Certes, la demande d’emplois est encore élevée – le volume d’emplois total a dépassé ce que nous avons observé avant la pandémie en 2019. Toutefois, il y a simultanément aussi moins de candidats qui sont prêts à changer d’emploi actuellement, notamment en raison des craintes de mesures de réduction des coûts qui pourraient être mises en place par les entreprises en cas de ralentissement. Ces dernières préfèrent alors re-qualifier une partie de leur personnel existant plutôt que de rechercher des candidats externes. Il en résulte une situation qui est parfois appellée le «Big Stay» - à savoir qu’aussi bien du côté des employeurs que des candidats potentiels, il y a moins de volonté à s’engager. A mon avis, cette tendance sera de courte durée – les choses vont s’améliorer quand les taux d’intérêt vont baisser et que les entreprises seront à nouveau davantage incitées à investir davantage.
Lorsqu’il s’agit de recruter des candidates ou des candidats qui ne vivent pas encore en Suisse, quels sont généralement les avantages ou les obstacles qui les encouragent ou les découragent à venir travailler en Suisse?
Un des grands avantages est le niveau élevé des salaires, même si celui-ci doit être mis en relation avec les coûts de la vie en Suisse. S’y ajoute le faible niveau comparatif des impôts ainsi que la qualité de la vie et la sécurité.
«Il en résulte une situation qui est parfois appellée le ‘Big Stay’ - à savoir qu’aussi bien du côté des employeurs que des candidats potentiels, il y a moins de volonté à s’engager.»
S’agissant des inconvénients, les difficultés à pouvoir accéder à la propriété sont souvent évoquées. S’y ajoutent parfois les aspects liés à l’intégration sociale, notamment pour les personnes qui ne parlent aucune des langues nationales. Cela peut être un défi, même si d’un point de vue purement professionnel, l’anglais suffit pour travailler dans l’entreprise.
Robert Walters a annoncé en juillet vouloir regrouper sous une même marque ses différentes activités, à savoir le recrutement, l’outsourcing de recrutement («Recruitment outsourcing») et le conseil («Talent advisory»). Dans le dernier segment du conseil, quels types de services proposez-vous?
La demande des clients porte sur différents types de conseil. Elle concerne par exemple la Market Intelligence. Dans ce cas, un client souhaite, par exemple, faire le point pour comprendre pourquoi il est particulièrement difficile de recruter certains profils spécifiques dans un endroit donné. Ou alors, il s’agit de clients qui envisagent d’établir une présence dans une région donnée du monde, par exemple l’Amérique latine, et qui veulent connaître quelle est la disponibilité de personnel compétent dans les domaines souhaités sur ce marché.
Un autre domaine est celui de la comparaison des salaires ou «salary benchmarking» en anglais. Dans ce cas, les clients souhaitent pouvoir disposer de données fiables dans un segment de marché donné.
Une autre tendance, qui a récemment gagné en importance, est celle du conseil pour les questions liées à la diversité. Un institut financier important nous a mandaté pour vérifier qu’il n’avait pas de biais dans le cadre de ses processus de recrutement. Nous avons développé un outil spécifique qui aide les entreprises à évaluer des aspects tels que la diversité, l’égalité ou l’inclusion dans les processus de recrutement de cet établissement. Globalement, le conseil, ou Advisory, est la branche qui croît le plus rapidement au sein de notre entreprise actuellement.
Le début du mois d’août a été marqué par une importante correction sur les marchés financiers. De tels événements ont-ils ou non une influence sur le recrutement de personnel dans le secteur financier?
Oui, les corrections majeures ou les fluctuations sur les marchés financiers peuvent avoir un impact sur le recrutement du personnel dans le secteur financier. En période d'incertitude ou de volatilité, les institutions financières peuvent se montrer plus prudentes dans leurs pratiques d'embauche. Elles peuvent retarder ou réduire leurs efforts de recrutement, notamment pour les postes non essentiels, afin de gérer les coûts et atténuer les risques potentiels. De plus, les organisations peuvent donner la priorité à la rétention des employés existants plutôt qu'à l'embauche de nouveaux. Cependant, l'impact spécifique peut varier en fonction de la gravité et de la durée de la correction, ainsi que de la santé générale de l'économie et du secteur financier.
En général, les corrections financières majeures entraînent un changement de la demande pour certains rôles plutôt qu'une baisse significative du nombre total de postes. Par exemple, lors d'une période de ralentissement, la demande de professionnels de la gestion des risques peut augmenter, tandis que la demande de professionnels de l’investissement peut diminuer.