L’UBP se rapproche de la barre des 200 milliards de francs sous gestion. L’établissement genevois a en effet procédé à deux acquisitions dans le private banking qui ajouteront 25 milliards de francs aux 150,8 milliards atteints à la fin juin. Mais comment se développe l’asset management? Quelles sont les pistes de croissance et quel est le comportement des clients? Nicolas Faller, CEO de l’asset management à l’UBP, répond aux questions d’Allnews:
Quel bilan tirez-vous du premier semestre?
Le premier semestre s’est inscrit dans la continuité de l’année dernière. L’environnement est resté marqué par les attentes de baisse de l’inflation et donc des taux d’intérêt. Les clients privés maintiennent un fort volant de cash. Les fonds de pension pansent leurs plaies de 2022 et travaillent à la réduction de la volatilité de leur portefeuille.
«Le problème principal des fonds thématiques est d’abord celui du manque de lisibilité du portefeuille.»
Cet environnement n’est pas propice à la prise de risque ni à une augmentation de l’exposition aux actions, d’autant que la forte concentration de la hausse sur la «Big Tech» complique la visibilité du marché. Le secteur obligataire a donc les faveurs des investisseurs institutionnels, avec une prédominance pour les stratégies de portage (crédit), et un intérêt toujours marqué pour les marchés privés en raison de leur moindre volatilité.
Les investisseurs ont-ils raté la hausse de 2024, y compris le rebond qui a succédé à la correction de début août?
Les investisseurs attendaient une correction depuis quelque temps. Ils n’ont, paradoxalement, pas souffert des turbulences de cet été et quelques-uns en ont même profité. Aucune panique ne s’est manifestée lors du pic de volatilité.
Dans quelles classes d’actifs avez-vous le mieux performé?
En termes d’argent frais, nous avons tiré notre épingle du jeu dans les produits à revenu fixe, notamment jusqu’à la fin mars avant d’assister à quelques prises de bénéfices, puis, aujourd’hui, à un retour des acheteurs.
Dans les actions, jusqu’à la fin mars nous avons profité de la réduction de la partie thématique des portefeuilles des clients institutionnels. L’exposition aux produits thématiques avait connu une véritable inflation ces dernières années, encouragée par les banques.
Mais ces fonds ont l’inconvénient d’une forte volatilité et il n’est pas aisé de rentrer et de sortir au bon moment de ce type d’exposition. Des thématiques telles que la transition énergétique ont par exemple subi de lourdes pertes en septembre de l’an dernier.
Aujourd’hui, beaucoup de banques conseillent de réduire le recours aux approches thématiques et privilégient la construction de portefeuilles plus équilibrés dans l’optique d’une augmentation de la volatilité.
Nous n’avons pas souffert de ces développements parce que nous avons peu de fonds thématiques. Nous avons bénéficié de flux positifs dans les fonds en actions globales, avant d’observer quelques prises de profits et un rebalancement sur les ETF.
Au premier semestre, nous enregistrons une légère décollecte, sous l’effet de ces prises de bénéfices, après avoir collecté 1,5 milliard de francs l’année dernière.
Pourquoi anticipez-vous un déclin structurel des fonds thématiques?
Le problème principal des fonds thématiques est d’abord celui du manque de lisibilité du portefeuille. Certaines thématiques ont détruit de la performance en 2023, un cru pourtant positif après une année boursière 2022 difficile. Au moment de l’analyse des portefeuilles, il est apparu que certains clients accumulaient des lignes de produits thématiques, sans réelle stratégie. Ceci va à l’encontre des attentes d’un client qui veut comprendre la performance et la cohérence de son portefeuille ainsi que les risques qu’il prend.
«Le rendement net des portefeuilles de hedge funds atteint 6% en francs depuis le début de l’année, et il se situait entre 10 et 12% sur l’ensemble de l’année 2023.»
Après des excès de collecte dans les fonds thématiques, nous devrions assister à une normalisation. Cela n’enlève rien aux mérites à long terme de ces tendances séculaires telles que la transition énergétique entre autres.
Prenons l’intelligence artificielle (IA), la transition énergétique et la classe d’actifs des hedge funds. Quelle piste est la plus prometteuse?
L’IA, la transition énergétique et les hedge funds sont tous trois prometteurs. Tout dépend de la construction du portefeuille. Le client doit être conscient qu’avec une part de 80% dans les fonds thématiques, son portefeuille peut voir sa volatilité grimper à 20 ou 30%. Il faut comprendre que nous vivons dans un monde de décumulation.
Qu’entendez-vous par une décumulation?
Cela signifie que l’essentiel des richesses de la clientèle privée sont détenues par des clients qui ont davantage besoin d’un flux de revenus que de gains en capital. Sous l’effet des tendances démographiques, la clientèle vit plus longtemps. Elle cherche moins à parier sur une thématique telle que l’IA qu’à protéger son patrimoine afin de le transmettre à la prochaine génération.
Cet environnement est structurellement plus favorable aux produits de revenu tels que les obligations. Le même phénomène s'observe auprès de la clientèle institutionnelle en raison de ses besoins de financement des retraites.
Tant que l’IA profite d’une forte croissance des bénéfices, il n’y a pas de problème, mais l’attention des marchés s’est tellement concentrée en août sur le résultat d’une seule société, Nvidia, que cela devenait hallucinant. Le gérant d’un portefeuille ne peut pas être tributaire d’une forte réaction d’un seul titre. Certaines valorisations sont telles qu’une croissance légèrement inférieure aux attentes peut produire des sanctions vertigineuses.
Est-ce une raison pour redécouvrir les hedge funds?
La dislocation est telle sur certains secteurs que l’élastique finira par casser. Les gérants de hedge funds sont les mieux équipés pour tirer parti de ces nouvelles inefficiences de marché.
Plusieurs facteurs me rendent optimiste pour les hedge funds, comme l’environnement de taux d’intérêt positifs, l’assainissement du marché illustré par la disparition de nombreux gérants alternatifs, et surtout la dislocation de marché qui, pour la première fois depuis 10 ans, produit des revenus.
Le rendement net des portefeuilles de hedge funds atteint 6% en francs depuis le début de l’année, et il se situait entre 10 et 12% sur l’ensemble de l’année 2023. La performance est supérieure à celle des obligations. Nous revenons à un régime favorable aux hedge funds.
Est-ce que vous enregistrez un afflux de fonds dans les hedge funds?
Nous commençons à observer un afflux de fonds dans les hedge funds. Beaucoup de clients qui avaient noté la faible performance des hedge funds entre la crise financière et 2020 se mettent à réaliser que cette classe d’actifs affiche à nouveau de bons rendements et les intègrent dans leur allocation d’actifs.
Quels segments de hedge funds sont les plus intéressants actuellement?
Nous aimons moins le segment de «l’event-driven» que le «global macro» et l’arbitrage de crédits et nous devenons plus positifs sur le «long/short equity». Nous essayons de bien diversifier l’exposition pour obtenir un profil de risque qui s’apparente à la volatilité du crédit.
Est-ce que le marché des hedge funds s’est fortement restreint?
Les investisseurs sont partiellement sortis des hedge funds en Europe, alors que le marché est resté stable aux Etats-Unis. L’Europe avait découvert plus tardivement les hedge funds et a subi de plein fouet la crise de 2008.
L’industrie des hedge funds a beaucoup changé, par exemple en termes de transparence. Nous sommes convaincus de son potentiel en vertu des changements structurels évoqués.
Nous sommes d’ailleurs le seul grand établissement bancaire suisse à avoir maintenu de solides capacités dans ce domaine, dans la gestion, le «due diligence», la construction de portefeuille et le «reporting».
Ce phénomène s’explique aussi par le comportement de banques qui sont sorties des hedge funds pour se concentrer sur les marchés privés. L’UBP a développé ces derniers mais sans réduire nos activités dans les hedge funds.
Que représentent les hedge funds dans les portefeuilles des clients?
Les hedge funds représentent environ 10% d’un portefeuille équilibré. C’est un niveau significatif alors qu’il est pratiquement nul dans de nombreuses banques.
Existe-t-il un risque de carrière pour le banquier, hors de l’UBP, où l’alternatif fait partie de l’ADN, à recommander les hedge funds?
Le gérant court un risque de carrière s’il propose les hedge funds à ses clients sans bénéficier du support nécessaire. La banque doit lui donner les moyens d’accompagner ses clients en lui offrant des solutions de portefeuilles ou de hedge funds individuels. Ce soutien est également nécessaire dans les marchés privés.
L’histoire de l'UBP dans les hedge funds nous permet aussi de donner aux clients l’accès à des produits qui restent inaccessibles dans d’autres établissements.
Je précise que ce n’est pas parce que les hedge funds font partie de notre ADN que nous investissons sans discernement ou que nous sommes dogmatiques. Au contraire, nous croyons fermement à leurs atouts, encore plus aujourd’hui qu’hier.
Quelles sont vos capacités dans les hedge funds?
Nous employons environ 25 professionnels uniquement sur cette classe d’actifs. Nous nous sommes rapprochés de nos clients et nous avons recentré nos activités en Europe, à Genève et Londres, avec des équipes de recherche, de gestion, de «due diligence», et de «reporting». Nous avons fermé notre présence américaine après avoir fait le constat que la proximité avec les gérants US induisait un comportement dans le choix des fonds et la composition de portefeuille qui était plus adapté à une clientèle américaine qu’européenne ou asiatique.
Enfin, nous disposons d’outils uniques et nous sommes les seuls à être capables de fournir un «reporting» à un client avec l’analyse consolidée de toutes les positions de hedge funds du client dans une autre banque.
La clientèle asiatique est-elle attirée par les hedge funds?
La clientèle asiatique est peut-être la plus intéressée à investir plus franchement dans les hedge funds. Deux mandats importants nous ont été confiés par deux grands gérants de fortune, à Hong Kong et Singapour. Le problème des investisseurs asiatiques est complexe. Historiquement centré sur les actions, le marché asiatique est très dépendant de la Chine, un marché qui restera durablement compliqué, davantage que celui des obligations chinoises.
Le marché asiatique s’est donc un peu déplacé vers le revenu fixe et vers des alternatives telles que les marchés privés et maintenant les hedge funds, afin de viser 8 à 10% de rendement de plus que sur le revenu fixe. N’oubliez pas que cette clientèle n’a guère été pénalisée par les événements qui ont touché les hedge funds en 2008.
Vous avez investi dans Angel Japan AM, donc dans les «small & mid caps» japonaises, qui ont déçu alors que l’indice des grandes valeurs a bondi. Quelles en sont les leçons?
Le marché japonais a été redécouvert par les investisseurs internationaux, qui ont privilégié les grandes capitalisations. Notre timing n’a pas été heureux, même si nous n’avons pas perdu d’actifs sur le marché domestique. Nous n’avons toutefois pas pu vendre notre produit comme prévu hors du Japon. Mais je reste convaincu de son potentiel.
Comment analysez-vous la correction récente, provoquée par le relèvement des taux japonais?
La correction du marché japonais a été forte en août mais les «small caps» ont été épargnées. Mon optimisme à moyen terme se nourrit des attentes de stabilité du yen, voire de sa hausse. L’investisseur n’apprécie guère de perdre sur le monnaie ce qu’il a gagné sur les actions. Les «small caps» seront moins pénalisées par une possible future hausse du yen que les grandes valeurs.
En dehors des hedge funds, quels sont vos actifs préférés?
Pour le revenu fixe, l’accent est mis sur le crédit (IG, HY ou la dette émergente) parce que la croissance économique est suffisante pour empêcher une augmentation du taux de défaut et que nous ne pouvons guère espérer une hausse des taux d’intérêt.
Dans les actions, nous préférons les produits globaux. Nous avons un peu relevé l’exposition aux titres européens pour bénéficier d’un effet de rattrapage des valorisations. Et nous restons positifs sur le Japon.
Quel est votre scénario pour les marchés à court terme?
Rien aujourd’hui ne fait craindre une forte correction. L’inflation diminue progressivement tandis que les taux de chômage restent corrects et que la croissance économique réduit son allure. Les banques centrales devraient baisser les taux d’intérêt. Nous appartenons au camp de l’atterrissage en douceur.
Il est toutefois difficile de prévoir l’avenir des valeurs qui ont quintuplé en deux ans. Si un accident se produisait par exemple sur Nvidia, à la suite d’un recul des marges et des revenus par exemple, notamment la réaction négative serait forte.
Est-ce que l’inflation de 2% sera un plancher ou un plafond?
Ce sera un plancher en raison de changements structurels intervenus ces quinze dernières années. Citons une déglobalisation partielle, une moindre croissance du secteur du e-commerce (qui avait pesé sur les prix), et des prix des matières premières élevés, compte tenu des problèmes de production pour plusieurs d’entre elles dans le secteur énergétique. Diverses forces déflationnistes appartiennent au passé.
Est-ce que la baisse des taux sera massive?
Non. Nous ne croyons pas du tout à une baisse massive des taux d’intérêt. Même l’an dernier, nous n’y avions pas cru. Les déficits budgétaires sont trop élevés. Les actifs financiers sont correctement valorisés. Il serait particulièrement inopportun de créer une nouvelle bulle en baissant les taux significativement. Enfin, je pense que les banques centrales se sentent un peu coupables d’avoir réagi tardivement lors de la hausse de l’inflation. La Fed devrait baisser les taux au maximum deux fois cette année.