Investir dans l’eau conserve un fort potentiel

Olivier Wurlod

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Face aux scandales de l’eau embouteillée, Simon Gottelier, co-gérant de la stratégie Water chez Thematics AM, souligne les opportunités liées à cette ressource vitale.

Souvent qualifiée d’«or bleu», l’eau représente un marché en constante croissance. Les dernières prévisions 2018-2023 publiées par Global Water Intelligence (GWI) indiquaient que l’ensemble du secteur était sur le point de franchir le seuil symbolique des 1000 milliards de dollars. «Le marché mondial de l’eau se développe à un rythme plus soutenu qu’à n’importe quel moment depuis 2010. Cela dit, le niveau d’investissement reste largement inférieur à ce qui serait nécessaire pour entretenir les infrastructures existantes et répondre aux exigences liées à l’urbanisation, à la protection de l’environnement et au changement climatique», expliquait Christopher Gasson, éditeur chez GWI.

Au cours des derniers trimestres, l’attention des investisseurs s’est portée sur l’industrie de l’eau embouteillée. Celle-ci a enchaîné les scandales ces derniers mois, avec des affaires d’eau polluée ou filtrée illégalement par des géants comme Nestlé. En début d’année, la multinationale basée à Vevey a même fini par filialiser sa division Nestlé Waters, laissant penser qu’une revente pourrait être envisagée.

Simon Gottelier, co-gérant de la stratégie Water au sein de Thematics AM, revient sur cette actualité, tout en rappelant que les véritables opportunités d’investissement dans le secteur de l’eau ne se limitent pas au seul domaine de l’eau embouteillée. Entretien

Les récents scandales liés à l’eau embouteillée ont ébranlé l’industrie. Quel impact ces affaires ont-elles eu sur l’ensemble du secteur et sur ses principaux acteurs, tels que Coca-Cola, Danone, Nestlé et d’autres?

Chez Thematics, nous avons exclu le segment de l’eau embouteillée de notre univers d’investissement dès la création de la société, pour des raisons liées à la durabilité. Ces entreprises ne sont donc pas prises en compte dans notre analyse du secteur, car nous nous concentrons sur celles qui proposent des services ou des technologies répondant aux enjeux structurels de long terme. Cette dynamique de croissance repose notamment sur les déséquilibres entre l’offre et la demande en eau à l’échelle mondiale.

Au cours de la dernière décennie, le marché de l’eau en bouteille a pourtant connu une croissance de 30% en volume et de 60% en revenus…

Bien qu’il existe un véritable intérêt à recourir à l’eau embouteillée dans certaines régions du monde – notamment, mais pas uniquement, dans les économies en développement – nous ne pensons pas que les entreprises mentionnées apportent de solutions aux enjeux d’efficacité de la demande, de contrôle de la pollution ou aux défis liés aux infrastructures.

Nous pensons qu’un investissement ciblé dans des segments de la chaîne de valeur qui s’attaquent à des problématiques urgentes, telles que la pollution ou l’approvisionnement en eau, notamment à travers des systèmes de traitement pour les foyers ou les hôtels, est susceptible de générer de meilleurs rendements tout en évitant les risques médiatiques associés aux controverses mentionnées précédemment.

Comment conseillez-vous aujourd’hui un investisseur qui souhaite investir de manière intelligente dans ce secteur diversifié?

Dans une perspective globale, nous recommandons de s’intéresser aux moteurs de croissance à long terme, ainsi qu’aux opportunités qu’ils génèrent. Par exemple, on observe des perspectives durables liées à la mise en place de nouvelles infrastructures destinées à accompagner la croissance démographique dans des pays en développement tels que la Chine ou le Brésil. Parallèlement, on constate une augmentation continue des dépenses de rénovation dans les économies développées, où les réseaux d’eau ont été chroniquement sous-financés depuis des décennies.
La régulation et l’élimination des substances chimiques nocives présentes dans l’eau, ainsi que la réponse aux phénomènes extrêmes – inondations, sécheresses – accentués par le changement climatique, constituent également des opportunités à long terme.

Il est important de rappeler qu'en plus d'être une ressource vitale, l'eau est essentielle à l'activité économique; Sans elle, pas de développement de l’intelligence artificielle, de fabrication de vêtements, de matériaux de construction, d’hydrocarbures ni de médecine – pour ne citer que quelques exemples. 

En mettant l’accent sur les opportunités d’investissement, nous invitons nos clients et prospects à considérer le marché de l’eau comme essentiellement structuré autour de dynamiques cycliques: habitudes de consommation, cycles industriels ou encore agriculture. De nombreuses entreprises – souvent en forte croissance – fabriquent une vaste gamme de produits, allant des systèmes de chasse d’eau à faible consommation, aux pompes industrielles, en passant par les systèmes de refroidissement économes en eau pour centres de données, ou encore les systèmes d’irrigation pivotants, pour n’en citer que quelques-uns.

À côté de ces acteurs de croissance, il existe également des entreprises à profil plus traditionnellement défensif, actives dans le domaine du contrôle de la pollution. Celles-ci conçoivent des équipements capables d’identifier les polluants dans les échantillons d’eau et d’eaux usées. Issus du secteur de la santé, ces dispositifs peuvent également servir à détecter des agents pathogènes ou certaines maladies dans des échantillons de sang ou de tissus.

Pensez-vous que l’eau reste encore une ressource sous-évaluée par les marchés et les investisseurs, malgré les défis environnementaux et les préoccupations croissantes concernant la gestion des ressources en eau?

Je le pense, en effet – notamment si l’on considère l’ampleur des opportunités à long terme qu’offre ce secteur. Prenons le cas des centres de données: ils consomment aujourd’hui jusqu’à 19 millions de litres d’eau par jour, soit de quoi alimenter plusieurs milliers de foyers ou d’exploitations agricoles. Le coût de cette eau représente une part non négligeable de leurs dépenses: entre 10% et 15% du coût total d’un centre est consacré au refroidissement.

Ainsi, de l'intérieur, le secteur commence lentement à prendre conscience du défi que représente la disponibilité de l’eau, et à rechercher des moyens de réduire sa consommation. Cela dit, si l’on recontextualise l’eau comme une opportunité stratégique dans une sorte de «ruée vers l’or» industrielle moderne et complexe, il est légitime de s’interroger: pourquoi tant de personnes ont tardé à reconnaître l'opportunité de croissance à long terme que représente le secteur?

Dans un contexte de sécheresse croissante, quel est le risque que les États renforcent leur contrôle sur la gestion des ressources aquifères, au détriment des entreprises privées du secteur?

On ne peut jamais dire jamais. Il est donc difficile d’exclure totalement cette éventualité, mais une réglementation pragmatique, associée à une planification de long terme et à l’utilisation conjointe de toutes les technologies disponibles – qu’elles soient mises en œuvre par les États, les municipalités, les services publics ou les acteurs privés – devrait permettre de limiter sensiblement ce risque. 

De plus, des solutions simples, comme implanter des infrastructures fortement consommatrices d’eau (telles que les centres de données) loin des zones arides, peuvent contribuer à atténuer les tensions sur la ressource et à réduire significativement les risques liés à l’eau.

La qualité de l’eau potable est de plus en plus préoccupante, avec des polluants tels que les PFAS et les microplastiques. Comment ces enjeux peuvent-ils affecter les investissements dans le secteur de l’eau, ou au contraire créer de nouvelles opportunités?

Les gros titres négatifs concernant les PFAS abondent, et personne ne veut de ces soi-disant «produits chimiques éternels» dans son eau potable. Pourtant, l’identification, l’élimination et la destruction de ces substances – ainsi que d’autres composés similaires – représentent une opportunité de croissance attractive dans les trois grands piliers de l’investissement dans l’eau: l’efficacité de la demande, le contrôle de la pollution et les infrastructures. 

La filtration, les lits de charbon actif et d’autres technologies de traitement – tant pour les services publics que pour les usages domestiques – ont gagné en importance en raison de l'augmentation de ces polluants. De plus, les entreprises de gestion des déchets utilisent des technologies de destruction, qu'elles soient chimiques ou thermiques. 

Nous constatons que les opportunités liées à la problématique des PFAS viennent renforcer un marché mondial de l’eau qui a historiquement affiché une croissance annuelle moyenne de 5 à 7% depuis plusieurs décennies. Nous anticipons que cette dynamique bénéficiera de vents porteurs durables dans les années à venir.

Quelles régions du monde représentent les meilleures opportunités d’investissement dans le domaine de l’eau, notamment face aux enjeux liés à la gestion des ressources et aux infrastructures?

Les opportunités de croissance dans le secteur de l’eau ne dépendent pas vraiment de la géographie. Par exemple, une économie émergente aux réglementations environnementales encore peu développées et affichant un fort besoin d’infrastructures peut sembler, de prime abord, plus attractive qu’un marché mature ou qu’un service public fortement régulé, comme au Royaume-Uni.

C’est pourquoi nous concentrons notre analyse non pas sur les pays eux-mêmes, mais sur le potentiel de rendement ajusté au risque des services et technologies dans lesquels nous investissons. Cette approche exige de prendre en compte des facteurs multiples: la situation géopolitique, la gouvernance, les cycles industriels, le comportement des consommateurs, ainsi que des aspects macro et microéconomiques.

Des éléments plus spécifiques, comme la tarification des matières premières, jouent également un rôle clé dans nos décisions d’investissement. Une technologie qui croît de 10% par an dans un pays peut croître de 20% dans un autre, mais avec un risque plus élevé. Cette approche du risque et de l'évaluation est essentielle pour trouver le bon équilibre entre les investissements cycliques et défensifs dans le secteur de l'eau.

Des fonds spécialisés, tels que le Pictet Water Fund, qui fête ses 25 ans d’existence, sont devenus populaires. Comment ces fonds se portent-ils actuellement, et quelles sont les perspectives d’avenir en termes de performance et de stratégie d’investissement pour ce type de véhicule financier?

Forts de plusieurs décennies d’expérience dans le secteur, nous avons constaté que les fonds mondiaux investis dans l’eau ont généré des rendements solides sur le long terme. Nous continuons d’encourager les investisseurs à considérer l’eau comme une opportunité d’investissement à long terme.

Comme on peut l’imaginer, ces fonds sont généralement très exposés à des secteurs comme l’industrie ou les services publics. Cela peut rendre certaines périodes – comme 2024, marquée par les performances exceptionnelles des «Magnificent 7» dans le secteur technologique – particulièrement complexes en termes de comparaison relative.

Cela étant dit, notre objectif reste clair: surperformer les actions mondiales de 200 à 300 points de base par an, en moyenne, sur l’ensemble du cycle. Et nous restons convaincus que cet objectif est atteignable. De manière générale, les fonds spécialisés dans l’eau affichent des rendements attractifs sur le long terme, avec peu de périodes prolongées de sous-performance.

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