Les hedge funds ont repris des couleurs

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Depuis 2022, certaines stratégies affichent de belles performances et leurs perspectives sont excellentes. Quelques questions à Kier Boley d’UBP.

Stars du marché à la fin des années 1990 et au début des années 2000, les hedge funds ont vu leur popularité décliner à partir de la crise financière. Mais certains fonds ont continué à bien performer et la classe d’actifs a affiché d’excellents résultats en 2022 et 2023. Depuis 2015, on constate également la dominance des plateformes multi-stratégies de très grande taille telles celles de Brevan Howard, de Marshall Wace ou de Millenium. Kier Boley co-dirige les investissements alternatifs de l’Union Bancaire Privée dont environ 17 milliards de dollars sont exposés aux hedge funds. Il répond à quelques questions.

Depuis quelques années, les hedge funds paraissent avoir perdu de leur popularité.

Au début des années 2000, les hedge funds ont joui d’une immense popularité, notamment parce qu’ils représentaient un élément important de la diversification des portefeuilles et offraient des performances attractives et décorrélées aux actifs traditionnels. Entre 2010 et 2020, ces performances se sont réduites, dû aux changements structurels du marché, ce qui a eu un impact sur leur popularité. De plus, depuis 2015, d’autres alternatives ont fait leur apparition sous forme de private equity ou de dette privée. Depuis la crise du Covid, nous assistons cependant à une nette amélioration de la performance des hedge funds, ainsi qu’un regain d’intérêt progressif des investisseurs.  

«Les stratégies equity long/short continueront à offrir des opportunités.»

Pourquoi leur performance s’est-elle détériorée?

Parce que l’industrie est devenue plus conservatrice, largement en raison d’un changement de profil de ses investisseurs. Les fonds de pension américains en sont devenus très friands ce qui a engendré des volumes beaucoup plus importants et mené à des frais bien plus modestes, le tout accompagné de stratégies nettement moins audacieuses. La volatilité étant très faible, les couvertures étaient coûteuses et difficiles à rentabiliser. Ajoutez que, post-crise, la réglementation s’est beaucoup durcie, obérant encore davantage les coûts. Jusqu’en 2021 et au retour de l’inflation.

Quel impact sur la classe au sens large?

Les coûts de fonctionnement d'un hedge fund autonome étant trop élevés, de nombreux gérants se sont regroupés autour de plateformes multi-stratégies de très grande taille telles celles de Brevan Howard, de Marshall Wace ou de Millenium.

Pourquoi ces grandes plateformes dominent-elles le marché?

Elles se sont montrées très actives dans l’embauche des talents venant de l'ensemble du secteur financier, bien que récemment elles se soient plutôt retournées les unes contre les autres dans le cadre d'une véritable «guerre des talents». Par ailleurs, elles répartissent leurs investissements entre un grand nombre de stratégies et de gestionnaires au sein de chacune de leurs stratégies, ce qui crée une certaine diversification. En outre, leur modèle opérationnel économe en liquidités permet une surallocation avec un effet de levier plus important. Enfin, étant structurées autour de l'utilisation de stop loss, les traders voient leur allocation au risque réduite au fur et à mesure qu'ils perdent de l'argent et seront totalement exclus lorsqu'ils atteindront un niveau de perte spécifique. Ce qui limite la perte qu'un trader peut causer à l'ensemble du portefeuille.

Qu’en est-il des frais? Ont-ils réellement baissé?

Sur les formats UCITS, les frais ont diminué sans aucun doute. Ils tournent autour de 1% pour les frais de gestion et 15% pour ceux de performance; les stratégies fortement exposées au bêta des marchés percevant des commissions plus faibles que celles générant de l’alpha. Ce que l’on a vu apparaitre sur les fonds de qualité, est une répercussion directe des coûts de gestion sur le client final, appelée «pass-through». Ce qui peut représenter en fin de compte jusqu’à 8% de frais de gestion auquel s’ajoutent encore 20% de commission de performance. C’est l’approche adoptée par les grandes plateformes multi-stratégies. Autant dire qu’il leur faut être très performantes pour se permettre ce type de frais et pourtant, leurs fonds sont fermés et les listes d’attente bien longues.

Pourquoi l’UBP est-elle l’une des rares banques privées à avoir maintenu son intérêt pour la classe d’actifs?

Parce que loin des feux de la rampe, certains fonds ont continué à très bien performer – autour de 10 à 12% avec un ratio de Sharpe de 2 - et qu’une partie de notre clientèle a eu tendance à les préférer aux fonds de private equity et de private debt pour leur liquidité. Les hedge funds ont obtenu d’excellents résultats en 2022, quand les marchés ont souffert, mais également en 2023. Les clients privés plébiscitent le plus souvent le format UCITS pour des raisons de liquidité mais les institutionnels sont parfaitement satisfaits de la version off-shore au Luxembourg ou en Irlande à liquidité trimestrielle.

Quels encours gérez-vous sur cette classe d’actifs

Environ 17 milliards de dollars sont exposés aux hedge funds. Grâce à une équipe de 26 personnes réparties entre Genève et Londres avec quelques éléments à Paris et à Hong Kong.

Quelles stratégies ont donné les meilleurs résultats?

Sur les derniers 12 à 18 mois, les fonds equity long/short appliquant une approche GARP1 sur des entreprises de qualité dans la tech aux Etats-Unis ou le luxe en Europe ont réalisé de bonnes performances. Les stratégies market neutral se sont également bien comportées en 2022 et 2023 en raison de la dispersion des marchés actions due à la sensibilité aux taux. Les secteurs de la santé, de la biotechnologie et des services publics, par exemple, ont eu du mal à s'adapter à la hausse des taux d'intérêt. Les stratégies global macro ont également affiché de très bons résultats en raison des attentes sur les taux d'intérêt et de l'augmentation de la volatilité. Sans oublier celles sur les matières premières. Côté fixed income, le trading des «micro-rates» qui joue sur d’infimes différences sur les taux des obligations souveraines (aux USA, en Grande-Bretagne ou en Europe) ont bien performé. Tout comme les obligations convertibles.

Quelles sont vos perspectives sur la classe?

Je suis optimiste. Les stratégies equity long/short continueront à offrir des opportunités. C’est également vrai des secteurs de l’énergie stimulés par la transition énergétique et les dépenses d’armement. Dans ce domaine, on pourra jouer le gaz contre les autres énergies fossiles. Dans l’univers des commodités plus généralement, tant l’agriculture que les métaux présentent du potentiel, le cuivre en particulier dont l’offre est insuffisante. Notez qu’au terme de 15 ans de marché baissier, il est très difficile d’identifier des hedge funds de qualité sur les matières premières, la plupart des bons gérants ayant rejoint les grandes plateformes multi-stratégies. Toutefois, ils recommencent à apparaitre. Basés aux Etats-Unis, à Londres et en Suisse, ils sont souvent issus de sociétés de négoce des matières premières qui maitrisent aussi les aspects physiques du commerce et peuvent ajuster le risque entre flux physiques et contrats à terme. On observe également des opportunités dans le crédit long-short car les taux plus élevés permettent de mieux trier le potentiel des entreprises. Si nous restons sur un marché plus volatil - l'inflation devrait vraisemblablement se maintenir à un niveau plus élevé que par le passé avec des niveaux d'intérêt supérieurs à ce qu'ils étaient avant 2020 -, nous aurons besoin d'objectifs à plus long terme. Les hedge funds devraient offrir un rendement stable de l’ordre de 8% (soit 4% au-dessus du cash) ce qui pourrait amener les investisseurs à revenir sur ces stratégies.

 


1 GARP: growth-at-a-reasonable-price

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