La hausse des actions américaines a surpris de nombreux investisseurs. Malgré le rebond des rendements obligataires, l’indice S&P 500 a établi de nouveaux records historiques.
En marge d’un déplacement à Genève pour la conférence annuelle de la banque privée ODDO BHF Suisse, son directeur des investissements Jan Viebig répond aux questions d’Allnews sur la capacité des actions américaines de poursuivre leur hausse et sur la stratégie d’investissement actuelle menée par la banque.
Les marchés boursiers sont à des niveaux records aux Etats-Unis, au Japon et en Europe, alors que le discours évoque souvent un climat de crise. Qui a tort?
Le principal risque est celui d’une récession américaine. Il peut être évalué à l’aune de la courbe des taux d’intérêt. Actuellement, selon cet indicateur, la probabilité d’une récession d’ici 12 mois se monte à 60% aux Etats-Unis. Nous pensons au contraire que les Etats-Unis n’entreront pas en récession. Selon des modèles fondés sur le marché de l’emploi, qui constituent des indicateurs fiables, les marchés de l’emploi restent toujours stables aux Etats-Unis et en Europe. Le taux de chômage s’élève à 3,7% aux Etats-Unis, ce qui est historiquement très bas. Les Etats-Unis ne devraient pas entrer en récession ces 12 prochains mois. Et si, contrairement à nos attentes, les Etats-Unis entraient en récession et que le marché des actions corrigeait, nous y verrions une opportunité et augmenterions notre part d'actions. Nous restons prudents.
Assisterons-nous à un atterrissage en douceur ou à l’absence d’atterrissage («no landing»)?
Si la croissance économique atteint 2%, comme nous le prévoyons, cela correspond à une absence d’atterrissage ou à un «no landing».
Si le multiplicateur demeure à 22 fois, l’indice S&P devrait atteindre 5300 points.
Qu’en est-il de l’Europe?
L’Allemagne, la première économie européenne, est déjà en récession et les estimations de croissance sont trop élevées. Le FMI anticipe une progression du PIB de 0,5% en 2024. La croissance devrait être plus proche de 0% selon nous. L’Allemagne présentera la plus faible croissance de toutes les grandes économies. Le contraste est frappant avec les Etats-Unis.
Quelles sont vos perspectives et votre analyse concernant l’économie chinoise?
La Chine est un pilier de l’économie mondiale puisqu’elle est la 2e plus grande économie au monde. Elle a présenté officiellement une augmentation du PIB de 5,2% en 2023. Beaucoup pensent qu’en réalité la croissance était significativement plus faible. Certains instituts de recherche l’estiment à seulement 1,5%. Les données officielles sont à exploiter avec précaution. L’incertitude demeure sur le taux exact, si ce n’est que la réalité économique est sensiblement moins bonne que ne le suggèrent les données officielles.
La Chine souffre des conséquences de la crise de l’immobilier, lequel représente 26% de l’économie. La charge de la dette d’Evergrande par exemple s’élève à un montant considérable de plus de 350 milliards de dollars. L’économie souffre aussi de l’interventionnisme de l’Etat dans les affaires des entreprises, à l’image d’Alibaba. Nous pensons que la croissance va s’affaiblir en Chine. Les actions chinoises reflètent déjà cette détérioration des perspectives. Le multiple des bénéfices des sociétés chinoises n’est que de 7 fois alors qu'il est 22 fois plus élevé pour les groupes américains. Les raisons ne manquent pas pour justifier le faible niveau de valorisation des actions chinoises.
La hausse récente des rendements obligataires traduit des craintes de refinancement de la dette américaine. Quel est votre scénario pour les taux et les obligations?
Les Etats-Unis ont relevé les taux directeurs à 11 reprises durant le cycle de resserrement de la politique monétaire. La Fed est intervenue massivement pour combattre l’inflation. Son regard se concentre sur l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation). Cette dernière s’élève à 3,9%, ce qui est nettement trop élevé par rapport à l’objectif de 2%. Les taux d’intérêt devraient donc diminuer plus lentement que le marché ne l’anticipait encore récemment soit jusqu’à 6 baisses de taux. Nous prévoyons 3 à 4 réductions de taux directeurs en 2024 dans le sillage du recul de l’inflation sous-jacente. La première baisse pourrait intervenir au début de l’été.
«En Suisse, nous apprécions plus particulièrement Richemont et Nestlé»
Quelles en seront les conséquences pour l’économie américaine et le système financier?
La hausse des taux d’intérêt a créé une forte instabilité dans l’immobilier américain qui se répercute sur le secteur bancaire. Les banques doivent supporter des pertes non-réalisées sur leurs crédits, comme l’a montré la crise de la SVB. Aujourd’hui, les pertes non-réalisées représentent 25 à 30% des fonds propres des banques. Le risque est considérable pour ces établissements et il est bien supérieur à ses homologues européens. Le ratio de fonds propres de niveau 1 est notamment plus bas aux Etats-Unis qu’en Europe. Le secteur immobilier américain est également en difficultés. C’est pourquoi nous n’avons presque pas d’exposition dans les actions de banques américaines et dans l’immobilier américain.
Les problèmes bancaires et immobiliers risquent-t-il de pénaliser toute la bourse américaine?
Le problème est circonscrit aux banques et à l’immobilier, où nous voyons un grand risque de correction. Par contre, les secteurs tels que l’intelligence artificielle (IA) ou la santé sont nettement plus attrayants.
L’indice S&P semble maintenant peiner à poursuivre sa hausse. Attendez-vous une correction?
Notre allocation est très proche de notre objectif stratégique et privilégie les actions. Le rendement des actions à long terme devrait être nettement supérieur à celui des autres classes d’actifs.
Nous ne sous-pondérons pas les actions américaines parce que les bénéfices par action devraient augmenter d’environ 10% cette année. Si le multiplicateur demeure à 22 fois, l’indice S&P devrait atteindre 5300 points.
Dans le cas où les Etats-Unis entraient en récession, le marché baisserait de 15 à 20% comme nous l’observons depuis 1965 lorsque l’activité se contracte.Dans un tel scénario, nous augmenterions l’allocation aux actions. Depuis un demi-siècle, il a toujours été intéressant d’investir durant une récession. Aujourd’hui, nous sommes prudemment optimistes.
Existe-t-il un risque politique de surpondérer les Etats-Unis?
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis impliquerait moins de soutien financier pour l’Ukraine. Washington paie 46% des coûts totaux de la guerre en ce moment. Avec une élection de Trump, l’Europe souffrirait davantage que les Etats-Unis puisque l’Union Européenne devrait davantage dépenser pour sa propre défense. Avec Donald Trump, la Chine et l’Allemagne seraient également pénalisées parce qu’il leur serait plus difficile d’exporter des biens aux Etats-Unis. Enfin, avec Donald Trump, les coûts de l’énergie devraient rester supérieurs en Europe à ceux des Etats-Unis. Dans ce contexte, les actions américaines devraient alors être à privilégier.
«Sur le plan des valorisations, le marché américain est cher, mais en excluant les «7 magnifiques», la valorisation s’inscrit dans la moyenne.»
Sur le plan des valorisations, le marché américain est cher, mais en excluant les «7 magnifiques», la valorisation s’inscrit dans la moyenne. Et au sein des «7 magnifiques,» il existe de grandes différences. Tesla est massivement surévaluée, mais nous continuons d’investir dans Alphabet, Microsoft et Amazon.
Que pensez-vous de Nvidia?
Nvidia se traite à 40 fois les bénéfices pour 2024 et 33 fois ceux de 2025. Le titre est cher mais son taux de croissance des bénéfices est très important. Si vous supposez que sa progression se poursuivra au même rythme, Nvidia n’est pas aussi cher qu’il n’y paraît. Mais si la concurrence s’accroît et que la croissance des bénéfices diminue, alors le titre deviendra vraiment cher. Nous n’investissons dans Nvdia que si le client accepte de courir ce risque.
De fait, nous préférons investir dans l’ensemble de la chaîne de valeur des semi-conducteurs plutôt que de nous limiter seulement à Nvidia. Il est plus intéressant d’investir de façon diversifiée, par exemple par l’achat de sociétés comme Synopsis qui font des logiciels destinés aux fabricants de semi-conducteurs ainsi qu’avec des fabricants de machines pour les semi-conducteurs et des producteurs de semi-conducteurs.
Est-ce que vous prévoyez une rotation sectorielle après l’envol de la Big Tech en ce début d’année?
Nous investissons dans Microsoft, Amazon et dans bien d’autres valeurs technologiques. L’IA est l’un des principaux moteurs de la hausse des indices. Ce n’est pas une mode mais une tendance qui soutiendra les marchés durant des années. Par exemple, si l’an dernier la priorité consistait à programmer un ordinateur, cette année, les ordinateurs sont capables d’apprendre eux-mêmes de leur expérience grâce aux données qui leur sont fournies. L’an dernier, chacun parlait de ChatGPT et cette année on est passé à l’implémentation, par exemple avec l'assistant AI Copilot de Microsoft. Il résulte de cette transformation que les revenus de ces sociétés vont nettement progresser.
Quelles actions européennes ont un potentiel?
Le rendement des fonds propres des groupes américains est 5% plus élevé aux Etats-Unis, mais il existe de fantastiques sociétés qui se traitent à une valeur correcte en Europe. Je pense à Novo Nordisk, le premier producteur d’insuline au monde, qui profite des nouveaux médicaments contre l’obésité. Schneider Electric, au bénéfice d’un management de grande qualité et du potentiel des Data Centers, fait aussi partie de sociétés attrayantes. En Suisse, nous apprécions plus particulièrement Richemont et Nestlé. Nous ciblons des sociétés de qualité en priorité.
Quelle diversification du portefeuille proposez-vous?
Nous privilégions les actions parce qu’elles offrent le meilleur rendement à long terme, ensuite viennent les obligations pour les investisseurs plus averses au risque, et l’or, qui stabilise le portefeuille.