Microfinance sur la Route de la Soie

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Entretien sur la finance d’impact en Europe de l’Est et en Asie Centrale avec Vincenzo Trani, CEO de Mikro Kapital.

C’est Marco Polo et non Xi Jinping que Vincenzo Trani évoque lorsqu’il parle de Route de la Soie. Difficile, en effet, d’imaginer des projets plus éloignés des investissements pharaoniques lancés par les Chinois que ceux conduits par Mikro Kapital: un portefeuille de 50'000 prêts dont la moyenne tourne autour de 20'000 euros et dont 40% sont consentis à des agriculteurs, titrisé en obligations réunies dans deux fonds. Entretien sur la finance d’impact en Europe de l’Est, en Asie Centrale et aux frontières occidentales de l’Asie. 

Comment en êtes-vous venu à créer une société de microfinance en Europe de l’Est?

De 2001 à 2005, je gérais la microfinance au sein du système bancaire russe pour le compte de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) à Moscou. Il m’a donc semblé naturel – et souhaitable – de continuer dans la même lignée lorsque j’ai ouvert Mikro Kapital en 2008 au Luxembourg. Mikro Kapital ne couvre plus seulement l’Europe de l’Est. Notre activité s’étend aujourd’hui de Hong Kong à l’Italie, en passant par tous les pays de la CEI1

«Nous avons distingué deux pools
car certains investisseurs préfèrent éviter la Russie.»
Comment fonctionne votre modèle?

Nous avons établi deux fonds d’obligations qui investissent dans des prêts et des opérations de leasing aux petites et moyennes entreprises. Le premier, Mikro Fund, est investi sur tout notre terrain d’activité y compris la Russie et la Biélorussie. Le second, Alternative Fund, est de même nature mais est davantage tourné vers les pays de la CEI (Roumanie, Moldavie, Arménie) et les pays émergents d'Asie orientale. Les deux fonds investissent grâce à notre propre réseau d'agences régionales ainsi qu’à des petites institutions financières locales, des sociétés de leasing, des banques ou des coopératives de crédit. Les deux fonds collectent des ressources financières auprès d'investisseurs institutionnels et privés européens par le biais de EMTN (European Medium Term Note) d'une maturité de 18 ou 24 mois. Les obligations émises (en dollar, euro et franc suisse) sont de type High Yield avec des coupons de l’ordre de 7 à 7,5% en euro selon la maturité (4 à 5% en CHF). Ces obligations sont disponibles sur Clearstream et Euroclear, cotées sur Bloomberg et notées sur Morningstar. Elles sont aussi certifiées sur le plan de la finance durable. 

Les deux fonds sont très semblables. Pourquoi les différencier? Quelle est votre clientèle?

Il n’y a pas d’investisseurs retail. Uniquement des investisseurs institutionnels de type family offices, banques ou fonds de placement tiers. Nous avons distingué deux pools car certains investisseurs préfèrent éviter la Russie. 

Comment êtes-vous organisés sur le terrain?

Nous opérons à partir de filiales ouvertes dans tous les pays où nous travaillons. Ces entités sont enregistrées auprès des autorités financières locales soit avec une licence de dépôts, soit avec une licence de leasing, soit avec une licence bancaire selon l’activité dans le pays. L’analyse du crédit est conduite par notre propre personnel et nous employons en tout plus de 1’700 collaborateurs dans 19 pays sur des financements agricoles, artisanaux ou de petite industrie (cartonneries, céramiques etc.). En Russie, nous mettons également à disposition des entrepreneurs une plateforme de financement peer-to-peer2.

«Le taux que nous appliquons aux prêts des petites entreprises
se monte à deux fois le taux directeur de la devise locale.»
Quels taux appliquez-vous aux prêts auprès des petites entreprises?

En règle générale, le taux se monte à deux fois le taux directeur de la devise locale. Notez que le pourcentage de défaut est historiquement très faible, moins de 1% depuis le lancement des fonds. Notez également que, puisque nous prêtons en devises locales, nous devons couvrir le risque de change des fonds ce qui peut se révéler assez couteux. 

Les circonstances peuvent être difficiles pour vos débiteurs. Comment l’abordez-vous?

Effectivement, il leur est parfois difficile de s’acquitter de leurs obligations financières. Ils n’ont que rarement les collatéraux ou le cash pour couvrir les prêts. Pour les aider, nous leur proposons aussi bien des du crédit-bail financier qu’opérationnel ainsi que des prêts qui ne portent intérêt que pendant la période où les montants sont prélevés, des espèces de prêt «à la minute». Un peu ce qui se faisait autrefois en Italie. Lorsque nous consentons un crédit, il est de notre devoir de nous assurer que nous ne mettrons pas le débiteur en difficulté. 

Vous avec évoqué plus haut une garantie de durabilité. Comment l’établissez-vous?

Nous ne prêtons qu’à des entrepreneurs dont l’activité répond à certains critères (pas de jeux par exemple). En fait, nous adhérons, au sens large, aux Principes d’Investissement Responsable des Nations-Unies et aux normes de la BERD. 

«Notre cœur de métier est de soutenir les petits entrepreneurs qui peinent
à se financer, un focus bien éloigné des grandes manœuvres politiques.»
Quel impact a sur vos projets l’initiative One Belt, One Road qui joue de la même référence historique que vous?

En réalité aucune. Les projets chinois ciblent l’établissement d’une route commerciale de grande envergure pour servir leurs intérêts nationaux. Notre cœur de métier est de soutenir les petits entrepreneurs qui peinent à se financer, un focus bien éloigné des grandes manœuvres politiques. 

Par quel biais distribuez-vous vos fonds en Suisse?

Par le biais de notre société General Invest de Zurich qui a conclus plusieurs accords avec des courtiers qui les proposent aux family offices, aux banques et aux gérants d’actifs. 

Avez-vous noté un appétit croissant pour ce type de finance d’impact?

Sans aucun doute. Nous gérons aujourd’hui plus de 530 millions d’actifs contre 380 millions il y a deux ans. L’appétit est fort mais il est difficile de croitre vite dans un domaine où l’étude de chaque crédit demande du temps. Les prêts sont accordés exclusivement à des entreprises de qualité qui font l'objet d'une due diligence détaillée et rigoureuse (procédure de crédit de la BERD). Seules 20 à 30% des demandes de nouveaux prêts sont accordés.

1 La Communauté des États indépendants (CEI) a été créée en 1991 par onze pays de l'ex-URSS: Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine, rejoints en 1993 par la Géorgie.
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