Les prochaines étapes du marché vietnamien

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Le rendement du marché vietnamien des actions est similaire aux actions américaines à long terme, selon Quynh Le Yen de Dragon Capital.

Il est rare qu’un fonds de placement en actions soit créé avant l’ouverture du marché boursier d’un pays. Tel est le cas au Vietnam avec Dragon Capital. La société a été fondée par Dominic Scriven, à Ho Chi Minh City en 1994, dans l’anticipation de la future ouverture du marché des actions. A cette époque le PIB par habitant ne dépassait pas 227 dollars. Il atteint 2500 dollars en 2021, selon le FMI.

Dragon Capital est le plus grand gérant de fonds au Vietnam, avec 5,6 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Environ 95% de ses actifs sont investis en actions cotées au Vietnam et le reste en obligations domestiques. Quynh Le Yen gère depuis 10 ans le fonds UCITS Vietnam Equity Fund (rendement annuel net de 11,6% (en dollars) et un volume de 291 millions de dollars d’actifs). Elle répond aux questions d’Allnews:

Quels ont été les principaux changements intervenus sur le marché vietnamien des actions ces 2-3 dernières années?

L’afflux d’investisseurs locaux sur le marché est considérable ces 2-3 dernières années. Durant le covid, en août 2020, le gouvernement a introduit une règle (EKYC) qui autorise les privés à ouvrir un compte chez eux et à négocier des actions. Le volume de transactions quotidien s’est accru de façon spectaculaire. Il est passé de 300 millions de dollars avant le covid à plus d’un milliard de dollars actuellement. Le pic de volume s’est élevé à 2 milliards de dollars. Le Vietnam peut être comparé à d’autres marchés émergents. Il est devenu un marché investissable pour les investisseurs étrangers. La capitalisation boursière s’est d’ailleurs accrue pour atteindre 291 milliards de dollars.

Quels investisseurs déterminent les tendances?

Le chiffre d’affaires quotidien est tiré par les investisseurs privés locaux à hauteur de 85%. Les internationaux le considèrent comme un investissement à long terme et non pas comme un objet de trading à court terme. Ils investissent en vertu de la forte croissance économique du Vietnam et de sa solidité. Comme la part d’une société détenue par des étrangers est limitée, ces derniers ont une stratégie de «buy and hold» et conservent durablement leurs actions.

«A la différence de la Chine, l’essentiel de la capitalisation boursière provient d’entreprises non-étatiques.»
Après une forte hausse depuis le début 2023, le marché vietnamien a nettement corrigé. Quelle est votre opinion sur ce repli?

Les investisseurs locaux assurent la liquidité du marché mais ils sont aussi à la source de sa volatilité. Leur changement de sentiment, la cause de la principale correction de cet automne, résulte de leurs craintes sur l’évolution de l’indice du dollar (DXY). Ils craignent une dévaluation du Dong vietnamien par rapport au dollar américain, laquelle pourrait faire fuir les investisseurs étrangers. A mon avis, cette perception traduit un malentendu. Car le DXY réagit à des considérations techniques et graphiques plutôt que fondamentales. Nous pensons que le Dong restera très résilient. Ces dix dernières années, le Dong s’est révélée la monnaie asiatique la plus solide. Les mouvements à court terme n’expriment qu’un peu de volatilité à court terme. La situation monétaire est saine: le Vietnam profite d’une balance commerciale excédentaire et de forts investissements directs.

Quelle est la corrélation entre les actions vietnamiennes et l’indice &P 500 des actions américaines?

La corrélation est très forte entre les deux indices. La performance annuelle sur dix ans est similaire, même si des divergences se produisent de temps en temps pour refléter des événements locaux. L’économie vietnamienne est devenue très ouverte au marché global ainsi qu’en témoigne le fort pourcentage d’exportations et d’importations par rapport au PIB. L’investisseur considère dorénavant le Vietnam dans son contexte global.

Quels sont les plus grands groupes cotés?

Le plus grand groupe est Vietcombank, une banque détenue à 75% par l’Etat. Le secteur bancaire est d’ailleurs le plus fortement représenté dans l’indice, avec une pondération de 37%.

Est-ce que votre stratégie s’éloigne fortement de l’indice?

Nous ne faisons pas de benchmarkig. Comme gérants actifs, nous nous concentrons sur les fondamentaux des entreprises et notre «active share» (taux de pourcentage de titres qui s’éloignent de l’indice) est très élevée à 60%. Il serait toutefois difficile de l’accroître davantage. Le marché vietnamien est concentré. Les 80 plus grandes valeurs  représentent 80% de l’indice.

Pourquoi vos principales positions sont-elles des banques?

Le secteur bancaire vietnamien forme l’épine dorsale de l’économie. Une croissance du secteur bancaire est nécessaire pour que l’économie vietnamienne prospère.

Le marché obligataire n’est guère développé et celui des actions est encore modeste. Pour obtenir les capitaux nécessaires à leurs investissements, les entreprises et les particuliers doivent s’appuyer sur les banques. Le modèle vietnamien est très différent du chinois. En Chine, beaucoup d’entreprises technologiques gagnent des parts de marché au détriment des banques traditionnelles.

Privilégiez-vous les entreprises indépendantes de l’Etat?

Oui, nous préférons les sociétés privées en raison de leur plus forte croissance. Le gouvernement vise avant tout la stabilité de l’économie et cherche à réduire les risques. A la différence de la Chine, l’essentiel de la capitalisation boursière provient d’entreprises non-étatiques. Le gouvernement encourage la croissance du secteur privé et procède à un programme de privatisations.

Que pensez-vous du risque immobilier au Vietnam?

Le Vietnam a connu une crise immobilière et bancaire en 2012. La banque centrale a alors introduit différentes limites aux prêts bancaires destinés au développement immobilier. Les prêts bancaires destinés à cet usage représentent maintenant 8% du total des crédits, un niveau maintenu à ce niveau pour limiter les risques.

«Le chiffre d’affaires quotidien est tiré par les investisseurs privés locaux à hauteur de 85%.»
 Quelles seront les prochaines étapes de l’ouverture du marché vietnamien des capitaux?

L’ouverture du marché est l’un des principaux défis du Vietnam. Le gouvernement entend rester très conservateur sur ce sujet afin de limiter l’afflux de capitaux internationaux. Il tient à éviter la crise rencontrée par la Thaïlande en 1997. A cette époque le Vietnam n’avait pas encore de marché des capitaux. L’ouverture se réalisera lentement mais sûrement. Le gouvernement veut que l’épargne des Vietnamiens soit investi dans leur pays.

 Qu’en est-il de l’intégration des actions vietnamiennes dans les indices internationaux?

Le Vietnam fait partie de l’indice MSCI Frontier Markets  et il en est la plus grande composante avec 27%. La prochaine étape consistera à l’inclure dans le MSCI Emerging Index. Nous espérons qu’il l’intégrera d’ici 3 à 5 ans. Plusieurs obstacles restent à franchir, notamment la participation étrangère dans les entreprises. Il n’est par exemple pas possible pour un ETF d’investir au Vietnam actuellement.

 Quel est le lien entre la croissance économique du Vietnam et la progression de l’indice boursier?

Le marché boursier ne profite pas de l’expansion des investissements directs des entreprises étrangères au Vietnam. Mais il comprend un grand nombre d’entreprises privées vietnamiennes qui reflètent l’évolution de l’économie réelle.

Quelles sont les perspectives économiques du Vietnam?

Nous prévoyons un ralentissement de la croissance économique en 2023 à 4 à 5%, ce qui serait inférieur à l’objectif du gouvernement, situé à 6,5%. L’écart s’explique par l’affaiblissement de la demande globale et le niveau élevé des taux d’intérêt.

Depuis mars dernier, le gouvernement a déjà procédé à des réductions de taux d’intérêt afin de soutenir la conjoncture. Le niveau des taux interbancaires à un mois est maintenant de 2%. Il est inférieur à celui des taux américains. Mais avec la hausse des taux américains, le Vietnam ne peut guère réduire davantage ses taux d’intérêt.

Quelle est votre stratégie de durabilité?

Dragon Capital est le premier gérant de fonds vietnamien à considérer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans son processus d’investissement.  Mais c’est un domaine de recherche récent dans le pays. Le entreprises ne sont pas encore tenues par la loi de publier des informations portant sur leur stratégie durable. Nous devons effectuer ce travail d’analyse nous-mêmes. Nous dédions deux analystes à ce sujet.
Nous coopérons avec les entreprises. En cas de problème de durabilité, nous en discutons avec le management. En l’absence d’amélioration, nous vendons nos positions.

Est-ce que vous excluez certains secteurs?

Nous avons une liste d’exclusion. Nous utilisons les recommandations de l’IFC (Banque Mondiale) pour avancer sur ce dossier.

A lire aussi...