La Suisse est un marché clé pour la finance durable

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Nick Henderson de BMO, les objectifs de développement durable sont un bon cadre pour induire un changement positif chez les entreprises.

Les produits d’investissement durables, qu’ils soient actifs ou passifs, sont toujours plus nombreux sur le marché. Sur quelle base peut-on faire reposer les produits qui intègrent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur approche d’investissement? Les objectifs de développement durable (ODD) tels qu’ils sont définis par les Nations Unies offrent un bon cadre pour la finance durable, estime Nick Henderson, gérant de portefeuille chez BMO Global Asset Management. Entretien avec le spécialiste de la finance durable qui effectuera une présentation dans le cadre du Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI), dont la dixième édition aura lieu le jeudi 23 mai à Genève.

BMO Global Asset Management a lancé en mars un nouveau fonds qui met l’accent sur les 17 objectifs des Nations Unies en matière de développement durable. En quoi se distingue votre approche de celle d’autres fonds qui intègrent également les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur processus de sélection? 

Nous investissons dans des entreprises de petites et moyennes capitalisations avec lesquelles nous avons la possibilité d’agir en faveur des 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies grâce à notre engagement pour inciter ces sociétés à améliorer leurs pratiques pour les rendre plus durables. Dans tous les cas, nous pensons que les ODD constituent un bon cadre pour induire un changement positif chez les entreprises et la manière dont elles gèrent leurs activités. 

«L’actionnariat actif permet d’influencer les entreprises
dans un sens favorable du point de vue des critères ESG.»

Le but n’est donc pas uniquement d’investir dans des entreprises bien gérées mais aussi d’accompagner des sociétés dans un processus de changement vers le durable. A cet égard, nous pensons aussi que l’actionnariat actif permet d’influencer les entreprises dans un sens favorable du point de vue des critères ESG. L’idée est d’avoir une approche réellement globale à propos de la durabilité afin de pouvoir accroître l’efficacité de notre engagement sur ce plan. Le fait que nous soyons, en tant que gérant d’actifs, impliqués de longue date dans les questions de durabilité – BMO avait lancé son premier fonds éthique il y a déjà plus de trente ans – est un atout important pour aborder cette thématique sur un plan réellement global.

Il existe 17 ODD, qui se subdivisent chacun à leur tour en une dizaine de sous-objectifs. Lesquels d’entre eux comptent le plus dans votre processus de sélection des titres ou dans votre engagement actionnarial? 

Nous investissons d’abord dans des entreprises que nous considérons comme étant de qualité. Cette phase s’inscrit dans un processus de sélection classique. Ensuite, nous prenons en considération les opportunités d’améliorer la conduite d’une entreprise pour la rendre plus durable. Chaque ODD est important en soi, mais je voudrais mettre l'accent sur les questions liées aux changements climatiques (ODD 13), de l'égalité des sexes (ODD 5) et aux plastiques dans les océans (ODD 12 et 14) en tant que domaines qui nous intéressent tout particulièrement.

Vous intervenez donc parfois directement dans le mode opératoire des entreprises. Comment?

Prenons par exemple le cas de Dali Food Group, une société chinoise active dans l’alimentation et les boissons. Nous pensons qu’il vaut la peine de nous engager dans un véritable dialogue avec cette entreprise pour faire évoluer ses activités dans une perspective plus durable. Un point important à améliorer chez cette société se rapporte à la réduction de sa consommation de plastique, en l’incitant à utiliser d’autres types d’emballage. Au final, la mise en place de telles mesures permettra à Dali Food Group de s’améliorer non seulement sur le plan environnemental mais aussi en termes de réputation, ce qui, au final, peut contribuer à améliorer sa valorisation sur le plan financier.

«L’idée est de voir comment une entreprise s’est engagée
par le passé et comment elle pourrait le faire à l’avenir.»
Est-il vraiment possible d’évaluer en détail chaque société à l’aune de chacun de ces 169 sous-objectifs?

Parmi ces 169 sous-objectifs, nous en avons sélectionné 80 pour lesquels nous pensons qu’il y a réellement une opportunité d’engagement afin de mettre en place des changements. L’idée est de voir comment une entreprise s’est engagée par le passé et comment elle pourrait le faire à l’avenir.

Les trois principaux secteurs dans lesquels vous investissez sont, dans l’ordre, l’industrie, la santé et la finance. Quels sont les enjeux spécifiques d’un point de vue ESG ou des ODD pour chacun de ces domaines?

Les priorités diffèrent bien entendu d’une branche à une autre. Dans l’industrie, les aspects environnementaux figurent généralement au premier plan. Dans le domaine de la santé, l’accent est davantage placé sur l’aspect social, à savoir en particulier la capacité pour les sociétés actives dans le domaine de proposer des solutions dans toutes les régions où il y a de la demande pour certains traitements. L’accessibilité aux produits et aux services du point de vue des prix est un enjeu très important du point de vue des ODD. Dans la santé, on privilégiera certains objectifs spécifiques – comme le point 3.8 qui vise à assurer un accès à des services de santé essentiels de qualité et à un coût abordable – pour s’assurer que tout le monde puisse avoir accès à ces traitements. Ici, il ne s’agit ici donc pas uniquement d’évaluer une entreprise du point de vue de ses conditions de production à l’interne mais aussi d’évaluer, au niveau de la distribution, si les besoins de l’utilisateur final ont été correctement pris en compte.

«La demande ne vient pas seulement des acteurs institutionnels
mais aussi de la gestion de fortune.»
Qu’en est-il du secteur financier? Peut-on appliquer la même grille d’analyse?

Il y a plusieurs points communs avec la santé. Dans le cadre de notre engagement dans le domaine financier, nous attendons que les acteurs de ce secteur veillent à rendre l’accès aux services financiers sur l’ensemble du globe. Un sous-objectif des ODD – le point 8.10 qui vise à généraliser l’accès de tous aux services bancaires et financiers – aborde spécifiquement ce point. Toutefois, il y a aussi d’autres objectifs, non spécifiques au seul secteur de la finance, qui sont importants dans ce domaine, par exemple le point 5.5 qui traite de l’égalité des sexes et qui vise à assurer que les femmes aient une participation effective dans les entreprises.

Vous participez jeudi au GFSI à Genève. Comment évaluez-vous le rôle de la Suisse dans le domaine de la finance durable?

La Suisse occupe une place importante dans la finance durable et constitue un marché important pour nous. Je pense que le marché helvétique s’est véritablement rallié aux objectifs du développement durable. La demande ne vient du reste pas seulement des acteurs institutionnels mais aussi de la gestion de fortune. Qu’il s’agisse des clients privés, des gérants de fortune ou d’autres structures comme celle des family offices, il y a aujourd’hui un réel besoin à pouvoir aligner les intérêts entre les objectifs de placement, d’un côté, et, de l’autre, les valeurs individuelles. Les clients de la jeune génération sont réellement en train d’intégrer la dimension de la durabilité, dans les placements comme dans d’autres domaines.