La forme de la courbe des taux est-elle déterminante?

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Indicateur de récession fiable pendant des décennies, la courbe des taux pourrait signifier autre chose cette fois-ci. Entretien avec Jan Viebig d’ODDO BHF.

Historiquement, une inversion de la courbe des taux indique une récession à venir. Et pourtant, Jan Viebig, Chief Investment Officer de ODDO BHF, y lit une stagnation et non pas le repli dramatique que nous avons vécu lors d’autres épisodes de crise car les grands indicateurs (taux de chômage, réduction de l’output industriel) ne sont pas au rendez-vous.

Une courbe des taux inversée est signe de récession. Est-ce ainsi que vous la lisez à l’heure actuelle?

Les structures inverses des taux d’intérêt ont été un indicateur très fiable des recessions au cours des six dernières décennies. Mais les choses paraissent un peu différentes cette fois-ci. J’estime que la probabilité d’une récession aux États-Unis au cours des 12 prochains mois et actuellement d’environ 60%. Ces chiffres étaient bien supérieurs l’an dernier et sont significativement en baisse. Attention toutefois: l’appréciation varie considérablement d’un modèle à l’autre… et d’une semaine à l’autre. Reste aussi à définir ce que l’on entend par récession. Il y a la définition du National Bureau of Economic Research qui implique une baisse significative d’un certain nombre d’indicateurs clés (emploi, production) et qui ne semble pas s’appliquer au contexte actuel. Plutôt qu’une véritable récession nous semblons avoir à faire à une récession technique qui correspond à deux trimestres de croissance négative comme nous l’avons vu en Allemagne. Il s’agit de stagnation plutôt que de récession.

Quelles sont les différences majeures entre Etats-Unis et Europe?

Aux Etats-Unis, le marché de l’emploi est beaucoup plus vigoureux. Le nombre d'emplois vacants s'y élève à 10 millions pour seulement 6 millions de chômeurs environ. Par conséquent, la consommation est beaucoup plus forte ce qui nourrit l’inflation, raison pour laquelle la Fed doit continuer à augmenter les taux. En utilisant la règle de Taylor , one ne peut que conclure que les banques centrales doivent maintenir la pression. Aux Etats-Unis, nous sommes probablement proches de la fin mais en Europe, il faut encore s’attendre à au moins deux nouvelles hausses des taux d'intérêt.

Peut-on s’attendre à davantage de défauts et à un risque de crédit plus prononcé?

Oui mais sans comparaison avec les périodes comparables. Les défauts hypothécaires américains sont en hausse mais de manière beaucoup moins prononcée que pendant la dernière grande crise financière ou pendant la crise du Covid. Il en est de même des prêts aux entreprises.

Et à quoi peut-on s’attendre dans le secteur bancaire qui parait vulnérable?

Sur ce point, la différence entre les Etats-Unis et l’Europe est importante. Et aux Etats-Unis, il faut différencier les grandes banques des banques régionales. Pour ce qui est de ces dernières, elles avaient emmagasiné des montants très importants de dépôts au cours de la période du Covid et les avaient largement investis en prêts à long terme dont la valeur s’est effondrée avec la remontée des taux d’intérêt, les laissant avec des pertes non réalisées estimées à environ 620 milliards de dollars. Une situation née d’une modification apportée par l’administration Trump à la réglementation qui leur avait permis de ne pas respecter certains ratios prudentiels. Tant que ces banques ne sont pas contraintes à vendre et peuvent conserver les prêts jusqu’à maturité, le dommage reste néanmoins peu visible avec quelques exceptions comme SVB qui avait 16 milliards de capital et 15 milliards de pertes non réalisées. Cette problématique n’existe pas en Europe et le cas de Credit Suisse est d’une toute autre nature. Il s’agit ici d’une crise de confiance causée par une série de scandales et non du résultat d’une crise systémique.

Dans quelle mesure la crise actuelle compromet-elle l’immobilier?

L’immobilier a bénéficié d’une longue période de taux bas qui a fait monter les prix à des niveaux extrêmement élevés, trop élevés. Avec la remontée des taux, les cours de l’immobilier chutent dans la plupart des pays développés. Toutefois, pour l’instant, les propriétaires ne vendent pas ce qui maintient un certain palier. Mais si le chômage venait à augmenter, le prix de l’immobilier en viendrait à souffrir notablement.

Qu’en est-il des matières premières?

L'énergie a déjà considérablement décliné. Le ralentissement de l'économie réduit la demande ce qui entraîne une baisse substantielle des prix du pétrole. L'or, quant à lui, augmente en raison des doutes qui pèsent sur le système financier. Le cuivre a baissé parce que la demande décline. Ce sera vrai de beaucoup de matières premières car le secteur de la construction ralentit, en particulier en Chine où la croissance est forte, mais pas autant qu'avant.

Dans ce contexte, comment identifier les bonnes entreprises où investir?

La qualité est primordiale. Les critères les plus importants à nos yeux sont l’efficacité de l’usage du capital (rendement des capitaux propres, rendement des flux de trésorerie), un avantage compétitif clair, une croissance structurelle due aux trends de consommation et non à des variations de PIB, le respect de certains critères ESG et une valorisation raisonnable, telle que définie par HOLT que nous utilisons comme outil d’évaluation.  Le respect de ces paramètres offre une garantie de rendement sur le long terme.

Et sur quels secteurs se porte plus particulièrement votre attention en ce moment?

Le premier est l’intelligence artificielle où l’on a pu observer deux formidables percées: l’utilisation du «convolutional neural network» dans la reconnaissance et le traitement des images et l’application du «transformer model» qui permet de traiter de formidables quantités de données et qui est particulièrement adapté au langage naturel. Les entreprises de semi-conducteurs qui fabriquent les processeurs nécessaires à l'optimisation des réseaux neuronaux, les entreprises qui disposent de grandes quantités de données indispensables aux modèles d'intelligence artificielle et les entreprises de logiciels qui programment des algorithmes d'apprentissage toujours plus intelligents profiteront de ces développements. Le second secteur qui nous interpelle tout particulièrement est celui du luxe car avec l’essor des classes moyennes au niveau mondial, un nombre croissant de personnes peuvent se permettre ce type de biens.

A lire aussi...