Le prix de l’or est sur un trend favorable. Et la demande de métal jaune continue de progresser, ainsi qu’il ressort du rapport du World Gold Council qui fait référence en la matière. Elle s’est en effet accrue de 4% pour atteindre 1258 tonnes au deuxième trimestre 2024. C’est un record pour un deuxième trimestre. La hausse la plus spectaculaire provient du segment de gré à gré (+53% à 329 tonnes). La demande des banques centrales s’est ralentie même si elle a augmenté de 6%. Le point faible de la demande est venue de la joaillerie (-19%), effrayée par les niveaux atteints par le cours du métal. Krishan Gopaul, Senior analyste auprès du World Gold Council, répond aux questions d’Allnews:
Vous travaillez depuis 13 ans pour le World Gold Council. Quel a été le plus grand changement que vous ayez observé sur ce marché?
L’un des principaux changements provient des achats nets d’or des banques centrales depuis 2010 après qu’elles aient été vendeuses nettes durant deux décennies. Une accélération des achats s’est produite en 2022 et en 2023. L’accumulation s’est poursuivie au premier semestre 2024. Le virage s’est produit juste avant que je rejoigne le World Gold Council.
Est-ce que ces achats se concentrent sur la Chine ou sur une poignée de banques centrales?
Les achats proviennent d’un groupe étendu de banques centrales de pays émergents, en particulier de la part de la Chine et de la Russie, mais aussi de l’Ouzbékistan, de l’Inde, du Kazakhstan et, plus récemment, de pays d’Europe de l’Est. Les achats sont plus modestes au sein des pays industrialisés, par exemple à Singapour. Cette concentration sur les pays émergents s’explique par le fait qu’historiquement les banques centrales des pays industrialisés détiennent déjà des positions significatives en or.
Est-ce la conséquence d’un monde devenu plus multi-polaire et du processus de «dédollarisation»?
Nous procédons régulièrement à un sondage auprès des banques centrales qui porte sur les raisons de leur détention d’or. L’enquête publiée en juin souligne que, à leurs yeux, l’or se comporte favorablement en temps de crise et protège contre l’inflation. C’est aussi une réserve de valeur qui offre des atouts en termes de diversification des réserves internationales. Ce dernier élément ressort clairement des récents sondages.
L’émergence d’un monde multi-polaire et des incertitudes générales que chacun peut observer au plan international alimentent naturellement le besoin de détenir de l’or. Malheureusement il n’y a guère de raison pour penser que ces incertitudes diminueront à court terme. Les banques centrales devraient continuer à acheter de l’or.
«La tendance observée récemment dans les flux d’ETF sur l’or signale un intérêt plus marqué des investisseuurs occidentaux.»
Vous pensez que le prix de l’or devrait être stable ou plus élevé au deuxième semestre. Est-ce que la perspective de baisses des taux d’intérêt est le principal soutien de la tendance haussière?
La tendance observée récemment dans les flux d’ETF sur l’or signale un intérêt plus marqué des investisseurs occidentaux. L’assouplissement de la politique monétaire est un facteur clé de cette évolution, tant aux Etats-Unis, qu’au Japon, en Europe et en Chine. C’est sans doute le principal moteur des développements positifs du métal jaune, mais il en existe d’autres, à commencer par les inquiétudes liées au déficit budgétaire américain ainsi que le retour sur l’or des investisseurs occidentaux et la poursuite des achats par les banques centrales.
Vous avez réduit votre estimation de croissance de l’offre d’or. Pour quelles raisons?
Nous avons légèrement réduit les prévisions d’offre, mais la production minière devrait tout de même établir un nouveau record historique en 2024 sous l’effet par exemple d’une expansion au sein des mines existantes. L’une des raisons de la diminution des prévisions est liée à un ajustement baissier du montant d’or recyclé, en particulier en Inde.
Est-ce que groupes miniers ont tendance à accroître leurs activités de hedging du cours de l’or?
Nous estimons que le dehedging a été modéré, pour un montant de 6 tonnes au deuxième trimestre, mais une incertitude demeure en raison du moment de la publication de notre rapport. Toutes les compagnies n’avaient pas encore publié leurs données. Nous pensons que la performance du prix de l’or au premier semestre amène certaines entreprises minières à rester exposés au marché pour l’instant.
Sur le plan de l’investissement financier, pourquoi les institutionnels et les family offices se tournent-ils de plus en plus vers le marché OTC de l’or?
Notre classification d’or «visible» comprend les barres et les pièces (au max un kilo d’or) ainsi que les ETF, alors que l’OTC comprend les éléments moins visibles, dont les barres plus lourdes. Certains «ultra high net worth individuals» (UHNWI) ont investi dans ces autres formes d’investissement, moins visibles, que celles qui sont appréciées du grand public.
Les raisons de leur intérêt sont identiques à celles qui ont été citées précédemment. L’incertitude économique et géopolitique conduit aussi bien les institutionnels que le grand public à accroître leurs positions en or.
Est-ce cet attrait du marché OTC conduit à une diminution de la transparence du marché?
Il est malheureusement difficile de mesurer avec précision l’évolution du marché OTC. Dans notre rapport, l’OTC correspond au total de la demande diminuée par ce que nous pouvons mesurer.
Nous sommes toutefois confiants que nos estimations sont correctes à la lumière des positions les plus visibles, comme les flux de capitaux vers les ETF et les marchés de Futures. Les tendances sont semblables.
Est-ce que la baisse de 5% de la demande de barres et de pièces d’or résult des difficultés de stockage, des nouvelles réglementations ou d’autres facteurs?
Je ne crois pas qu’elle résulte de difficultés supplémentaires. La demande de barres et de pièces d’or est très forte en Asie. Les investisseurs sont attirés par la tendance haussière du cours et par diverses dynamiques locales, comme des dévaluations de la monnaie locale ou le besoin de protéger le patrimoine. La bonne tenue de la demande en Asie est compensée par une réduction plus significative dans les pays occidentaux. Le solde des deux tendances est négatif uniquement en raison de prises de bénéfices et non pas d’un changement de la tendance structurellement haussière.
Est-ce que nous assistons à un rééquilibrage entre les leaders asiatiques, entre la vigueur de l’économie en Inde et le ralentissement observé en Chine?
La Chine reste le premier marché en Asie. La dynamique n’est pas très différente. La demande de joaillerie a diminué dans les deux pays en raison de la hausse du cours de l’or. De même, la tendance est très robuste dans les deux pays à des fins d’investissement, pour les ETF, les barres et les pièces.
Pourquoi la demande d’or provenant des groupes technologiques est-elle en nette augmentation?
L’explosion de l’intérêt pour l’intelligence artificielle (IA) profite aussi à l’or. Les groupes technologiques comme Nvidia et les autres producteurs de semi-conducteurs ont besoin d’or pour leur système de production, notamment en électronique (+14% sur base annuelle au 2e trimestre). L’or est bien sûr une composante modeste d’un semi-conducteur mais il a l’avantage d’en faire partie. Les données de demande des deux premiers trimestres soulignent cette progression. Les perspectives pour le troisième trimestre sont également positives puisque de nouveaux appareils seront introduits sur le marché, à commencer par Apple et son nouvel iPhone.
Autant la demande que l’offre d’or augmentent à un rythme de 4% au deuxième trimestre. Comment expliquer que l’on retrouve des taux proches de la croissance économique mondiale?
La croissance du marché me paraît saine et robuste. Le niveau de la demande au deuxième trimestre a atteint un nouveau record.
La demande et l’offre répondent à deux dynamiques différentes même si elles contribuent finalement à l’équilibre global. La hausse du prix de l’once a par exemple réduit la demande de joaillerie, mais elle a permis d’attirer davantage d’investisseurs. L’industrie minière témoigne aussi d’une bonne santé, quelques années après la pandémie.