Dans cette affaire, des personnes proches d’une société, à savoir certains de ses actionnaires et de ses administrateurs, avaient octroyé des prêts à la société alors que celle-ci était en difficulté financière. Quelques temps après l’octroi de ces prêts, la société a fait faillite. Dans le cadre de la procédure de collocation des créances, les prêteurs en question ont demandé que leurs créances soient colloquées en 3e classe. La masse en faillite s’est pour sa part opposée à cette collocation et a exigé que lesdits prêts soient considérés comme postposés.
Le point n’est pas sans incidence: si les créances des personnes proches de la société sont colloquées en 3e classe, avec les autres créanciers de même rang, la part de ces derniers dans la distribution des deniers est diluée d’autant, et, sous cet angle, les créanciers proches de la société faillie sont avantagés; à l’inverse, si leurs créances sont postposées, et prennent rang après les créances colloquées en 3e classe, leur part à la distribution peut être très significativement impactée, alors que la position des autres créanciers en est améliorée.
S’il y a un accord formel entre le créancier et la société sur une subordination de la créance, la question ne se pose pas. Mais le droit suisse ne traite pas expressément de la question de savoir si et à quelles conditions les prêts de personnes proches d’une société doivent être traités implicitement comme de rang inférieur (postposés) en cas de faillite subséquente de la société, indépendamment d’une volonté de subordination exprimée par le prêteur. De tels prêts sont pourtant problématiques, puisqu’ils peuvent maintenir artificiellement l’activité de la société, au préjudice de créanciers tiers (non proches de la société) pour leurs créances déjà existantes ou nouvelles.
En fin de compte, ce n’est que s’il est démontré que la société est déjà surendettée au moment du prêt par le proche que ce prêt doit alors être considéré (implicitement) comme subordonné, et ne peut être colloqué en 3e classe en cas de faillite subséquente de la société.
Le Tribunal fédéral rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle les prêts d’actionnaires ou de proches ne sont pas, par nature, considérés comme des fonds propres de la société.
Sur la question de savoir si de tels prêts peuvent néanmoins être considérés implicitement comme subordonnés en cas de faillite, le Tribunal fédéral aborde la question sous trois angles différents: l’abus de droit, l’existence d’un accord implicite des prêteurs concernés ou enfin une lacune de la loi que le Tribunal pourrait combler.
S’agissant d’abord de l’abus de droit, le Tribunal fédéral retient que l’attitude de proches de la société sollicitant leur collocation en 3e classe (par opposition à une subordination) peut être constitutive d’un tel abus en fonction des circonstances. Selon le Tribunal fédéral, ne constituent pas des circonstances déterminantes pour retenir un abus de droit le fait qu’aucun tiers extérieur n’aurait accordé un tel prêt, ni le fait que seul un apport en capital – au moment où le prêt a été effectué – aurait eu un effet assainissant, ni encore le fait que – toujours au moment où le prêt litigieux est octroyé par le proche – la société est en état de sous-capitalisation et que d’autres mesures auraient donc dû être prises par les actionnaires. En fin de compte, ce n’est que s’il est démontré que la société est déjà surendettée au moment du prêt par le proche que ce prêt doit alors être considéré (implicitement) comme subordonné, et ne peut être colloqué en 3e classe en cas de faillite subséquente de la société.
Ensuite, en lien avec la constatation d’une subordination implicite découlant d’une interprétation de la volonté des prêteurs, le Tribunal fédéral ne l’exclut pas, mais souligne qu’il doit résulter de l’interprétation (objective) des déclarations des prêteurs et de la société qu’une telle subordination a été voulue. En l’absence de telles déclarations, on ne pourra en général pas simplement déduire que telle était la volonté des prêteurs concernés et de la société du seul fait que la société rencontrait notoirement des problèmes de liquidités ou même qu’un risque sérieux de faillite existait.
Enfin, le Tribunal fédéral constate qu’il n’y a aucune lacune dans la réglementation qu’il lui appartiendrait de combler.
En résumé, il ressort de cette décision que les prêteurs proches d’une société en difficulté financière (actionnaires, administrateurs et autres proches) sont à risque que leurs prêts à la société soient requalifiés en prêts subordonnés, mais seulement si, au moment des prêts concernés, la société est déjà surendettée, ou si l’on peut inférer de leurs déclarations qu’ils ont consenti à une postposition. Si tel n’est pas le cas, leurs créances concourent en 3e classe sans être subordonnées.
Cette décision a le mérite de fixer un critère relativement clair (le surendettement) même s’il n’est pas toujours aisé de déterminer le moment précis auquel le surendettement survient.