L’Italie, clé d’une Europe fonctionnelle

Nicolette de Joncaire

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«La dette publique est élevée mais, pour l'instant, ce n’est pas particulièrement préoccupant» estime Matteo Cominetta du Barings Investment Institute.

Une Italie fragile qui compromet l’équilibre européen avec à sa tête Mario Draghi, un homme providentiel dont on attend la solution de toutes les problématiques que ses prédécesseurs n’ont pu dénouer? Le sort de la zone euro et de l’Union européenne se joue aujourd’hui encore une fois au bord de la Méditerranée selon Matteo Cominetta, économiste senior au Barings Investment Institute. Entretien.

La Banque Centrale Européenne a-t-elle encore une marge de manœuvre?

Le maillon faible de l’Europe est l’Italie. Si Mario Draghi ne réussit pas, il n’y plus grand-chose à espérer de l’Europe et de son union monétaire. Notons toutefois que cette fois, les autorités européennes ont réagi vite avec, dans le cadre du Plan de Relance, une attribution de soutien à l’Italie de 200 milliards de dollars. Et, avec, en réponse à la pandémie, l’extension du programme d’achats d’actifs, la BCE n’est plus en mode réaction, comme en 2009, mais en mode prévention. Son dernier package de décembre est suffisant pour acheter la totalité des émissions européennes de 2021! Ce qui encourage tout le monde à acheter - même en cas de crise italienne. Il ne devrait donc y avoir aucune difficulté à tenir les taux en laisse.

«Le second semestre devrait connaître un fort rebond.»
Toute reprise économique passe par une réussite de la campagne vaccinale. Que faire en cas d’échec?

En cas d'échec de la campagne de vaccination ou de nouvelle résistance virale, il faudra faire davantage. Mais la probabilité semble infime et donc le second semestre devrait connaître un fort rebond. Autre risque économique dont on parle beaucoup? L’inflation. Elle aussi parait peu probable même si le mois dernier, elle était de l’ordre de -0,3% alors qu’elle se situe maintenant à 0,9%. Cette variation est conjoncturelle, due à des facteurs à court terme comme la TVA et le pétrole. A terme, l'inflation sous-jacente ne s'accélérera pas beaucoup. Elle pourrait monter jusqu'à 1,3-1,5% ce qui accroitrait un peu le rendement des obligations. Mais attention aux effets pervers de ce genre de croyance qui pourrait encourager une erreur de politique monétaire: on parlait beaucoup d'inflation en 2011 et la BCE a augmenté les taux, contribuant ainsi à la crise de 2012. 

Revenons un instant à l’Italie, maillon faible selon vous de l’Union européenne. Est-ce un problème de dette publique?

J’estime effectivement que le principal risque pour l'Union européenne et pour l'euro est aujourd’hui l'Italie. Il faut cependant nuancer. Si le montant de la dette publique italienne est passé de 1’600 milliards d’euros en 2007 à 2’300 milliards, le coût du service de cette dette a lui chuté de moitié. Quant au solde primaire du pays, il est resté positif (entre 1,5% et 2%) jusqu'en 2019. La dette publique est certes élevée mais, pour l'instant, ce n’est pas particulièrement préoccupant. 

Alors, où réside le problème?

L'inquiétude vient de ce que la BCE autorise l'Italie à contracter des montants importants de dette supplémentaire en maintenant les intérêts à un niveau faible. Si Mario Draghi parvient à réformer le pays et que la croissance reprend, il n’y pas grand souci à se faire. S’il ne réussit pas la situation peut se détériorer rapidement. 

Quelles sont les réformes prioritaires selon vous?

Celle de la fiscalité – un monstre de centaines de règles à simplifier - mais surtout, et en premier lieu, celle du cadre judiciaire qui est devenu le plus grand obstacle au développement économique de par, notamment, ses retards incommensurables. Il s’est aujourd’hui établi un consensus inédit autour de Mario Draghi, seul personnage possédant la crédibilité nécessaire pour obtenir le soutien de l’Europe, mais il n’a que quelques mois pour réussir et je ne suis que modérément positif sur l’efficacité future de l’Italie, clé d’une Europe fonctionnelle.

«L'annulation de la dette n’est faisable ni légalement ni politiquement.»
De manière plus générale, quelles sont les conséquences de la pandémie sur l’économie?

2020 représente la plus grande perte de revenus depuis la deuxième guerre mondiale, une récession auto-infligée. L’une des conséquences en est un taux d’épargne très élevé. Aux Etats-Unis où le soutien fiscal a été extraordinaire, le niveau de revenu des ménages américains a été supérieur en 2020 de 4% à celui de l'année précédente. Un bonus pour l'Américain moyen! En conséquence, on peut s’attendre à ce que les gens dépensent dès que le marché redémarrera, stimulant le rebond. En Europe, où l'Etat-providence règne, les revenus des ménages ont plutôt diminué comme dans une récession traditionnelle et malgré l'épargne le rebond ne sera pas aussi dynamique. Mais le Plan de Relance qui comprend un mécanisme de transfert de plus de 1’000 milliards d'euros entre Etats-membres va soutenir le redémarrage. Cette solidarité entre pays européens est un rêve en train de se réaliser. Un rêve par lequel passe la survie de la zone euro et de l’Union. Finalement, le Brexit a servi de leçon.

Pour revenir un instant sur les dettes publiques, en particulier, celles détenues pas la BCE, que pensez-vous de l’annulation de ces dettes proposées par plusieurs dizaines d’économistes en France, en Italie, en Allemagne et dans d’autres pays européens?

Je pense que l'annulation de la dette n’est faisable ni légalement ni politiquement. Elle nuirait en plus à la crédibilité de la BCE (davantage auprès des technocrates du Nord de l'UE qu'auprès de l’homme de la rue, mais quand même...). C'est pourquoi j'y vois un tout dernier recours qui ne peut avoir lieu que si rien d'autre n'a fonctionné. Si l'Italie reste bloquée dans son scénario de faible croissance et de faible inflation, que le reste de l'Europe se redresse et que l'inflation dépasse largement les 2%, alors viendra le moment où la BCE devra décider si elle tolère une inflation élevée sans augmenter les taux d'intérêt ou si elle augmente les taux et met en danger la viabilité de l'Italie. Avant d'en arriver à ce compromis, je pense que la BCE pourrait demander à l'Italie d'émettre des obligations à très longue échéance ou des obligations perpétuelles que la BCE pourrait acheter. Cela permettrait de réduire les dommages causés par les taux plus élevés sur la viabilité de la dette italienne. L'annulation de la dette est donc un événement à très faible probabilité, à mon avis.

Et le Brexit justement. Que va-t-il se passer au Royaume-Uni?

Un mois ne suffit pas à se prononcer. Les exportations du Royaume-Uni vers l'Europe (qui représentent environ la moitié des exportations britanniques) ont chuté de 68% en janvier. La deuxième destination des exportations sont les Etats-Unis. Elles ne comptent que pour 15% du total et ne peuvent en aucun cas se substituer à celles vers l'Europe. Le gouvernement anglais a émis un document qui estime que la croissance britannique va se réduire d'un quart. Il faut bien admettre que, mise à part l’indépendance vis-à-vis de la Cour de justice européenne, la Grande-Bretagne n'a rien obtenu de l'accord signé en décembre, notamment en termes d’échanges de biens et de services financiers. N’oubliez pas que le commerce moderne a de facto aboli les tarifs douaniers depuis longtemps. Par conséquent, hors Union la bureaucratie est devenue le problème numéro un des exportateurs britanniques. Qui devront produire 200 millions de déclarations supplémentaires chaque année!

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