L’environnement reflationniste soutiendra les marchés émergents

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Selon Liam Spillane, expert chez Aviva Investors, la forte demande pour les matières premières et un dollar faible profiteront à la dette émergente.

Historiquement, les marchés émergents sont souvent ceux qui pâtissent en premier des situations de crise. Qu’en est-il maintenant, alors que les investisseurs commencent à anticiper la reprise économique qui succédera à la pandémie? Le point sur les obligations des pays émergents avec Liam Spillane, responsable de la dette des marchés émergents chez Aviva Investors. 

De manière générale, quelle est votre appréciation de la situation pour les obligations des marchés émergents en comparaison de celles des pays développés?

Nous restons prudemment optimistes pour 2021. Après une année 2020 éprouvante, je pense néanmoins que l’environnement reflationniste au niveau global devrait soutenir les obligations des marchés émergents. Plusieurs facteurs vont dans le sens d’un tel soutien. D’une part, la demande pour les matières premières est en hausse, en particulier à cause de la Chine. D’autre part, la faiblesse du dollar est aussi un facteur qui tend, généralement, à soutenir la dette émergente. 

«Des pays comme le Brésil ou l’Afrique du Sud et la Russie
profitent en général d’un rebond des prix des matières premières.»

Un affaiblissement du dollar reflète souvent l’amélioration de la situation économique sur le plan mondial. Tous ces facteurs, avec en arrière-plan une amélioration de l’activité économique et une poursuite du soutien apporté par les banques centrales, vont dans le sens d’un environnement plus favorable pour la dette émergente en 2021 - même si l’année qui a débuté ne manquera pas de défis. En termes de valorisations, les écarts de crédit («spreads») de la dette émergente, par rapport aux emprunts d’Etat sans risque, offrent actuellement une meilleure rémunération pour les risques encourus que si l’on place son argent dans des emprunts de qualité investissement (IG) de pays développés.

Quels pays émergents ou régions profitent le plus d’une hausse des prix des matières premières?

Typiquement, des pays comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, mais aussi la Russie en ce qui concerne les hydrocarbures, profitent en général d’un rebond des prix des matières premières. En revanche, un pays comme la Turquie, par exemple, en tant qu’importateur de pétrole, n’en bénéficie pas.

L’évolution des prix du pétrole est-elle le facteur le plus déterminant pour les économies des pays émergents?

On suppose parfois que les prix du pétrole constituent le paramètre le plus important pour les pays émergents. Mais il faut garder une vision plus large: l’évolution des prix des métaux de base et des métaux précieux est tout aussi importante pour de nombreux pays émergents. C’est le cas par exemple du cuivre pour certains pays d’Amérique latine ou encore de l’or pour l’Afrique du Sud.

Durant la première moitié de janvier, les taux d’intérêts des bons du Trésor à dix ans aux Etats-Unis ont fortement rebondi. Quel est l’impact de taux d’intérêt plus élevés aux Etats-Unis sur l’attrait de la dette émergente? 

Je pense qu’il est important de se concentrer non pas seulement sur le niveau des taux d’intérêt mais plutôt aussi de se pencher sur les raisons qui expliquent cette remontée des taux aux Etats-Unis. Or, la nette remontée des taux des bons du Trésor à dix ans au début du mois de janvier reflète davantage l’amélioration attendue de l’économie américaine et de l’économie mondiale en général, ce qui, au final, profite aussi aux économies émergentes.

«Nous n’anticipons aucun changement de cap majeur de la politique
monétaire aux Etats-Unis au moins jusqu’à l’an prochain.»

En théorie, il est certes vrai que la dette émergente réalise souvent de mauvaises performances lorsque les marchés anticipent une hausse des taux directeurs des banques centrales, surtout s’agissant de la Fed. Mais risque existe surtout lorsque la Réserve fédérale procède à un ajustement rapide de ses taux d’intérêt. Toutefois, nous en sommes encore très loin – ce n’est pas notre scénario principal. Au contraire, nous n’anticipons aucun changement de cap majeur de la politique monétaire aux Etats-Unis au moins jusqu’à l’an prochain. Nous nous attendons plutôt à une repentification graduelle de la courbe des taux d’intérêt, sous l’effet de la hausse des taux longs.

On ne peut donc pas définir un seuil donné – par exemple, 1,5% ou 2% - à partir duquel des taux d’intérêt plus élevés aux Etats-Unis rendrait, comparativement, la dette émergente moins attrayante?

Non, pas de cette manière. Le niveau absolu des taux d’intérêt aux Etats-Unis est, certes, une donnée importante. Mais davantage que le niveau des taux lui-même, le rythme de l’augmentation des taux d’intérêt est aussi un aspect déterminant.

Pour l’instant, les rendements sur les marchés des obligations des pays industrialisés continuent d’évoluer à des niveaux extrêmement bas. Si les campagnes de vaccination entraînent un fort rebond de la conjoncture, cela s’accompagnera certainement d’une hausse des taux dans les pays développés également. Dans un tel scénario, les investisseurs qui ont placé leur argent dans des obligations émergentes pourraient alors devenir plus sélectifs.

«Il pourrait y avoir un glissement des préférences des investisseurs
vers les placements en monnaies locales.»
S’agissant de la force de la reprise conjoncturelle attendue en 2021, l’arrivée des vaccins influencera aussi bien les économies des pays développés que celles des marchés émergents. Certains pays émergents, notamment en Asie, sont-ils mieux placés que d’autres?

Au sujet des vaccins, il faut tenir compte de deux facteurs. D’une part, il y a l’efficacité des différents vaccins disponibles. D’autre part, il y a la question de leur déploiement. Le second aspect est un facteur de risque dont il faudra continuer de tenir compte. Il est toutefois difficile d’avoir une vue régionale claire à ce sujet – l’analyse doit être faite pays par pays. En Amérique latine, certains pays comme le Brésil ont des difficultés à obtenir rapidement des vaccins. En Europe, on voit que le déploiement des campagnes de vaccination connaît aussi des difficultés dans des pays comme la France ou le Royaume-Uni.

Pour les investisseurs basés en Suisse ou en Europe qui souhaitent investir dans de la dette émergente, la question du choix des devises se pose. Quel est votre avis à ce sujet?

S’agissant de la dette émergente, nous avons historiquement préféré les investissements dans des monnaies fortes («hard currencies») plutôt qu’en monnaies locales. Toutefois, le balancier est actuellement en train de s’orienter en direction des investissements en monnaies locales compte tenu de l’environnement reflationniste et en raison des valorisations plus attrayantes des monnaies des marchés émergents.

Même si, en termes de valorisation, la dette émergente en monnaies fortes n’est peut-être plus aussi attrayante qu’elle ne l’était au printemps 2020, elle continue néanmoins de rémunérer correctement les investisseurs pour les risques encourus. Certes, au fur et à mesure que l’économie mondiale se reprendra, il pourrait y avoir un glissement des préférences des investisseurs - alors davantage enclins à prendre des risques - vers les placements en monnaies locales. Dans l’immédiat, on ne peut toutefois pas simplement ignorer certains facteurs de risque pour la dette émergente, notamment les incertitudes liées au déploiement des campagnes de vaccination comme déjà évoqué.

A lire aussi...