L’ELTIF, un nouveau véhicule de choix pour les investisseurs privés

Emmanuel Garessus

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Les fonds ELTIF sont des véhicules qui donnent un accès supplémentaire aux marchés privés. Maria Sala, de BlackRock, révèle leur potentiel et leur intérêt.

Un nouvel acronyme s’impose progressivement au monde de l’investissement, celui d’ELTIF pour European Long Term Investment Fund. Introduit en 2015 par l’Union européenne. Le but principal d’un ELTIF est de soutenir les investissements de long terme de l’économie européenne. Il est important de souligner que ELTIF est le premier véhicule qui permet une distribution paneuropéenne évolutive et réglementée des investissements sur les marchés privés entre différents types d'investisseurs. Ce format est fortement innovant par rapport à l’approche traditionnelle consistant à créer des enveloppes individuelles par juridiction. 

Ces fonds ELTIF mobilisent des capitaux d'investissement à long terme dans divers secteurs tels que les infrastructures, le private equity, la dette privée, l'immobilier. A partir de 2024, il est coutume de parler des fonds ELTIF 2.0. La nouvelle réglementation ELTIF crée le potentiel pour que les ELTIF deviennent le véhicule de choix pour les investissements sur le segment de la clientèle privée. Le marché des ELTIF est estimé atteindre 13,6 milliards d'euros d'ici la fin de 2023, et l'Alternative Investment Management Association estime des entrées de fonds d'environ 100 milliards d'euros au cours des prochaines années.

Maria Sala, responsable de la distribution des placements alternatifs pour le segment Wealth en Suisse, l’Allemagne et l’Autriche chez BlackRock, répond aux questions d’Allnews.

Quel devrait être le potentiel de croissance des fonds ELTIF? 

Tout d’abord nous devons expliquer ce qu’un ELTIF ouvre comme opportunité au client. Les ELTIFs sont des véhicules permettant un accès aux marches privés et d’investir à long terme dans des projets et des entreprises qui ne sont pas accessibles sur le marché des actions. 
Selon la nouvelle réglementation, les ELTIFs 2.0 offrent de nouvelles opportunités de lever des fonds et de nouvelles façons pour les clients privés d’investir dans des assets tangibles comme le private equity et les infrastructures. Les barrières mises en place plus tôt tombent car leurs nouvelles caractéristiques les rendent encore plus efficients pour différents profils d’utilisateurs. Traditionnellement, ce sont les investisseurs institutionnels qui détiennent l’allocation la plus importante dans les actifs privés, alors que l’asset class est sous-représentée dans les portefeuilles des clients privés. C’est pourquoi nous pensons que la demande d’investissement sur les marchés privés pourrait se développer à l’avenir significativement, et possiblement par le truchement des ELTIFs et des nouvelles opportunités offertes par les ELTIFS 2.0.
Une étude d’Oliver Wyman révèle que les actifs des investisseurs privés dans les marchés non-cotés s’élèveraient à 2000 milliards de dollars dans le monde en 2022 et qu’ils devraient plus que doubler pour atteindre 5000 milliards de dollars en 2025. L’Europe est très en avance dans ce domaine.

«Grâce aux innovations apportées par ELTIF 2.0, un plus grand nombre de clients privés pourront dorénavant accéder à ces investissements non-cotés de qualité institutionnelle».

Qu’apporte ELTIF 2.0 aux investisseurs ?

Grâce aux innovations apportées par ELTIF 2.0, un plus grand nombre de clients privés pourront dorénavant accéder à ces investissements non-cotés de qualité institutionnelle. En Europe, le marché des ELTIFs devrait atteindre 13 à 15 milliards de dollars d’ici deux ans et il pourrait décupler à long terme pour atteindre 100 milliards de dollars.

Pourquoi?

La croissance devrait être alimentée par l’apport de nouveaux investisseurs et par les tendances du marché. Le BlackRock Investment Institute (BII) estime que si les clients privés ne détiennent pas plus de 2 à 5% d’actifs non-cotés dans leur portefeuille aujourd’hui, cette part pourrait grimper à 10% à l’avenir.

L’ELTIF 2.0 permettra à des clients privés d’avoir un meilleur accès à des secteurs peu présents sur les marchés côtés, d’avoir une plus grande diversification sectorielle et régionale et d’accéder, par exemple à des nouvelles technologies innovantes dans la transition énergétique.

Pourquoi les investisseurs privés devraient-ils préférer les ELTIF aux autres fonds?

Plutôt que de préférence, je préfère parler d’option d’accès supplémentaire. Une partie de la clientèle des banques suisses, celle qui appartient aux très grandes fortunes, investit déjà dans les fonds alternatifs à travers des fonds fermés. Ce sont maintenant ceux qui n’avaient cette possibilité, par exemple parce que l’investissement minimum était trop élevé ou en raison de la gestion opérationnelle des appels de fonds et des processus de remboursements, qui se voient ouvrir de nouveaux outils d’investissements.

L’ELTIF 2.0 sera donc disponible à différentes catégories d’investisseurs, ceux qui sont déjà investis dans les marchés privés et pourront choisir entre ELTIF ou non, et ceux qui se voient ouvrir ces nouveaux horizons.

On pourrait même envisager que certains investisseurs institutionnels, sachant que la qualité des actifs sous-jacents est identique, pourront utiliser le ELTIF 2.0 pour bénéficier d’une gestion opérationnelle plus efficiente.

A part la baisse du ticket d’entrée, quels sont les atouts de l’ELTIF 2.0?

La facilité d’accès et de gestion constituent des améliorations qui dépassent le seul abaissement du ticket d’entrée à 10 000 euros. La nature pérenne (evergreen) de ces fonds crée un avantage sans doute plus important. Un investisseur pourra investir dans une stratégie et plus tard continuer d’y investir sans se soucier des questions liées aux différentes levées de fonds (Vintage). La pérennité de l’instrument ELTIF 2.0 le rend attrayant aussi aux gérants de mandats discrétionnaires. Par exemple, en cas de nouvelles souscriptions à son mandat, il lui sera plus aisé de faire des apports dans l’ELTIF puisqu’ils seront harmonisés aux investissements précédents.

Pourquoi les institutionnels restent-ils réticents à l’égard des marchés privés, en particulier en Suisse?

Nous ne pensons pas qu’ils soient réticents. La part allouée par les institutionnels suisse aux marchés privés tels que le private equity et les infrastructures est nettement inférieure à la moyenne mondiale car, traditionnellement les institutionnels suisses ont beaucoup investi leur quota d’alternatif dans l’immobilier domestique, souvent en investissements directs. C’est une tendance récente qui les a fait inclure aussi du capital-investissement ainsi que infrastructures. Ils sont en train de combler le retard par rapport aux homologues Canadiens et Américains.

Comment le privé peut-il être davantage attiré par les marchés privés?

On estime que 90 à 95% des entreprises et des biens immobiliers dans le monde appartiennent à des propriétaires privés. Seuls 12% des entreprises mondiales dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions de dollars américains sont cotées en bourse ; les 88% restants ne sont accessibles que par le biais du marché privé. Le nombre d'entreprises privées augmente car elles restent plus longtemps sur le marché privé avant d'être cotées en bourse, si elles le sont. Avant la crise financière de 2008/09, les entreprises entraient généralement en bourse au bout de trois ou quatre ans. Aujourd'hui, elles attendent beaucoup plus longtemps, ce qui entraîne un déclin des sociétés cotées en bourse dans l'UE et une augmentation des sociétés privées. Par conséquent, une croissance importante se produit en dehors des marchés boursiers. Un effort d’information est nécessaire au sein de la place financière. Il doit commencer par démontrer pour quelle raison il est important de ne pas se passer des marchés privés. Les portefeuilles incluant des marchés privés bénéficient du potentiel de diversification sectorielle ainsi que de la nature des revenus.

«L’ELTIF 2.0 permettra à des clients privés d’avoir un meilleur accès à des secteurs peu présents sur les marchés côtés».

Quelle branche de la finance devrait-elle être la plus accélérer le dynamisme par l’ELTIF 2.0?

L’ELTIF devrait dynamiser toute l’industrie des marchés privés. Il nous oblige, en tant que gérant de fonds, c’est-à-dire en tant qu’usine de production des investissements, à être très diligents dans la structure des ELTIF et la sélection des investissements. Les investisseurs finaux vont bénéficier de l’innovation apportée par ELTIF 2.0. Par exemple, au sein de la même banque, pour différents types de clients (Advisory ou discrétionnaire) mais aussi l’ELTIF peut être utilisé par les assureurs dans les polices d’assurance Unit-Linked. Et dans certains pays, au moment où se développent les plateformes digitales, le mariage des caractéristiques de l’ELTIF 2.0 et des besoins des investisseurs digitaux peut être très prometteur.

La performance du private equity est convaincante en moyenne mais la disparité des rendements des différents gestionnaires est très large. Est-ce que l’ELTIF change la donne?

Non, cette disparité des performantes devrait avoir l’effet d’un avertissement auprès des professionnels. Comme le marché des ELTIF devrait être très porteur, il importera de bien se positionner et de se doter des capacités opérationnelles nécessaires. On ne s’improvise pas gérant de private equity. Ce secteur abonde de très petites structures, à même d’être potentiellement performantes avec un fonds fermé. Même avec un fonds ELTIF, le gérant doit être à même de bien sélectionner les transactions et d’avoir une équipe opérationnelle bien dotée et efficace.

Comment le groupe BlackRock va-t-il utiliser ce nouvel instrument?

Nous avons déjà lancé 4 ELTIF de la première génération, celle de fonds qui n’avaient pas encore une nature pérenne et étaient fermés. Nous nous réjouissons de ce que le nouvel ELTIF 2.0 offre aux clients en termes de déblocage de nouvelles opportunités.

Nous restons toujours à la pointe de l'innovation et donnons aux clients l'accès à ce qui les aide à atteindre leurs objectifs financiers.

Pouvez-vous décrire le mécanisme de remboursement dans le cadre des fonds ELTIF?

La régulation prévoit l’existence de fenêtres de remboursement. Et cela est  un atout supplémentaire par rapport à la première génération d’ELTIF. Ces dernières répondent à des règles précises.

Quelle catégorie de marchés privés devrait être la plus représenté dans les ELTIF?

Les ELTIFs d’infrastructures et de capital-investissement sont actuellement les produits les plus fréquemment lancés ou annoncés. Cela correspond à l'objectif principal de la création des ELTIF: mobiliser des capitaux privés pour l'expansion et la transformation des infrastructures de communication et d'énergie, dont le besoin est urgent. Des sommes énormes sont nécessaires à cet effet, en particulier en Europe, mais aussi aux États-Unis. D'après nos clients, ce sont également les deux segments les plus recherchés par leurs clients.

Faut-il s’attendre à la création d’ELTIF 3.0 dans cinq ans?

Je n’ai pas de boule de cristal. ELTIF 2.0 a été défini en tirant les leçons de la première génération d’ELTIF. Il faut que ELTIF 2.0 fasse ses preuves avant de parler de nouvelles adaptations.

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