L’appareil de production est intact, le système financier solide

Yves Hulmann

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Pour Beat Thoma de Fisch AM, beaucoup de conditions sont réunies pour une reprise. Les banques centrales peuvent appuyer sur le frein si besoin.

En trois mois, les principaux indices boursiers ont regagné entre 30 et 40% de leur valeur par rapport à leur plus bas touché à la mi-mars. Ce rebond n’est-il pas trop rapide compte tenu des incertitudes qui persistent sur la reprise? Le point avec Beat Thoma, directeur des investissements chez Fisch Asset Management.

Comment analysez-vous la forte correction des marchés survenue en mars, puis le net rebond qui a suivi, en comparaison d’autres crises qui ont eu lieu par le passé, en particulier celle des années 2008 et 2009?

Il y a plusieurs différences essentielles. En 2008 et 2009, la chute des marchés s’inscrivait dans le cadre d’une récession économique classique, résultant d’une mauvaise allocation des ressources et des investissements. En 2020, le plongeon des marchés a résulté d’un choc exogène très soudain. Autre différence clé: en 2008, la crise a été accompagnée d’un effondrement d’une certaine partie du système bancaire. En 2020, nous avons un système financier sain. Par ailleurs, cette année, les banques centrales ont réagi beaucoup plus vite et beaucoup plus fortement que lors de la crise financière globale il y a plus de dix ans. De plus, leurs interventions ont été complétées par des mesures de politique budgétaire mises en place par les Etats.

La consommation pourrait rapidement retrouver
entre 70 et 80% de son niveau d’avant la crise.
Le rebond des marchés n’a-t-il pas été trop rapide compte tenu des risques qui persistent quant à une nouvelle aggravation de l’épidémie de Covid-19 et au vu de l’ampleur de la récession encore à venir?

En termes de données macroéconomiques, l’effondrement de la conjoncture aura été brutal durant le deuxième trimestre. Toutefois - et même s’il faut bien sûr rester prudent quant à la suite de l’évolution de l’épidémie de Covid-19 -, il semble aussi que la reprise pourrait être beaucoup plus rapide que lors de la dernière crise financière. J’ai le sentiment que les choses pourraient redémarrer plus rapidement qu’on l’imagine dès lors que le chômage diminuera. L’appareil de production est toujours intact et le système financier est solide, à la différence des années 2008 et 2009, comme je l’ai déjà mentionné auparavant. En l’espace d’environ deux mois, le secteur manufacturier pourrait à nouveau fonctionner à 100% dès lors que l’épidémie serait sous contrôle.

Et qu’en est-il de la consommation?

S’agissant des consommateurs, les choses n’iront pas aussi vite. Néanmoins, la consommation pourrait rapidement retrouver entre 70 et 80% de son niveau d’avant la crise. Aujourd’hui, la bourse anticipe déjà ce mouvement de reprise économique – et de ce point de vue, les marchés sont aujourd’hui correctement valorisés. Bien entendu, certains peuvent aujourd’hui penser que le rebond des principaux indices de l’ordre de 25 à 30% à partir des plus bas niveaux touchés à la mi-mars est exagéré compte tenu des incertitudes qui persistent concernant l’évolution de l’économie mondiale. Toutefois, il faut garder à l’esprit que ce rebond est intervenu après une chute spectaculaire des marchés de 30 à 40% entre fin février et la mi-mars.

La «monnaie hélicoptère» pourrait-elle ici contribuer à la relance?

La «monnaie hélicoptère» peut être envisagée comme une possibilité d’intervention supplémentaire si toutes les autres mesures de politique monétaire ou budgétaire ne devaient pas suffire. La «monnaie hélicoptère» permet de relancer directement la consommation sans que l’argent déployé ne doive être remboursé par les collectivités publiques – à la différence des mesures de soutien classiques. Aux Etats-Unis, les coupons distribués aux ménages ce printemps ne correspondaient ainsi pas à de la «monnaie hélicoptère», étant donné que cet argent a été financé par le déficit budgétaire. A l’inverse, la véritable «monnaie hélicoptère» contribue à augmenter la masse monétaire et elle ne doit pas être remboursée à qui ce soit. Bien entendu, il faut que le mécanisme soit bien conçu pour être sûr qu’il incite les ménages à réellement dépenser cet argent plutôt que de l’utiliser pour épargner.

Des entreprises de secteurs plus fragiles recourent aux obligations
convertibles car c’est un moyen meilleur marché pour se refinancer.
Après leurs interventions massives, les banques centrales parviendront-elles à résorber à temps les gigantesques quantités de liquidités qu’elles ont injecté dans le système lorsque l’économie redémarrera?

Les banques centrales peuvent aujourd’hui très vite appuyer sur le frein si nécessaire. Si l’économie redémarre, l’inflation n’est pas à craindre. En revanche, si la reprise économique tardait – par exemple en raison d’interruption dans la chaîne d’approvisionnement, de retards dans la production ou de situations de re-confinement partiels - mais que les prix commençaient déjà à augmenter, on aurait alors affaire à une situation dangereuse de stagflation. C’est à mon avis le scénario le plus négatif et plus risqué qui pourrait survenir.

S’agissant de la spécialisation de Fisch Asset Management, comment se sont comportées les obligations convertibles au plus fort de la crise?

Durant le pic de la crise du Covid-19, les clients sont restés étonnamment calmes. Il y a même eu plus d’apports d’argent que de retraits dans ce segment. Cela signifie que les gens ont encore de l’argent et qu’ils souhaitent continuer à investir. Techniquement, les obligations convertibles s’apprécient au fur et à mesure que les actions montent. A l’inverse, lorsque les bourses baissent, la valeur des emprunts convertibles diminue aussi - mais dans une moindre mesure – et celle-ci finit par se rapprocher du plancher obligataire, qui correspond à la valeur de l’emprunt. Typiquement, on a l’habitude de dire que les obligations convertibles participent aux deux tiers d’un mouvement de hausse des actions mais qu’elles ne subissent qu’environ un tiers de la perte lors des phases de correction.

A l’intérieur de ce marché, y a-t-il des segments plus attrayants que d’autres à vos yeux actuellement?

Il y a effectivement des différences par secteurs: s’agissant des valeurs technologiques, ce secteur est proche d’un plus haut historique et il n’est pas impossible que l’on assiste à une rotation vers d’autres secteurs. Le secteur de la santé reste aussi solide et présente encore un potentiel d’appréciation, tout comme les biens de consommation non cycliques. A l’inverse, les secteurs de l’énergie et de l’aviation restent fortement sous pression. Maintenant, il y a aussi des entreprises de secteurs plus fragiles – notamment les sociétés actives dans les loisirs – qui recourent actuellement précisément aux obligations convertibles car c’est un moyen meilleur marché pour se refinancer plutôt que d’émettre des obligations classiques. En investissant dans de tels secteurs plus risqués via des obligations convertibles, l’investisseur a toutefois l’avantage de bénéficier d’une certaine protection à la baisse, en cas de difficultés, tout en ayant ensuite la possibilité de participer largement à une reprise dans ce secteur. De manière générale, avec les obligations convertibles, il faut être attentif non seulement aux perspectives sectorielles mais aussi à la qualité de crédit des entreprises émettrices.

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