Europe: avantage aux valeurs défensives

Emmanuel Garessus

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L’art de définir le moment d’une reprise dépendra grandement d’un accord commercial avec les Etats-Unis. Prudence à court terme, selon Mathieu Savary, de BCA Research.

 

La fin du gouvernement Barnier n’a guère fait de vagues sur les marchés financiers. Le spread de taux avec l’Allemagne reste aux alentours de 80 points de base. Faut-il profiter de la faiblesse des titres français pour en accumuler? Mathieu Savary, responsable de la stratégie européenne auprès de BCA Research, répond aux questions d’Allnews:

Le CAC 40 a perdu 3% cette année. Faut-il s’attendre à une performance également en 2025?

La France souffre de deux problèmes majeurs. Elle est pénalisée par la situation politique interne, qui inclut un risque de resserrement budgétaire qui s’avère potentiellement dommageable aux bénéfices des entreprises, et qui se traduit par une prime de risque sur les actifs français. Le deuxième problème tient à la composition sectorielle du CAC 40, avec une surpondération de la consommation discrétionnaire, notamment du luxe, lequel rencontre des difficultés au plan global. 

Nous pourrions assister à une diminution du risque politique, mais l’environnement global est également incertain, avec un ralentissement en Chine, une conjoncture américaine qui est plus dynamique dans les services que dans les biens et des risques tarifaires susceptibles d’entraver les ventes des producteurs français de biens de consommation.

Les actions françaises ne sont pas privilégiées dans notre politique d’investissement, même si un rebond pourrait se produire à court terme en cas de resserrement du spread de taux entre la France et l’Allemagne.

«Avant de se positionner, il faudrait au minimum que l’incertitude diminue en matière de relations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis».

Malgré les difficultés, des leaders globaux comme Hermès ou Schneider résistent bien, alors que les small & mid caps, même en position de leaders sur leurs niches, ne cessent de baisser. Comment l’investisseur peut-il se comporter?

Ce type de divergence est logique dans la mesure où les petites et moyennes valeurs sont davantage dépendantes de l’économie française que les multinationales. L’incertitude politique défavorise les sociétés de plus petite taille parce qu’elle accroît l’incertitude sur l’économie française, ce qui nuit à la confiance et à la consommation française. Cette sous-performance de la bourse française devrait continuer en l’absence de clarté dans la sphère politique et à propos des futurs axes budgétaires.

Il existe toutefois un paradoxe. Si la France agit comme elle devrait le faire, c’est-à-dire si elle coupe dans les dépenses publiques et augmente les impôts, la croissance économique en serait affectée.

Dans votre étude, vous parlez d’une sous-performance européenne de 284% sur 7 ans par rapport aux actions américaines. Comment choisir le bon moment pour anticiper un changement de tendance? Faut-il attendre des données de productivité plus favorables?

Les marchés réagissent avant les statistiques. Avant de se positionner, il faudrait au minimum que l’incertitude diminue en matière de relations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis. C’est ce risque qui justifie la sous-performance actuelle des valeurs européennes et de l’euro. Il faudra attendre plusieurs mois avant que des négociations se produisent. Mais la porte est vraiment ouverte entre les Etats-Unis et l’Europe. 

Ces 12 derniers mois, l’UE a présenté un excédent commercial avec les Etats-Unis de quelque 175 milliards de dollars. Je pense que l’Europe pourrait acheter davantage de produits énergétiques américains pour son plus grand bien. Le programme de Donald Trump prévoit précisément une augmentation de la production d’énergie. Les Américains demandent aussi aux Européens d’augmenter leurs dépenses en matière de défense. Ces derniers semblent prêts à passer à l’acte. Les Européens pourraient également accroître leurs achats de matières premières et de produits agricoles, c’est-à-dire de produits que les Européens achetaient jusqu’ici à la Russie. 

Mais pour arriver à un accord, Donald Trump a coutume de faire pression, ce qui accroît l’incertitude et pénalise les actions. Nous nous trouvons dans une telle situation.

Le pire n’est pas le plus probable, comme le montre la stabilité relative des obligations françaises à la fin du gouvernement Barnier. Quel serait le plafond pour les obligations françaises et pour le spread?

De bonnes raisons justifient cette réaction mesurée du marché obligataire. Les obligations françaises offrent une plus grande liquidité que par exemple les obligations espagnoles. Et surtout, les marchés savent que la BCE veille et dispose des instruments nécessaires pour empêcher d’éventuelles turbulences sur la dette française et en particulier un élargissement du spread avec l’Allemagne. De plus, les marchés différencient. Il n’y a pas d’effet de contagion sur la dette d’autres pays. 

Un spread de 100 points de base ou davantage constitue une opportunité d’achat tactique dans les obligations françaises. La BCE, elle, ne réagirait que si le spread grimpait jusqu’à 150 points de base. En revanche, je ne m’attends pas à un retour du spread à 40 points de base.

«Pour arriver à un accord, Donald Trump a coutume de faire pression, ce qui accroît l’incertitude et pénalise les actions».

Dans les actions, la divergence est forte entre les secteurs en Europe. Lesquels disposent d’un bon potentiel?

Nous privilégions les titres de défense en Europe depuis deux ans et nous maintenons notre position. A court terme, nous pourrions observer quelque volatilité, mais l’environnement reste propice à une surpondération de ces actions.

A court terme, nous préférons les titres défensifs plutôt que les actions cycliques. Il s’agit donc des actions pharmaceutiques et celles de la consommation de base ainsi que les télécoms. Ce profil nous amène à apprécier les valeurs défensives du marché suisse, surtout la pharma. La force du franc suisse est aussi un atout dans le contexte de grande incertitude.

Que pensez-vous des bancaires en Europe, dans l’anticipation de l’union bancaire européenne?

Le choix dépend de l’horizon d’investissement. A long terme, ce secteur est très attrayant en Europe. La valorisation est basse et l’émergence d’une vague de fusions devrait réduire les capacités dans cette industrie. Même si le risque de récession est bien réel en début d’année, celle-ci devrait être brève. Les taux d’intérêt pourraient remonter rapidement par la suite. A moyen terme, les marges d’intérêts des banques se renforceront. 

A court terme, les banques souffrent de leur forte cyclicité. Elles devraient donc être à la peine ces prochains mois.

Est-ce que les banques françaises souffrent davantage que la moyenne de la hausse du spread?

Elles ont souffert à travers la baisse de valeur des titres à leur bilan. Mais la prime de risque des actions françaises et en particulier dans les banques françaises est devenue un peu excessive. Les banques françaises sont d’ailleurs bien diversifiées géographiquement et n’ont pas de problème de taille.

Est-ce que les marchés réagiront aux premières indications du nouveau Premier Ministre français?

Les marchés réagiront à travers une baisse du spread de taux à la création du nouveau gouvernement. Si les premières indications de son programme laissent supposer une baisse du déficit budgétaire, les obligations devraient en profiter, à l’inverse des actions. 

On ne peut toutefois pas s’attendre à une politique d’austérité en France en l’absence de majorité au parlement. C’est pourquoi le spread ne se réduira pas significativement.

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