Du patient au consommateur

Yves Hulmann

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Les gens prennent davantage en main leur santé. Cela favorisera la télémédecine et les outils de diagnostic, selon Pierin Menzli de J. Safra Sarasin.

L’épidémie de COVID-19 accélère la transformation de la relation entre les patients et les fournisseurs de prestations dans le domaine de la santé. Avec quelles conséquences en matière d’investissement? Le point avec Pierin Menzli, responsable de la gestion actions thématiques chez J. Safra Sarasin.

J. Safra Sarasin a récemment lancé un fonds consacré au thème de la santé du futur. Quels sont les principaux développements qui influenceront ce domaine à court terme et à long terme?

A court terme, ce sont évidemment tous les efforts réalisés en lien avec le COVID-19 qui domineront l’actualité dans la branche. Toutefois, précisément dans un secteur tel que la santé, il est essentiel de ne pas perdre de vue les développements en cours dans une optique de long terme. Sur le long terme, le secteur de la santé sera caractérisé par une hausse des investissements, non seulement dans les pays industrialisés mais aussi et surtout dans les pays émergents. Dans ces derniers, les investissements en lien avec le domaine de la santé augmenteront deux fois plus vite que l’augmentation du produit intérieur brut (PIB). Et cela non seulement en Chine mais aussi dans une multitude de pays allant de l’Inde à l’Amérique latine. Les investissements dans la santé concernent différents domaines comme les hôpitaux, les appareils médicaux, l’infrastructure destinée aux diagnostics et aux tests - en plus de la pharma et de la médecine proprement dite. L’épidémie de COVID-19 a contribué à accélérer fortement les développements en cours dans des domaines tels que les hôpitaux, les équipements de protection ou les appareils respiratoires.

«Actuellement, il y a beaucoup plus d’études cliniques
qui sont réalisées virtuellement qu’au tout début de cette année.»

Par ailleurs, des entreprises qui réalisent des essais cliniques ont pu tester des manières de travailler complètement nouvelles ces derniers mois. Actuellement, il y a beaucoup plus d’études cliniques qui sont réalisées virtuellement qu’au tout début de cette année. Des patients prennent part à ces essais cliniques depuis chez eux sous la supervision à distance de chercheurs ou de médecins.

En outre, l’épidémie de coronavirus a contribué à accélérer certaines évolutions qui existaient déjà depuis plusieurs années mais dont l’importance n’a réellement été appréciée que récemment. C’est le cas, par exemple, de la télémédecine. Il y a déjà de nombreux développements dans ce domaine depuis vingt ans mais les choses ont véritablement explosé en l’espace de quelques semaines.

Avec quelles autres tendances faut-il compter?

Deuxième tendance: alors qu’on s’adressait auparavant au «patient», on s’adresse désormais au «consommateur». Les gens prennent davantage en main leur santé et ils sont devenus plus autonomes, également dans ce domaine. Au cours des derniers mois, on a observé que beaucoup de gens ne voulaient plus aller chez le médecin. Cela a, d’un côté, un aspect négatif car certaines personnes tendent à reporter des contrôles ou des opérations. Côté positif, cela démontre aussi que beaucoup de visites chez le médecin ne sont pas nécessaires. Les gens sont aujourd’hui nettement plus enclins à utiliser la télémédecine ou des outils de diagnostic depuis chez eux qu’il y a quelques années seulement. L’épidémie de COVID-19 accélérera cette tendance. Une société comme Teladoc Health en profite.

«Nous investissons aussi dans des modèles d’affaires
situés à l’intersection entre la santé, la technologie et la consommation.»

La troisième tendance se rapporte aux technologies médicales innovantes. A cet égard, on peut citer les développements en lien avec l’intelligence artificielle ou l’analyse des données qui permet, par exemple, d’interpréter de manière beaucoup plus efficace les images fournies par la radiographie. S’y ajoute la robotique ou les techniques de miniaturisation destinées au secteur médical.

Votre approche d’investissement axée autour des «fournisseurs de solution dans la santé» entend aller «au-delà de la pensée traditionnelle dans le secteur de la santé». Où se situe la limite entre la pharma au sens habituel et d’autres domaines qui y sont plus ou moins liés?

Nous investissons de manière sélective dans des tendances de croissance en lien avec le secteur de la santé et au-delà aussi dans des modèles d’affaires situés à l’intersection entre la santé, la technologie et la consommation. Notre univers d’investissement se répartit en trois thèmes: les traitements, la prévention et le diagnostic ainsi que la technologie et les infrastructures. Cela étant, notre processus de sélection n’est pas basé sur la classification d’une entreprise dans tel ou tel secteur. Par exemple, une société immobilière active dans les infrastructures à domicile («at-home-health infrastructure») et dans l’habitat adapté à l’âge peut aussi entrer en ligne de compte dans nos investissements. De la même manière, nous avons investi, par exemple, dans la société irlandaise Kerry Foods qui fournit des ingrédients à l’industrie de l’alimentation et des boissons. Cette société remplace certains ingrédients par des apports plus sains tels que des saveurs naturelles.

A terme, ces différents sous-secteurs, qui représentent encore une position de niche par rapport à la pharma proprement dite, sont-ils appelés à occuper une place plus importante dans vos fonds dédiés à la santé?

Nous voulons à la fois participer le plus largement possible aux développements en lien avec la santé tout en assurant la stabilité de notre portefeuille de placement. En mars, notre fonds a surperformé le reste du marché précisément parce qu’il incluait plusieurs grands groupes pharmaceutiques diversifiés. Si nous n’avions investi que dans des petites et moyennes capitalisations, même très innovantes, une telle stabilité n’aurait pas pu être obtenue.

«Je ne m’attends pas à ce qu’une seule société parvienne en solo
à réaliser une percée majeure pour traiter le COVID-19.»
Il y a eu récemment plusieurs petites sociétés biotech qui ont vu leur cours exploser après avoir annoncé que certains de leurs traitements pourraient servir à traiter le COVID-19. Des petites sociétés ont-elles des chances de réaliser en solo une percée dans ce domaine?

En ce qui concerne notre manière d’investir, il faut préciser que l’idée de miser sur des entreprises qui n’ont pas encore de revenus et qui disposent de faibles réserves de liquidités ne correspond pas du tout à notre approche. Maintenant, il faut saluer les incroyables ressources qui ont été déployées pour trouver un traitement contre le virus - que ce soit pour tester des médicaments existants dans ce but, pour mettre au point des vaccins ou pour développer des systèmes de tests. Personnellement, je ne m’attends pas à ce qu’une seule société parvienne en solo à réaliser une percée majeure pour traiter le COVID-19. Je crois davantage aux chances de réussite d’un réseau de plusieurs firmes qui sont susceptibles, ensemble, de trouver une solution dans ce domaine.

Vous accordez beaucoup d’importance à la durabilité. Qu'est-ce que cela signifie dans le contexte de la stratégie d'investissement «Future Health»?

L'allocation de capitaux à des thèmes qui nous projettent dans l'avenir est très judicieuse pour les investisseurs soucieux de durabilité. C’est particulièrement le cas dans le domaine qui nous occupe ici puisque le secteur de la santé détient les clés d’une meilleure condition physique de la population dans son ensemble sur le long terme. En même temps, nous intégrons également la durabilité dans notre approche d'investissement afin de générer des idées supplémentaires à travers le prisme de la recherche sur la durabilité. Nous profitons de cette opportunité pour interagir directement avec les entreprises détenues dans nos portefeuilles sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) stratégiquement pertinentes. Enfin, et c’est important de le souligner, nous pouvons offrir une transparence à nos investisseurs et partager des informations de nature ESG tant au niveau des entreprises individuelles que de l'ensemble du portefeuille.

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