Télétravail transfrontalier: un accord-cadre enfin adopté!

Stéphanie Barreira, FBT Avocats

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La réglementation sociale du travail à distance dans un contexte européen a connu une avancée significative.

La dématérialisation des outils et des méthodes de travail a permis une démocratisation du travail à distance. Avec l’utilisation du numérique, désormais incontournable dans le monde du travail, ce sont les modes de travail qui évoluent. Le lieu de travail n’existe plus dans bien des secteurs, les salariés sont de plus en plus «connectés» en dehors des heures de bureau, le temps de travail n’est plus continu…

Si la mise en place du télétravail n’était jusqu’alors que le fruit de la politique interne de chaque entreprise, la crise sanitaire a purement et simplement imposé ce mode de travail. Le télétravail a effectivement connu un essor sans précédent, de sorte que nombre de salariés exerçant leur activité à l’étranger se sont vus contraints de recourir au télétravail dans leur pays d’origine.

Cette profonde mutation de l’organisation du travail a nécessité une adaptation de la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs transfrontaliers et frontaliers, dès lors que la réglementation européenne en matière d’affiliation sociale s’attachait essentiellement à la durée et au lieu d’exercice de l’activité.

Les salariés sont couverts par la législation de sécurité sociale de leur pays de résidence s’ils y effectuent une «partie substantielle» de leur travail.

Rappelons en effet que le règlement 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale prévoit en son article 13 que:

  • la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de sécurité sociale de cet Etat membre;
  • si elle exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres, elle est soumise à la législation de l’Etat membre où elle exerce une partie substantielle de son activité, soit au moins 25%.

En d’autres termes, les salariés sont couverts par la législation de sécurité sociale de leur pays de résidence s’ils y effectuent une «partie substantielle» de leur travail. Une partie substantielle est réputée exister dans tous les cas où ils travaillent dans leur pays de résidence pendant au moins 25% de leur temps de travail, ou s’ils y perçoivent au moins 25% de leur rémunération.

Le recours accru au télétravail durant la crise sanitaire a donc déplacé la part substantielle de l’exercice de l’activité de ces salariés dans leur Etat de résidence, impliquant potentiellement un changement de législation applicable en matière de couverture sociale.

Dès mars 2020, les Etats membres de l’Union européenne ont donc mis en place des mesures transitoires permettant une neutralisation des effets du télétravail sur la détermination de la législation sociale applicable dans un contexte transfrontalier.

Ces mesures transitoires ont été prorogées jusqu’au 30 juin 2023, afin de permettre aux Etats d’élaborer une réglementation aussi pérenne que les pratiques de travail à distance.

Un groupe de travail chargé d’assister la Commission administrative de coordination des systèmes de sécurité sociale a proposé la conclusion d’un accord multilatéral dérogatoire aux règlements européens, permettant aux travailleurs frontaliers et transfrontaliers de télétravailler jusqu’à deux jours et demi par semaine sans changement de législation sociale applicable.

Un accord-cadre signé par quelques Etats membres est entré en vigueur à compter du 1er juillet 2023, pour une période de 5 ans. La France a signé le texte le 30 juin 2023 et se laisse six mois pour évaluer les impacts de cet accord.

Le champ d’application de l’accord-cadre se limite aux salariés transfrontaliers qui exercent leur activité professionnelle dans un Etat membre, tout en télétravaillant depuis un autre. Pour que ces dispositions puissent s’appliquer, les deux Etats concernés, (Etat de résidence et Etat d’implantation de l’entreprise) doivent être signataires de l’accord-cadre. Il est important de souligner que cette dérogation ne peut être sollicitée que pour un travailleur qui n’a qu’un seul employeur ou dont les différents employeurs sont tous établis dans un même Etat.

Concernant le champ d’application géographique de cet accord-cadre, celui-ci est applicable au sein des Etats l’ayant signé. A ce jour, il s’agit des Etats suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Espagne, Finlande, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède et Suisse.

L'accord-cadre facilite également la gestion administrative pour les employeurs de salariés transfrontaliers.

Désormais, il est possible de maintenir la législation de sécurité sociale de l'Etat membre où sont situés les locaux de son employeur, à un salarié télétravaillant dans un autre Etat, pour une durée inférieure à 50% de son temps de travail total.

Une telle dérogation ne prendra effet que si une demande de certificat A1, reconnaissant le maintien de la législation de l’Etat membre d’emploi, a été dûment introduite auprès des autorités compétentes du pays où est situé l’employeur. Les autorités compétentes du pays de l’employeur délivreront ce certificat lorsque les conditions prévues par l’accord-cadre sont considérées comme remplies et elles informeront le pays de résidence du salarié de leur décision. Ces certificats seront délivrés pour une durée maximale de trois ans, étant précisé que des prorogations pourront être accordées après une nouvelle demande de l’employeur.

Ces nouveaux principes régissant le télétravail transfrontalier revêtent une importance capitale dans un contexte franco-suisse, où l’on peut dénombrer 350’000 frontaliers, et dont plus d’un tiers des employeurs suisses de salariés français (i.e. domiciliés en France) autorisent le télétravail de leur personnel frontalier.

L’instauration d’une règle dérogatoire de maintien de la législation sociale offre des avantages significatifs tant pour les employeurs que pour les salariés.

Tout d'abord, cet accord contribue à une meilleure stabilité professionnelle et sécurité juridique, dès lors qu’elle garantit une continuité dans la couverture sociale, même en cas de recours extensif au télétravail.

Ensuite, l'accord-cadre facilite également la gestion administrative pour les employeurs de salariés transfrontaliers. Avant cette mesure, les entreprises devaient faire face à des procédures complexes pour assurer le suivi et la conformité aux régimes de sécurité sociale des deux Etats. Désormais, les employeurs peuvent plus aisément gérer la conformité de leurs effectifs transfrontaliers, ce qui réduit de facto les charges administratives de l’entreprise.

Bien que la procédure dérogatoire semble plus aisée à mettre en œuvre, nous recommandons aux employeurs la rédaction d’une politique de télétravail claire dans le cadre d’une charte spécifique. S’il n’est pas établi de charte, un accord avec chaque salarié concerné doit être prévu. Ensuite, il convient d’identifier les salariés susceptibles d’être affectés par la fin des mesures temporaires et les informer de tout changement. Enfin, l’employeur doit identifier les salariés concernés par ces règles dérogatoires, et procéder aux demandes de certificats A1 dans les délais prescrits.

Il conviendra de rester attentif à l’ajout de nouveaux Etats signataires afin d’ajuster les procédures en conséquence.

Si l’on peut saluer la stabilité juridique apportée par cet accord-cadre en matière de couverture sociale, nous pouvons regretter que les Etats membres n’aient pas profité de ces nouvelles négociations pour harmoniser les dérogations mises en place en matière sociale et fiscale. En effet, si l’accord-cadre maintient l’application de la législation sociale de l’Etat d’emploi en cas de télétravail à distance dans l’Etat de résidence du salarié représentant moins de 50% de son temps de travail, l’accord fiscal franco-suisse adopté le 22 décembre 2022 exige quant à lui un temps de travail à distance inférieur à 40% pour maintenir les modalités d’imposition des revenus d’activité salariée.

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