Recadrage d’une arme redoutable du fisc français

Stéphanie Barreira, FBT Avocats

3 minutes de lecture

Par une décision du 21 juin 2023, la Cour de cassation vient d’ébranler l’application quasi-automatique de la taxation au taux de 60% des actifs étrangers.

Rappelons que les articles 1649 A et 1649 AA du Code général des impôts prévoient que les comptes ou contrats d’assurance-vie souscrits à l’étranger doivent faire l’objet d’une déclaration déposée simultanément à la déclaration de revenus annuelle.

La déclaration porte sur chacun des comptes ouverts, utilisés ou clos, au cours de l’année ou de l’exercice, par le déclarant, l’un des membres de son foyer fiscal ou une personne rattachée à son foyer. Un compte est réputé avoir été utilisé par l’une des personnes astreintes à l‘obligation de déclaration dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration.

En application des articles 755 et L.23 C du livre des procédures fiscales (ci-après «LPF»), lorsque l’administration fiscale constate qu’une personne physique n’a pas satisfait à cette obligation de déclaration au moins une fois au cours des dix années précédentes, elle peut lui demander de justifier l’origine des modalités d’acquisition des avoirs figurant sur ces comptes ou contrats. En l’absence de réponse ou en cas de réponse insuffisante, l’article 755 précité permet de taxer le solde le plus élevé du compte ou du contrat au cours des dix dernières années, comme s’il s’agissait d’une donation reçue d’un tiers, soit donc au droit de mutation à titre gratuit au taux de 60%.

Depuis 2013, cette arme redoutable mise à la disposition de l’administration fiscale lui permet ainsi d’appréhender et taxer des avoirs qu’il lui était impossible d’imposer antérieurement, puisqu’ils avaient été constitués ou reçus en période prescrite.

Ce dispositif avait d’ailleurs été considéré par de nombreux professionnels comme posant un sérieux problème de respect du principe d’égalité devant les charges publiques. En effet, la combinaison des articles 755 et L.23 C instaure au bénéfice de l’administration une présomption présentée comme simple, mais qui se révèle en pratique comme irréfragable. L’expérience contentieuse nous enseigne que l’administration réfute allègrement les commencements de preuve apportés par le contribuable, jugés insuffisants, exigeant de ces derniers des preuves indiscutables tels des actes notariés.

A défaut d’utilisation du compte étranger, l’absence de déclaration n’est dès lors pas sanctionnable, privant ainsi les services de contrôle français de la possibilité de «dégainer» leur arme!

L’administration fiscale exige ainsi des contribuables la preuve parfaite de l’origine des avoirs étrangers, constitués bien souvent des décennies auparavant, à un moment où de telles preuves n’étaient pas attendues des contribuables.

Prenons l’exemple d’un contribuable résident fiscal français qui avait transféré dans les années 1980 son épargne excédentaire française, celle-ci ayant subi valablement l’imposition en France, sur un compte bancaire ouvert au Portugal. Il a omis de déclarer ce compte une seule fois dans les dix dernières années. Ce contribuable se trouvera dans une grande difficulté à apporter les preuves irréfutables de l’origine de ces avoirs en 2023, et ce pour différentes raisons:

(i) Il ne sera pas en mesure de produire les relevés bancaires français attestant des virements opérés, la banque française lui opposant un délai légal de conservation de la documentation bancaire de dix ans;

(ii) Il se verra opposer le même argument par la banque portugaise;

(iii)    La performance exponentielle des actifs financiers au Portugal dans les années 1980 a parfois permis de servir des intérêts au taux de 30%, triplant aisément le montant des actifs déposés en un temps record.

Saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité le 15 juillet 2021, les Sages du Conseil constitutionnel ont toutefois considéré que ce dispositif était conforme à la Constitution, gravant ainsi cette arme redoutable dans l’Histoire de la fiscalité française.

Néanmoins, la Cour de cassation veille au grain!

En effet, aux termes d’une décision du 21 juin 2023 (Cour de cassation du 21 juin 2023, pourvoi n°22-11.132), la Cour de cassation vient de juger que l’administration n’était pas en droit de mettre en œuvre le dispositif de l’article L.23 C du LPF et de taxer d’office le contribuable dès lors que celle-ci n’avait pas caractérisé une utilisation des comptes étrangers litigieux par le contribuable. Rappelons en effet que l’obligation déclarative des comptes à l’étranger ne concerne que les comptes ouverts, clos ou utilisés au cours de l’année en cause.

Les faits de cette affaire sont relativement classiques: dans le cadre d’une procédure judicaire, le Procureur de la République avait obtenu des informations laissant supposer que le contribuable était titulaire de comptes bancaires ouverts dans les livres d’une banque établie en Suisse. Suite à la transmission de ces informations à l’administration fiscale française, cette dernière lui avait demandé de fournir toutes informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs crédités sur ces comptes, conformément à l’article L.23 C précité.

Considérant l’origine des avoirs étrangers insuffisamment prouvée, l’administration fiscale a notifié au contribuable une proposition de rectification établie selon la procédure de taxation d’office prévue à l’article 755 précité, portant sur des rappels de droits d’enregistrement au titre des avoirs figurant sur ces comptes étrangers. Le contribuable avait cependant pris le soin de souligner devant la Cour d’Appel l’absence d’utilisation des comptes étrangers en ces termes: «(…) ne constituent pas des opérations de débit et de crédit caractérisant une utilisation du compte, celles qui, d’une part, se bornent à inscrire sur un compte les intérêts produits par les sommes déjà déposées au titre des années précédentes et, d’autre part, les opérations de débit correspondant aux frais de gestion pour la tenue des comptes (…)».

La Cour de cassation vient de casser et d’annuler en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 27 septembre 2021 par la Cour d’appel de Paris, considérant que cette dernière n’aurait pas satisfait aux exigences de l’article L.23 C susvisé.

A défaut d’utilisation du compte étranger, l’absence de déclaration n’est dès lors pas sanctionnable, privant ainsi les services de contrôle français de la possibilité de «dégainer» leur arme!

L’usage immodéré de ce piège par l’administration fiscale semble donc contrôlé de près par la Haute juridiction française!

A lire aussi...