Les risques d’une domination excessive des ETF

Emmanuel Garessus

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Les ETF représentent dorénavant plus de la moitié du marché américain. La poursuite de leur progression pourrait créer de réels problèmes sur les fonctions mêmes de la bourse.

La gestion passive poursuit une ascension qui paraît illimitée. Sur le marché mondial, les ETF ont attiré 126,5 milliards de dollars en mars. Il s’agit de la plus rapide progression de cette année, après les 109,7 milliards en février, selon les statistiques d’iShares. 

Les ingrédients qui alimentent le succès de la gestion passive plaident en faveur d’une poursuite de leur dynamisme. 

La gestion passive dépasse la gestion active. En 2024, pour la première fois de leur histoire, la taille des fonds passifs américains a dépassé celle des fonds qui visent une meilleure performance que l’indice. Les plus grands fonds de placement au monde sont tous des fonds indiciels. Au cours des 9 dernières années, les fonds passifs ont attiré davantage d’argent que les fonds actifs, ajoute la société de recherche Morningstar. Il est vrai que dans ce domaine les Etats-Unis se distinguent du reste du monde puisqu’au sein de ce «reste du monde» la gestion passive ne dépasse pas 26% du total. Mais lorsque l’on sait  quel point les tendances naissent aux Etats-Unis, il serait surprend que cette progression s’arrête prochainement en Europe. 

Les bas coûts et une meilleure performance

L’attrait des ETF tient à leur meilleur rendement et à leur structure de frais plus avantageuse. Une étude de Morningstar révèle qu’en 2023, moins de la moitié des fonds actifs (47%) sont parvenus à présenter une meilleure performance nette des frais que leur concurrent passif. Sur le long terme, l’écart est naturellement bien plus clair. Sur 10 ans, seul un fonds actif sur quatre a survécu et fait mieux que l’indice. 
L’analyse des différentes catégories est parfois cruelle pour les fonds actifs. Dans les grandes capitalisations américaines, le taux de réussite des fonds actifs tombe à 12%. 

Toute bonne règle comporte des exceptions. Les fonds actifs sont par exemple  parvenus à faire mieux que les indices en 2023 dans les obligations (53%, contre 30% en 2022). Sur 10 ans, il n’existe toutefois qu’une catégorie de gérants qui soit parvenue à battre leurs homologues passifs, à savoir les fonds immobiliers. 

Les marchés financiers se nourrissent de l’ascension de la gestion passive mais ils devraient la consommer avec modération. Le magazine Forbes pointe du doigt les inconvénients d’une mainmise des ETF sur les marchés. Certains experts s’attendent en effet que la gestion passive représente jusqu’à 70% du total des marchés. Poussant le raisonnement à ses limites, celle d’une gestion à 100% passive (Boundary condition test), le magazine financier s’interroge sur ses effets sur les sociétés cotées, les introductions en bourse (IPO) et les marchés privés. 

«Au cours des 9 dernières années, les fonds passifs ont attiré davantage d’argent que les fonds actifs, ajoute la société de recherche Morningstar»

S’il n’y avait que des fonds indiciels, les sociétés cotées ne pourraient plus se comparer à leurs concurrents, observe-t-il. Le prix, fonction de l’offre et de la demande, perdrait sa valeur informative qui est au coeur du processus de découverte du marché, selon Hernan Haruvy, professeur à l’université McGill à Montréal. Dans le pire des cas, on assisterait à un gel du marché. Le système d’IPO serait également mis à mal en cas de prédominance de la gestion passive puisque le mécanisme de découverte des prix serait pénalisé. Quant aux marchés privés, ils subiraient un effet de domino. «C’est extrêmement improbable, mais s'il n'y avait personne pour négocier des actions individuelles - pas même des fonds à long terme - il n'y aurait pas de découverte des prix des actifs individuels», explique à Forbes Alan Moreira, professeur assistant à l’université de Rochester.La conclusion de l’article est plus positive, notant que les possibilités d’arbitrage, donc les opportunités de gains, restent considérables, et continueraient d’exister si l’ascension de la gestion passive devait se poursuivre.

Un fort pouvoir sur les marchés

La recherche financière s’interroge aussi sur les effets du pouvoir des fonds indiciels sur les marchés, à l’image de l’étude «Why Do Index Funds Have Market Power? Quantifying Frictions in the Index Fund Market» par Zach Y. Brown, Mark L. Egan, Jihye Jeon, Chuqing Jin, and Alex A. Wu (NBER WP.31778, oct.2023).

Malgré la forte expansion de la gestion indicielle, les frais des différents fonds révèlent de grandes disparités qui n’ont pas lieu d’être si les forces du marché et de la concurrence fonctionnent à la perfection. Les auteurs montrent que trois éléments conduisent à un pouvoir significatif sur les marchés de la part des gérants des fonds indiciels. Il s’agit de trois facteurs de demande, soit l’inertie des investisseurs, des frictions dans la recherche de fonds et l’hétérogénéité des préférences des investisseurs, et d’un facteur d’offre, à savoir les conflits d’intérêts entre courtiers et investisseurs. 

L’inertie des investisseurs est mesurée par la réaction à un «choc externe». Il en ressort que 99% des investisseurs «retail» et 95% des institutionnels sont inertes chaque mois, c’est-à-dire que 13% des petits investisseurs modifient leur portefeuille une fois par an. Les auteurs révèlent que l’élimination de l’effet d’inertie réduirait de 40% le ratio de coût moyen (TER). 

La suppression des frictions liées à la fois à l'inertie et à la recherche a un impact important sur les coûts payés par les investisseurs individuels. Le ratio de dépenses moyen payé par les investisseurs de détail diminue de 78% et l'écart-type des prix diminue de 44%.

Le comportement des leaders d’un marché peut être un bon indicateur de l’avenir des ETF. Vendredi dernier, BlackRock a publié ses résultats trimestriels. Il en ressort que les actifs sous gestion de groupe de Larry Fink s’élèvent à 10 472,5 milliards de dollars et que la gestion indicielle représente 67% des fonds, contre 26% à la gestion active 26% et 7% à la gestion de cash. Le leader de la gestion indicielle est progressivement devenu un acteur majeur de la gestion de fonds de placement actifs. 

Mais si les chercheurs et les médias opposent souvent les gestions indicielle et active, les professionnels emploient d’autres pistes. BlackRock par exemple n’oppose pas les deux styles de gestion, mais préconise une combinaison des deux. Les ETF permettent ainsi de gérer activement son portefeuille avec des produits bon marché. De plus, les «ETF actifs» expriment très bien ce mariage des styles. Il s’agit ici de profiter des avantages de coûts et de tracking error d’un ETF en visant un rendement supérieur à un indice de référence. On parle souvent d’«enhanced ETF». L’explosion des ETF actifs est en effet impressionnante: Leur montant s’élève à 565 milliards de dollars à la fin 2023, contre 58 milliards en 2017. Les investisseurs démontrent par leur comportement que si la gestion indicielle continue de progresser, la gestion active n’a pas de souci à se faire, si ce n’est de battre les indices. Cette tâche est suffisamment compliquée en soi.

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