Une monnaie doit remplir trois fonctions principales: moyen d'échange, unité de compte et réserve de valeur. Historiquement, la monnaie était adossée à des biens précieux comme l'or, dont la production nécessitait du travail et de l'énergie, jusqu'en 1971, date à laquelle les Etats-Unis ont abandonné l’étalon-or, ouvrant ainsi l'ère de la monnaie fiduciaire. Les gouvernements impriment de la monnaie en émettant de la dette publique sans limites concrètes, entraînant inflation, endettement exponentiel et ce que l'on appelle la dépréciation de la monnaie, c'est-à-dire la perte progressive de sa valeur. Depuis les années 1970, le dollar a perdu environ 4% de son pouvoir d'achat annuellement.

Ce phénomène, connu sous le nom de débasement monétaire, conduit de plus en plus d’investisseurs, institutionnels et particuliers à se tourner vers le bitcoin en tant que réserve de valeur sans pour autant considérer la première cryptomonnaie comme un véritable moyen d’échange et unité de compte.

Imaginez à présent un scénario dans lequel les échanges quotidiens, de la simple consommation d'un café au paiement d'un loyer, se feraient en bitcoins. Ce scénario, connu sous le nom d'Hyperbitcoinisation, envisage que le bitcoin remplace au fur et à mesure la monnaie traditionnelle pour devenir la principale devise à l'échelle mondiale, modifiant fondamentalement la façon dont nous percevons, dépensons et épargnons notre argent.

Cet article propose une vision de ce que pourrait être un monde sous l’Hyperbitcoinisation.

Hyperbitcoinisation

L'Hyperbitcoinisation reprend l'idée du bitcoin en tant que monnaie numérique et l'étend à un scénario dans lequel il devient le principal moyen d'échange, unité de compte et réserve de valeur, remplaçant à terme les monnaies fiduciaires traditionnelles. Cela signifie que l'on pourrait payer son café, envoyer un Twint à son ami et même investir en bourse avec du bitcoin.

Daniel Krawisz, directeur de recherche à l'Institut Satoshi Nakamoto, décrit l'Hyperbitcoinisation comme «une transition volontaire d'une monnaie inférieure à une monnaie supérieure, et son adoption est le fruit d'une série d'actes individuels d'entreprenariat». Krawisz décrit l'Hyperbitcoinisation comme une forme révolutionnaire de démonétisation, où les caractéristiques supérieures du bitcoin (décentralisé, transparent, immuable, sécurisé, offre limitée, numérique) conduisent à l'obsolescence des monnaies traditionnelles, amenant progressivement leur valeur à zéro.

Il faut envisager cinq scénarios possibles pour la trajectoire d'une économie basée sur le bitcoin:

Fin des monnaies fiduciaires: Le bitcoin remplace définitivement les monnaies fiduciaires dans les économies mondiales. Le risque de détenir une monnaie fiduciaire susceptible de perdre rapidement de la valeur pousse les populations du monde entier à passer aux cryptomonnaies.

Le bitcoin et les monnaies fiduciaires coexistent: Le bitcoin devient aussi populaire que les monnaies fiduciaires pour les transactions quotidiennes, sans pour autant les éliminer complètement. Le bitcoin est également adopté par les institutions financières.

Semi-Hyperbitcoinisation: Ici, seules certaines régions ou économies adoptent le bitcoin comme monnaie principale, tandis que d'autres s'en tiennent à leurs monnaies nationales traditionnelles. En 2021, le Salvador est entré dans l'histoire en devenant le premier pays à reconnaître le bitcoin comme monnaie officielle. Le FMI, qui était en pourparlers pour accorder un prêt substantiel à ce pays en difficulté financière, est devenu l'un de ses opposants les plus fermes.

Or numérique: Le changement le moins radical consisterait à faire du bitcoin une réserve de valeur, comparable à l'or, et un moyen efficace de transférer de l'argent à l'étranger plutôt que de l'utiliser pour les transactions quotidiennes. Cela signifie que le bitcoin ne prendrait pas la place des monnaies fiduciaires, mais qu'il resterait une réserve de valeur.

Fin du bitcoin: Les gouvernements stoppent l'Hyperbitcoinisation par une série de mesures répressives, allant de la privation d'accès à Internet au rationnement de la consommation d'électricité.

Les vecteurs de l'Hyperbitcoinisation

1. La spirale inflationniste et le surendettement des nations précipitent la chute des monnaies fiduciaires

La poussée vers l'Hyperbitcoinisation est de plus en plus alimentée par l'inflation croissante dans les économies reposant sur les monnaies fiduciaires. L'économiste Stephanie Kelton reproche aux monnaies fiduciaires d'être devenues de simples «points» manipulables et sans valeur réelle. Cette situation n'est pas viable, compte tenu des luttes actuelles contre l'inflation et des exemples d'hyperinflation au Venezuela (193% en 2023) et en Argentine (160,9% en 2023). Dans ce contexte, le bitcoin offre un contraste saisissant: un réseau décentralisé échappant au contrôle des banques centrales, avec une offre fixe limitée à 21 millions de jetons. Cette rareté fait du bitcoin un actif résistant à l'inflation.

En outre, les Etats-Unis sont confrontés à un niveau d'endettement stupéfiant, qui s'élève à 34’000 milliards de dollars en 2024 et augmente désormais de 1’000 milliards tous les trois mois. Le cycle permanent d'emprunt et d'accumulation de dette sans stratégie claire de remboursement est une faille profonde du régime fiduciaire. Cette instabilité se reflète dans le cours du bitcoin, qui atteint de nouveaux sommets historiques dans toutes les monnaies du monde.

Source: The Kobeissi Letter, BofA

2. Adoption massive du bitcoin

L'acceptation universelle du bitcoin s'accélère, avec plus de 15’000 entreprises globales, y compris des géants comme Apple, Walmart, et Disney, qui acceptent les paiements en cryptomonnaie, directement ou via des applications tierces. Cette tendance se poursuit au fur et à mesure que les bénéfices de l'acceptation du bitcoin l'emportent sur les coûts.

La poussée vers l'Hyperbitcoinisation pourrait également être accélérée par l'augmentation de l'adoption institutionnelle et des produits dérivés du bitcoin, tels que les ETF, les contrats à terme et les options, rendant les cryptomonnaies plus accessibles aux investisseurs traditionnels.

D'autres pays pourraient imiter le Salvador en adoptant le Bitcoin comme monnaie officielle, en particulier dans les régions nécessitant une monnaie stable. Depuis 2022, sous l'impulsion de son président Nayib Bukele, le Salvador s'engage à acheter un bitcoin par jour. En 2024, ils ont accumulé 5’690 bitcoins (équivalent à environ 400 millions de dollars).

Source: Nayib Bukele on X

3. Monnaies numériques des banques centrales (CBDC)

De nombreux politiciens préconisent alors la création de CBDC, des monnaies numériques contrôlées par le gouvernement, afin de maintenir leur influence sur la politique monétaire. Ils estiment qu'une telle mesure pourrait affaiblir les cryptomonnaies. Or, cela pourrait avoir l'effet inverse. L'introduction de monnaies numériques contrôlées par le gouvernement, comme le yuan numérique, suscite des inquiétudes quant à la protection de la vie privée et à la sécurité personnelle, et pourrait ironiquement pousser les gens à se tourner vers le bitcoin, qu'ils considèrent comme la seule véritable forme de monnaie indépendante.

Avantages de l’Hyperbitcoinisation

1. Redistribution des richesses

Sous un régime d'Hyperbitcoinisation, l'économie mondiale adopterait le bitcoin comme monnaie principale. Le bitcoin ne serait plus évalué en monnaie fiduciaire; 1 BTC correspondrait simplement à sa propre valeur. Les prix des biens et services seraient exprimés uniquement en bitcoins, potentiellement instaurant un modèle économique déflationniste.

Cependant, pour que le bitcoin serve efficacement de monnaie quotidienne, sa volatilité doit être réduite, afin de faciliter les transactions quotidiennes. Selon Willy Woo, avec l'Hyperbitcoinisation, le cours du bitcoin s'envolera puis se stabilisera, potentiellement à un niveau très élevé.

L'Hyperbitcoinisation pourrait chambouler les systèmes financiers traditionnels, qu'il s'agisse des banques ou des politiques monétaires des gouvernements. L’adoption massive du bitcoin entraînera une dévaluation rapide des monnaies fiduciaires, ce qui se traduira par une redistribution des richesses en faveur des premiers utilisateurs du bitcoin. Ce nouveau cadre économique renforcerait également la légitimité des autres cryptomonnaies, en les intégrant dans l'économie circulaire.

2. Inclusion financière

L'essor du bitcoin pourrait faciliter l'accès aux services financiers, surtout dans les zones insuffisamment bancarisées. Les cryptomonnaies, numériques et sans frontières, assurent des transactions transparentes et sécurisées. Grâce à la blockchain, ceux qui étaient exclus du système bancaire traditionnel peuvent désormais participer à l'économie mondiale, sans recourir à des comptes bancaires exprimés en monnaie locale.

3. Une sécurité renforcée

L'Hyperbitcoinisation s'appuiera sur la blockchain pour offrir une plus grande confidentialité et une meilleure sécurité que les systèmes financiers traditionnels. Toutes les transactions sont transparentes et enregistrées sur la blockchain, liant les opérations à des adresses cryptées plutôt qu'à des données personnelles. Cela réduit le risque de violation des données que l'on observe dans les banques traditionnelles. De plus, l'immuabilité du grand livre de la blockchain empêche la fraude en rendant les transactions irréversibles et plus sécurisées.

Les contraintes liées à l'Hyperbitcoinisation

1. Statut des monnaies fiduciaires

Les investissements et les transactions en bitcoins sont de plus en plus populaires, mais leur intégration dans les transactions quotidiennes est cruciale pour leur adoption par le grand public. Selon Chainalysis, plus de 460 millions d'adresses de portefeuilles bitcoins ont été créées. Cependant, environ 90% de ces portefeuilles sont inactifs, ce qui laisse un peu plus de 46 millions de portefeuilles avec au moins 1 dollar. Les transactions quotidiennes en bitcoins s'élèvent actuellement à environ 450’000, ce qui indique une utilisation encore limitée par rapport aux transactions globales en monnaie fiduciaire.

Le dollar, par exemple, a certes moins de pouvoir d'achat qu'il y a 20 ans, mais il domine plus que jamais les transactions mondiales. Le scénario d'une disparition totale des monnaies fiduciaires n'est concevable que si les nations abandonnent ou perdent leur autorité monétaire, un événement hautement improbable pour le moment compte tenu des puissances économiques actuelles telles que les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne.

Source: JP Morgan

2. Volatilité

Le bitcoin est connu pour ses fortes fluctuations de prix, ce qui pose un problème important pour son usage dans les transactions quotidiennes. Pour que le bitcoin soit considéré comme une unité de compte, sa valeur doit être prévisible et stable, à l'instar des monnaies traditionnelles comme le dollar. L'augmentation de la liquidité et l'adoption du bitcoin devraient atténuer sa volatilité. Néanmoins, il est encore difficile d'atteindre une maturité de marché qui stabiliserait définitivement le prix du bitcoin.

3. Difficultés technologiques

Bien que le Lightning Network de Layer 2 aient amélioré la vitesse et l’extensibilité des transactions Bitcoin, rendant également le processus plus écologique, le traitement instantané de milliards de transactions reste pour l’instant hors de portée. De plus, à mesure que le réseau s'agrandit et que le volume de transactions augmente, il en va de même pour les frais de transaction. En avril 2024, les frais de transaction moyens pour le bitcoin étaient de 9,1 dollars, bien en dessous du pic de 2021 de 60 dollars par transaction. Imaginez devoir payer 60 dollars juste pour acheter une bouteille d'eau. Les défis incluent aussi la dépendance à l'accès internet, la forte consommation d'énergie des mineurs et les risques de cybersécurité comme le problème de la double dépense ou les attaques à 51%.  

Source: Frais de transaction du Bitcoin, Blockchain.com

4. Réaction des gouvernements

Dans un monde marqué par l'Hyperbitcoinisation, le pouvoir traditionnel des banques centrales en matière de politique monétaire serait considérablement remis en question. Les gouvernements pourraient résister à l'Hyperbitcoinisation en recourant à des mesures répressives ou pourraient s'adapter pour intégrer le bitcoin dans leur cadre réglementaire.

Gouverner un système financier décentralisé pose des défis réglementaires uniques. Les gouvernements devront élaborer de nouvelles lois ou modifier les lois existantes pour gérer une monnaie qui transcende les frontières nationales et fonctionne en dehors du système bancaire traditionnel. Ils devront notamment adapter les lois relatives à la fiscalité, aux valeurs mobilières et à la protection des consommateurs. Une coopération mondiale sera nécessaire pour établir des cadres réglementaires normalisés.

Conclusion

S'il n'est pas certain que le bitcoin devienne la monnaie universelle, sa croissance soutenue fait de l'Hyperbitcoinisation une possibilité. Comme le souligne le proverbe, «La nécessité est la mère de toute invention». Nous nous trouvons au cœur d'une expérience défaillante de la monnaie fiduciaire et d'une nécessité croissante d'utiliser le Bitcoin comme moyen d'échange, réserve de valeur et potentiellement unité de compte.