Les limites d’un ETF avec 100% de protection

Emmanuel Garessus

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Innovation: un fonds indiciel sur l’indice S&P promet une couverture totale contre les pertes… et un rendement très limité.

©Keystone

Un fonds de placement qui garantit une protection du capital de 100% sur l’indice des actions américaines (S&P 500) et qui participe partiellement à la hausse. Est-ce le produit miracle? Le Financial Times publiait l’information la semaine dernière en insistant sur le caractère innovant du fonds et en débattant de ses capacités de disruption du marché des fonds indiciels.

Cet ETF - un fonds indiciel coté- pousse à l’extrême l’idée comprise dans la nouvelle catégorie d’ETF lancée aux Etats-Unis, les «Buffer ETF», soit des fonds à résultat défini qui protègent contre une perte en capital. En termes de coussin, la protection du nouvel ETF est officiellement totale puisque de 100%.

Cette catégorie de «Buffer ETF» a pris son envol l’an dernier, avec un volume de 10,9 milliards de dollars en 2022 en Amérique du Nord, selon le FT. Au premier semestre, ce marché s’est accru de 4,9 milliards de dollars. Et le leader mondial de la gestion d’actifs, BlackRock s’est aussi lancé, comme le confirme une porte-parole. Mais cette catégorie d’ETF n’est pas commercialisée en Suisse, indique-t-elle.

La protection du capital n’est d’ailleurs pas tout à fait de 100% puisqu’il faut ajouter les frais de transactions et les frais de gestion du fonds.

Le produit «Buffer» protège l’investisseur d’un risque de baisse mais le rendement est limité à la hausse. Ici le gain ne peut pas dépasser 15 à 18% sur 2 ans (donc 7,1 à 8,8% sur base annuelle). Même si le S&P progresse au-delà, l’investisseur ne peut donc en profiter davantage. Le rendement dépasse à peine celui offert actuellement par les obligations à court terme du Trésor américain en dollars (environ 5%).

Emis par Innovator Capital Management, aux Etats-Unis, le pionnier de ce nouvel instrument, l’ETF avec 100% de protection utilise des options pour protéger le capital de l’investisseur. «La protection du capital n’est d’ailleurs pas tout à fait de 100% puisqu’il faut ajouter les frais de transactions et les frais de gestion du fonds (TER). Or ces derniers sont assez élevés pour un ETF (0,79% par an)», indique Roland Bron, directeur de VZ VermögensZentrum en Suisse romande. L’innovation paraît plaire à notre interlocuteur. «Si un ETF similaire était lancé en Suisse, nous ne manquerions pas de l’analyser avec la plus grande attention», déclare Roland Bron.

Par ailleurs, selon VZ, la protection à 100% ne vaut que par rapport au cours initial de l’ETF et n’est donc pas applicable de la même manière durant l’ensemble de la durée du produit. Le niveau de protection dépend par la suite du niveau de la VNI lors de l’investissement initial. Un investisseur qui achèterait l’ETF plus tard ne bénéficierait donc pas forcément d’une protection à 100% sur son investissement initial.

Le rendement maximal d’environ 8% par exemple n’est lui aussi garanti qu’en fonction du prix initial de l’ETF. L’investisseur qui entre plus tard dans le produit dispose également d’un gain maximal moindre (problème similaire à celui de la protection mentionné plus haut).

L’ETF américain qui promet 100% de protection sur l’indice S&P 500 «ressemble à s’y méprendre à un produit structuré, en l’occurrence un certificat à capital garanti.

En Suisse, pour le moment, selon VZ, l’investisseur à la recherche d’une protection à 100% devrait s’intéresser à un produit structuré si ce n’est qu’il doit alors supporter le risque de l’émetteur. Faut-il limiter les gains? Pour Roland Bron, les marchés financiers ont tendance à monter plus souvent qu’ils ne baissent. Le cap de rendement maximal représente donc un coût d’opportunité. Les rendements manqués sont plus élevés à long terme que la limitation des pertes offerte par la protection du capital.

L’ETF américain qui promet 100% de protection sur l’indice S&P 500 «ressemble à s’y méprendre à un produit structuré, en l’occurrence un certificat à capital garanti émis par une banque», déclare Gilles Corbel, co-fondateur et associé de Finanzlab, à Lausanne. L’ETF en question achète des options comme le fait l’émetteur d’un certificat à capital garanti.

Cependant il élimine le risque de contrepartie grâce à l’usage d’options flexibles (FLEX) sécurisées par l'Option Clearing Corporation, la chambre de compensation la plus grande à l'échelle mondiale.
Un produit structuré avec capital garantit fait appel à un émetteur dont la notation est élevée, par exemple AA. Il en résulte une exposition identique à l’ETF d’Innovation Capital Management avec un coût similaire, selon Gilles Corbel. Si l’on entre dans les détails, l’associé de Finanzlab note l’avantage de la transparence fiscale d’un structuré suisse par rapport à cet ETF construit sur-mesure pour des investisseurs américains et adapté à leur propre régime fiscal.

L’ETF d’Innovator Capital Management peut s’identifier à ce que les professionnels appellent du «cash plus» (donc un rendement proche du cash mais au rendement supérieur). Mais le capital est garanti seulement à l’échéance de deux ans, note Gilles Corbel. Si l’indice S&P perd de sa valeur d’ici un an, le capital n’est pas garanti à cette date. Il s’agit donc d’un cash garanti pour autant qu’il ne soit pas nécessaire pendant deux ans, précise Gilles Corbel. De l’avis de ce dernier, seul un petit nombre de gérants de fortune investissent dans des produits à capital garanti en les considérant comme du «cash amélioré».

Le fonctionnement est semblable à celui d’une obligation, avec un remboursement à l’échéance et un revenu variable, lié à une formule qui prend en compte la performance de l’indice S&P 500.
Les Etats-Unis sont moins habitués aux produits structurés émis par des banques et préfèrent des ETF, selon Gilles Corbel. L’ETF, outre le fait d’être coté en permanence, a entre autres avantages pour l’émetteur celui de ne pas figurer dans son bilan, à l’inverse d’un certificat à capital garanti. Les investisseurs aiment les «trackers», soit les ETF, également du fait de leur diversification et de leur processus de surveillance.

La taille nécessaire pour lancer un produit à capital garanti plaide, sur le marché ETF, pour le choix d’un marché aussi large que les Etats-Unis, selon Gilles Corbel. En Suisse, le lancement d’un fonds de placement nécessite une autorisation de la Finma, donc prend du temps, et se trouve confronté à un marché de taille relativement limitée. Cet ETF offre des caractéristiques si proche de celles d’un capital garanti que même le taux de frais de cet ETF (0,79%) est très proche d’un capital garanti.