L’émergent frontière demande une approche active

Caleb Coppersmith, DPAM

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Les performances compensent très largement les difficultés rencontrées auprès des émetteurs de moindre qualité.

Les marchés frontières offrent des rendements élevés qui compensent leurs désavantages sur les plans de la liquidité et de l’accessibilité à l’information. La diversification sur ces marchés qui sont un sous-ensemble de l’univers des marchés émergents est fondée sur leurs idiosyncrasies. Les particularités propres à chacun d’entre eux permettent en effet de circonscrire leurs risques, ce qui constitue un avantage clef de la gestion active.

L’époque de l’argent facile et la performance sans peine est bien révolue. Cependant, les environnements difficiles auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui regorgent d’opportunités, notamment pour les gérants actifs capables de détecter les gisements de valeur existant dans l’univers des investissements risqués et donc de dégager des performances exceptionnelles. Les marchés frontières se prêtent particulièrement bien à cet exercice: leurs valorisations très attrayantes et leurs profils de risque idiosyncrasiques représentent un terrain idéal pour la quête de «diamants bruts».

Des rendements de 10%, voire davantage

Les marchés frontières se caractérisent par des notations de qualité moindre, presque exclusivement «B» ou inférieures. Ils sont illiquides et, en général, les emprunts d’Etat sont les seuls actifs disponibles pour l’investissement. Ces raisons expliquent le fait que la plupart d’entre eux ne sont pas inclus dans les indices. Ceci accentue le besoin d’une approche active. Mais ces difficultés sont très largement compensées par des rendements extrêmement élevés qui dépassent les 10% pour les titres libellés en euros ou en dollars et qui atteignent parfois le double pour ceux libellés en devises locales.

Les notations de crédit reflètent bien davantage la capacité à emprunter plutôt que le seul risque de défaut. Elles ne sont donc pas un guide pertinent pour la valorisation des obligations.

Mais une fois ces caractéristiques communes mises de côté, les marchés frontières constituent un ensemble très hétérogène. Il s’étend sur l’ensemble de la planète et regroupe des économies de toutes tailles et toutes sortes, qui vont de géants en grandes difficultés tels que le Nigeria ou le Pakistan à des états minuscules vivant du tourisme tels que les Bahamas en passant par un titan émergent du secteur des hydrocarbures comme le Mozambique. Ces idiosyncrasies sont source de diversification et de réduction des risques pour cette classe d’actifs.

Tout est dans la méthode

Pour évoluer dans cet univers, il est indispensable de disposer d’une recherche idoine ainsi que d’une méthodologie ESG exhaustive. La capacité à extraire de l’alpha repose en effet sur le manque généralisé de couverture de ces marchés par les analystes, une lacune qui se traduit par des valorisations excessivement basses pour des titres dont les caractéristiques varient fortement, soit sur le plan de leur risque débiteur, soit sur celui de leur risque devise.

A ce propos, il est important de souligner le fait que les notations de crédit reflètent bien davantage la capacité à emprunter plutôt que le seul risque de défaut. Elles ne sont donc pas un guide pertinent pour la valorisation des obligations. Par exemple, le Ghana, actuellement en phase de restructuration de sa dette souveraine, bénéficiait jusqu’en août dernier de la même notation S&P que la Papouasie Nouvelle-Guinée. Or cette dernière n’était que faiblement endettée et n’avait qu’une seule euro-obligation en circulation n'arrivant à échéance qu’en 2028.

Dans un tel environnement, il est indispensable d’adopter une approche analytique approfondie qui permet d’identifier les gisements de valeurs d’un côté et d’éviter les emprunts dont la valorisation ne compense pas les risques parfois excessivement élevés de l’autre. Une telle approche devrait s’appuyer sur une grande diversité de sources, qui vont des fournisseurs de données officiels aux banques locales, en passant par le FMI et les contacts au niveau gouvernemental, aux visites régulières sur le terrain dans les pays où sont localisés les investissements.

Identifier les risques, évaluer les atouts

Lorsqu’on envisage d’investir sur les marchés frontières, la priorité est d’identifier les risques de baisse et en particulier l’éventualité d’une faillite de l’Etat ou d’une crise de la balance des paiements. Cela signifie qu’il faut analyser les besoins et les sources de financement sur le moyen terme et de les mettre en regard des réserves de change disponibles. Cette approche permet parfois de remettre en valeur des débiteurs souverains dont les fondamentaux laissent par ailleurs à désirer. Le Nigeria par exemple est faiblement endetté et l’échéancier de ses remboursements est très supportable. De ce fait, malgré les graves difficultés économiques et politiques que traverse ce pays, les rendements élevés de ses euro-obligations méritent d’être pris en considération.

Le deuxième impératif est l’évaluation des atouts politiques et institutionnels d’un débiteur souverain, évaluation dont la nature qualitative exige essentiellement une approche terrain. Cette dernière permet d’identifier les facteurs critiques d’économies fondamentalement fortes. Ainsi l’Equateur, pays exportateur de pétrole dollarisé apparemment bien placé pour tirer parti de la hausse des prix des matières premières, souffre de la radicalité politique de sa population, attitude qui est une entrave à la moindre tentative de réforme et qui alimente le climat d’instabilité et d’incertitude du pays. A l’opposé, le Benin, l’une des économies les moins développées du continent africain, présente une trajectoire de développement crédible, soutenue par une administration hautement technocratique.

Ces stratégies d’investissement permettent d’extraire de la valeur dans des situations de stress financier élevé, voire même de défaut, chez des émetteurs souverains tels que le Salvador, le Sri Lanka ou la Zambie. Il est en effet possible de tirer parti du fait que le cours des obligations de ces Etats peut tendre à surestimer les besoins de restructuration de ces pays et donc à sous-estimer la valeur intrinsèque de leurs emprunts. L’investissement dans les marchés frontières représente un élément critique de nos stratégies marchés émergents dans la mesure où il permet d’extraire de l’alpha et de produire de la diversification tout en tirant parti des points forts de l’approche active.

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