Inflation américaine, «to be or not to be transitory»?

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Il est peu probable que l’inflation soit beaucoup plus élevée au milieu de la décennie 2020 qu'au milieu de la précédente, ce qui devrait être positif pour les actifs financiers.

Suite à la poussée inflationniste de ces deux dernières années, parler d’«inflation transitoire» est presque devenu une hérésie et d’aucuns affirment même que les pressions inflationnistes seront durablement plus élevées à l'avenir qu'au cours de la décennie ayant précédé la pandémie. Pourtant, une analyse rationnelle des dernières données conforte largement l'idée que l’essentiel de cette poussée inflationniste était bien transitoire et que les forces qui ont engendré une inflation atone au cours de la dernière décennie sont encore à l'œuvre de manière sous-jacente.

A court terme, nous pensons que l'inflation globale passera sous la barre des 4% en glissement annuel d'ici juin prochain, qu'elle se maintiendra autour de 4% pendant le reste de l'année et qu'elle renouera avec sa tendance à long terme courant 2024. Celle-ci est influencée par différentes forces qui ont entraîné une baisse régulière de l'inflation du début des années 1980 à la première décennie du 21e siècle et une évolution en dents de scie de l'inflation dans une fourchette très basse lors de la décennie ayant précédé la pandémie. Si l’on veut déterminer l’orientation à long terme de l'inflation américaine, il est indispensable de passer ces forces en revue:

Inégalités de revenus: L'augmentation des inégalités de revenus à tendance à réduire l'inflation dans la mesure où les ménages les plus aisés épargnent généralement une plus grande partie de leurs revenus que les autres, préférant consacrer leurs revenus à l’investissement dans des actifs financiers plutôt que d’acheter des biens de consommation et des services. Selon l'enquête sur les dépenses de consommation de 2021, les 10% des ménages les plus aisés épargnent 33% de leur revenu après impôt, contre seulement 7% pour les autres. Selon les calculs de l'économiste Emmanuel Saez1, la part des revenus des 10% des ménages les plus riches est passée de 34,6% en 1980 à 50,0% en 2019. Depuis, cette tendance s'est poursuivie, les 10% de ménages les plus aisés ayant perçu 55,4% des revenus en 2021, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré, ce qui laisse présager une poursuite des pressions baissières sur l'inflation.

Le recours aux technologies de l'information dans le cadre des transactions est un facteur à long terme tout aussi important dans la baisse de l'inflation.

Le déclin des syndicats: Le pourcentage de travailleurs affiliés à un syndicat est passé de 23,3% en 1983 à 11,6% en 2019. Après une brève augmentation pendant la pandémie, dans le sillage des licenciements de travailleurs non syndiqués, cette tendance a repris et, en 2022, seulement 11,3% des travailleurs étaient syndiqués.  Dans une certaine logique, le nombre de grèves a également diminué. Entre 1964 et 1979, les mouvements de grève impliquant plus de 1000 travailleurs étaient d’environ 200 chaque année. En 2019, seulement 25 grèves majeures ont été organisées. L'année dernière, malgré une inflation élevée et un marché de l'emploi qui n’a pas été aussi tendu depuis plus de 50 ans, seules 23 grèves ont été enregistrées. Et seulement 3 ont été comptabilisées lors du premier trimestre 2023. D’une part, ces tendances tendent à montrer que les travailleurs ne sont peut-être pas en mesure d'exercer le pouvoir de négociation que devrait leur conférer un marché du travail sous tension et, d’autre part, elles expliquent aussi pourquoi la croissance des salaires en glissement annuel est maintenant inférieure à l'inflation de l'IPC depuis 24 mois consécutifs.

Les technologies de l’information: Le recours aux technologies de l'information dans le cadre des transactions est un facteur à long terme tout aussi important dans la baisse de l'inflation. Traditionnellement, le vendeur en sait plus sur le produit que l'acheteur et sait parfaitement comment le vendre à un prix élevé. Toutefois, ces dernières décennies, une part croissante des biens et des services a été achetée sur Internet ou grâce à des connaissances acquises en ligne, ce qui confère un avantage aux acheteurs. La pandémie a entraîné une transition accélérée vers l'achat de biens et de services sur Internet et pourrait donc devenir une force désinflationniste encore plus puissante.

Les politiques publiques: Depuis 40 ans, et à l’exception des deux dernières années, la Réserve fédérale a pu adopter des positions de plus en plus conciliantes en réponse aux phases de ralentissement économique, sans pour autant payer de «pénalité» au titre de l'inflation. Sur cette même période, les largeurs budgétaires n’ont cessé d’augmenter. Toutefois, même si l'inflation se rapproche de l'objectif de la Fed et que l'économie entre en récession, nous ne pensons pas que les taux des fonds fédéraux retomberont à zéro. Aujourd’hui, la Fed peut au moins constater les dommages causés par le maintien de cette politique pendant de nombreuses années après la crise financière. De même, il est peu probable que les autorités se montrent aussi généreuses à l'avenir, en raison des fractures à court terme au sein du gouvernement, mais aussi d’une évidence: l'inflation récente a en partie été alimentée par une réponse budgétaire trop puissante face à la pandémie.

En résumé, même si certaines forces vont soutenir l'inflation à long terme, il est peu probable que l’inflation soit beaucoup plus élevée au milieu de la décennie 2020 qu'au milieu de la précédente, ce qui devrait être positif pour les actifs financiers.

 

1 «Income Inequality in the United States», 1913-1998, avec Thomas Piketty, Quarterly Journal of Economics, 118(1), 2003, 1-39 - données mises à jour en 2021, février 2023.

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