Faut-il encore investir en Chine?

Frédéric Leroux, Carmignac

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Les autorités chinoises ne relancent jamais par la consommation, spécialité de l’ouest et témoignage éclatant pour elles de la faiblesse de la démocratie.

La Chine ne cesse de surprendre depuis le début de cette décennie. La gestion autoritaire mais efficace de la première vague de Covid avait suscité l’admiration de beaucoup et permis en 2020 une surperformance spectaculaire de son économie et de son marché actions. Le sentiment d’une quasi-infaillibilité économique après un sans-faute d’une trentaine d’année au-moins se renforçait jour après jour d’autant que la gestion de la pandémie par les démocraties occidentales laissait souvent un sentiment d’amateurisme prononcé. Mais depuis deux ans tout semble s’être inversé. La politique zéro COVID mise en œuvre pour faire face à la nouvelle vague de la pandémie a rappelé, si c’était nécessaire, la différence entre nos systèmes politiques occidentaux et les régimes plus autoritaires. Les autorités se sont aussi engagées dans une dynamique de régulation brutale d’internet qui a très négativement impacté le comportement boursier du secteur, auquel les investisseurs étrangers étaient très exposés. Les tensions géopolitiques ont également fait leur retour, l’espionnage ayant perdu de sa discrétion et la question taïwanaise faisant de nouveau surface. Aujourd’hui, après l’abandon brutal de la politique zéro Covid en novembre 2022, la réouverture économique déçoit par son dynamisme en demi-teinte. Beaucoup réclament un plan de relance massif et la question se pose de l’«investissabilité» du marché chinois. Cette demande et ce questionnement ne seraient-ils pas un peu prématurés?

Les autorités chinoises ne relancent jamais par la consommation, spécialité de l’ouest et témoignage éclatant pour elles de la faiblesse de la démocratie. Les plans de relance se focalisent sur les investissements, notamment en infrastructures. Nous pensons qu’il est trop tôt pour les autorités de décider d’un tel plan aujourd’hui, qu’une faiblesse économique plus marquée est nécessaire et, surtout, que les autorités ne peuvent se permettre si rapidement une inversion de leur politique décidée l’an dernier visant la stabilité financière et la réduction de l’endettement. Un plan de relance massif ne devrait pas être décidé immédiatement.

Ce délai avant la mise en œuvre du soutien attendu serait d’ailleurs probablement une très bonne chose pour l’économie mondiale. D’abord, en effet, les plans de relance chinois ont une fâcheuse tendance à pousser initialement le prix des matières premières à la hausse. Comment s’accommoderait l’économie mondiale d’un tel choc alors que tout le monde voudrait que le rythme de désinflation s’accélère? La baisse des taux d’intérêt obligataires tant attendue ne serait pas au rendez-vous; on pourrait même assister à leur remontée, qui fragiliserait sensiblement les marchés financiers et les économies du reste du monde. Ensuite, les dirigeants chinois seraient bien inspirés d’attendre un ou deux trimestres de plus pour relancer la machine. Le timing de leur intervention pourrait alors fort bien coïncider avec l’entrée en récession tant attendue (à défaut d’être désirée) des économies avancées. Ce report de la relance chinoise permettrait alors d’éviter une récession mondiale profonde tout en ayant préalablement favorisé la désinflation mondiale. Il est d’ailleurs intéressant de noter que depuis le massif plan de relance chinois de 2008, qui a sauvé les économies occidentales de la grande crise financière, la Chine a tendance à évoluer en phase inversée vis-à-vis d’elles, ce qui a évité la synchronisation des cycles économiques régionaux donc les surchauffes ou les récessions globales marquées, au grand bénéfice des marchés financiers. Relancer dès maintenant serait précipité.

Les capacités de production créées à l’occasion de chaque plan de relance en Chine tendent à y engendrer dans le temps des pressions déflationnistes. Celles-ci sont aujourd’hui structurellement amplifiées par des facteurs démographiques: la forte baisse de la natalité et le vieillissement de la population.

A ces deux moteurs déflationnistes s’ajoute la purge inachevée du marché immobilier. L’économie chinoise et ses marchés ont donc un pouvoir positivement diversifiant à moyen terme alors que les économies de l’ouest auront au contraire à connaître une inflation durable (moins d’épargnants donc moins d’investissement et de gains de productivité, moins de productions délocalisées à bas prix, une énergie plus chère, une moindre volonté d’efficacité économique). Déclarer l’économie chinoise et ses marchés «ininvestissables» constitue ainsi vraisemblablement une erreur de perspective, même si, compte tenu des faiblesses actuelles, les actions chinoises doivent davantage être perçues comme des opportunités de trading pour investisseurs contrariants. Attendons donc l’annonce d’un nouveau plan de relance par les infrastructures pour y réinvestir.

L’Inde, désormais le pays le plus peuplé au monde, pourrait continuer de profiter boursièrement des atermoiements chinois. Ce pays, qui a encore beaucoup à accomplir dans son développement, pourrait faire de l’océan Indien un grand espace économique dynamique, à un moment où le réservoir de matières premières de l’ex empire soviétique pourra être amené à reconsidérer sa zone de chalandise.

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