De la Chine au reste du monde: effets macro de la réouverture

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Ce qui se passe en Chine ne reste pas longtemps en Chine. Vu son poids considérable dans les échanges, les effets se diffusent sous divers canaux au reste du monde.

©Keystone

La réouverture de la Chine, suite à l’abandon de la politique zéro-Covid, s’annonce comme une composante majeure des perspectives de 2023. Le PIB réel chinois est 2,5 points sous sa tendance, la consommation 5 à 10 points dessous. Cela donne un ordre de grandeur du rattrapage une fois que la crise sanitaire sera reléguée au second plan. Toutefois, des freins demeurent, bridant un redressement plus durable de la demande chinoise: crise immobilière, endettement, contexte politique. Le modèle de croissance chinois reste fondamentalement dépendant de l’investissement, pas de la consommation.

Fort rebond en 2023, circonspection au-delà

Pendant trois ans, la Chine a vécu sous la politique zéro-Covid imposant des confinements stricts dès qu’un foyer d’infection était identifié. En 2020, le reste du monde ayant répondu de la même manière à la pandémie, la Chine avait continué de surperformer, mais en 2022, le coût économique de cette politique sanitaire est devenu insupportable.

Le taux de croissance de la Chine a été officiellement estimé à 3% en 20221, un peu moins que le reste du monde (3,1% selon la Banque mondiale). Cette sous-performance est inédite depuis au moins quatre décennies. La cause est double. Primo, la politique sanitaire a un impact négatif direct sur la consommation puisque les ménages sont empêchés de se déplacer librement tant à l’intérieur de la Chine que vers l’extérieur. Secundo, le secteur résidentiel traverse une crise après des années d’exubérance. Sur ce point, le mieux que peuvent faire les autorités est que la correction soit la plus graduelle possible et ne débouche pas sur des faillites en cascade de promoteurs. En somme, l’an dernier, les exportations et l’investissement non-résidentiel étaient les seuls moteurs encore actifs, ce qui n’est pas suffisant pour faire reculer le chômage.

On ne saurait oublier que la consommation subit en Chine d’autres contraintes que sanitaires, qui touchent aux structures mêmes de l’économie, de la politique et de la société.

Face à la dégradation des indicateurs économiques et peut-être aussi en réaction aux manifestations de la population contre les contraintes sanitaires, les autorités ont décidé le mois dernier d’abandonner sans préavis la politique zéro-Covid. Il n’y a plus de freins à la circulation, ni des Chinois, ni du virus, lors de la grande migration du Nouvel An. Le versant négatif de cette décision est d’exposer une population mal protégée au Covid. Les autorités, n’en doutons pas, prendront soin de minimiser le coût humain autant que possible mais elles ne peuvent empêcher que l’activité et les échanges s’en trouvent chahutés (absentéisme, délais de livraison). Le versant positif est de libérer une demande jusqu’alors contrainte, permettant de stimuler l’activité en Chine et la demande adressée au reste du monde.

Selon les données du FMI et de la Banque mondiale, la Chine pèse environ 18% du PIB mondial, 15% des exportations et une peu moins de 10% des importations. Mais son poids est plus important dans de nombreux domaines. Avant la pandémie, la Chine représentait 20% des importations de pétrole ou de gaz naturel, plus de 50% de la demande de minerai de fer, de cuivre et d’autres métaux, 20% des échanges de circuits intégrés et de nombreux autres biens d’équipement, etc. A la suite de sa réouverture, si la Chine accroît sa demande de produits ou de services, cela peut soit encourager une hausse de la production dans d’autres pays, soit, si l’offre est inélastique, une hausse de prix (ou une combinaison des deux effets).

Quel peut être le surcroît de croissance en Chine? Un premier élément de réponse consiste à estimer dans quelle proportion l’activité et la demande ont été contraintes du fait des contraintes sanitaires. En 2020, lors du premier confinement, le PIB avait chuté d’un coup d’environ 15 points; cet écart avait été comblé en six mois. Ces trois dernières années, la tendance de croissance en Chine s’est un peu affaissée suite aux déboires du secteur immobilier, peut-être aussi à cause du contrôle renforcé sur le secteur dynamique de la technologie. Avec les données du quatrième trimestre 2022, on estime que le PIB réel se situe environ 2,5% sous sa tendance. Les effets de la politique zéro-Covid n’étaient pas uniformes. La consommation des ménages a plus souffert que les exportations. Elle se situerait plutôt dans une marge de 5-10% sous sa tendance, donnant un plus grand potentiel de rebond, une fois que les problèmes sanitaires seront passés au second plan. Compte tenu de l’expérience d’autres pays lors de la levée de restrictions sanitaires, on a tout lieu de s’attendre à un rattrapage des dépenses contraintes en 2023. Mobilité et dépenses vont de pair, à la baisse comme à la hausse.

Toutefois, on ne saurait oublier que la consommation subit en Chine d’autres contraintes que sanitaires, qui touchent aux structures mêmes de l’économie, de la politique et de la société. Un chiffre en donne la mesure: le poids de la consommation y est inférieur à 40% du PIB, soit 20 points de moins que la moyenne de l’OCDE. Les causes sont diverses. La population est vieillissante, et même en déclin. Les systèmes d’assurance sociale sont moins étendus que ceux des pays développés. Avec des marchés financiers peu ouverts, l’épargne des ménages se dirigeait vers l’investissement immobilier, mais sa valeur est désormais en baisse. Dans la période entre la crise financière mondiale (2008) et la pandémie de Covid (2020), il y a eu quelques efforts pour rééquilibrer les sources de croissance. La part de la consommation s’est un peu redressée mais, fondamentalement, le «modèle» de croissance n’a pas changé. Il repose toujours sur l’investissement et les exportations. Enfin, avec un régime politique devenu plus rigide à compter du deuxième mandat de Xi Jinping en 2017, la priorité n’est pas d’encourager la consommation des ménages, ni la liberté qui va avec.

En 2023, les forces positives liées au rattrapage post-zéro-Covid l’emporteront sur les contraintes structurelles qui pèsent sur le potentiel de croissance. Au-delà, le pari est plus hasardeux. Une levée des restrictions sanitaires était l’hypothèse implicite, la vraie surprise est que sa mise en œuvre soit soudaine plutôt que graduelle. A ce stade, en tenant compte d’un premier trimestre où l’activité domestique devrait rester sous pression, le consensus n’a que peu révisé à la hausse ses perspectives pour 2023. Après 3% en 2022, la croissance du PIB réel reviendrait vers 5%. Par rapport à cette vue médiane, on est enclin à faire pencher la balance des risques vers le haut. Si les autorités chinoises prennent un aussi grand risque sanitaire à court terme, il faut bien qu’elles en escomptent un effet assez significatif sur les conditions économiques (hausse des revenus, baisse du chômage).

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