Désirs contre réalités

Axel Botte, Ostrum AM

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La charge de la preuve d’une récession imminente repose sur les marchés de taux.

Photo: Tobias Bjerknes, Unsplash

Le bras de fer entre la Fed et les marchés est engagé depuis les premières turbulences bancaires du mois de mars. La Banque centrale défend un scénario de statu quo monétaire auquel les marchés n’adhèrent pas en raison du risque de rationnement du crédit et de récession. Selon les marchés, une baisse des taux par le marché serait un antidote à la déprime des actions, de sorte que les principaux indices américains et européens restent perchés sur leurs sommets de 2023.

L’équilibre financier repose donc sur une action que les banquiers centraux réfutent. Le recours aux dispositifs de liquidité d’urgence diminue graduellement, signe d’une amélioration dans la sphère bancaire américaine. Les taux américains (3,40% à 10 ans) restent proches des plus bas de l’année en raison des premiers signaux concordants d’un ralentissement du marché du travail. Cela entraine le Bund (sous 2,20%) au mépris des fondamentaux de croissance et d’inflation en zone euro. La volatilité des taux d’intérêt est sans effet sur les spreads de crédit. Le premier mois de resserrement quantitatif de la BCE passe même inaperçu. Le retour du marché primaire sur le high yield coïncide toutefois avec un nouvel écartement de l’ordre de 20pb avant le weekend Pascal, qui limite aussi les échanges. Le marché des changes est peu animé par rapport à la volatilité des taux. On relève toutefois le sursaut du dollar néo-zélandais porté par la hausse des taux surprise de 50pb de la RBNZ. Le sterling fait figure de passager clandestin affichant la meilleure performance du G10 en 2023.

Les données disponibles laissent envisager une croissance annualisée proche de 2% au premier trimestre. La vigueur de la consommation privée, entretenue par l’emploi et la réévaluation des transferts sociaux en janvier, entraine une dégradation du solde extérieur. L’investissement dans le logement s’améliore. En revanche, les dépenses d’équipement des entreprises fléchissent parallèlement à une réduction de la demande de travail (les postes à pourvoir).

Le marché primaire du crédit retrouve un peu d’activité depuis l’accalmie de la volatilité des taux.

Un net déséquilibre persiste sur le marché du travail aux Etats-Unis mais l’excès de demande est moindre. Les créations d’emplois se chiffrent toutefois à 236 mille, ce qui reste plus que suffisant pour absorber l’augmentation de la population active (chômage au plus bas à 3,5%). L’emploi (hors agriculture) est en hausse de 1 million au premier trimestre. Le salaire horaire moyen ralentit (4,3% sur un an) conformément à l’objectif de la Fed de réduire les tensions inflationnistes. En zone euro, les enquêtes conjoncturelles préfigurent une reprise forte au printemps tirée par les services. La réduction de l’inflation à 6,9% en mars est toutefois entachée par l’accélération des prix des services (5%) et l’apparition d’une boucle prix-salaires. En Chine, les sondages dans les services décrivent également une embellie.

L’équilibre des marchés financiers est intrinsèquement instable, car il repose sur une hypothèse de baisse des taux de la Fed de quelque 100pb dès cette année. La hausse de 7% du S&P 500 en 2023 semble incompatible avec les craintes de récession sauf à considérer qu’une baisse des taux effacerait l’effet des révisions bénéficiaires sur les valorisations. L’autre hypothèse est que le comportement des marges atypique dans ce cycle protègera les valorisations d’une rechute de l’activité. Il est d’ailleurs rarissime d’observer une récession alors que les marges sont au plus haut. Plus que de la complaisance, la faible volatilité des actions reflète peut-être ce cycle de profits inhabituel. La saison des résultats qui s’ouvre bientôt aux États-Unis servira de révélateur.

Quant au marché de taux, les publications attestant d’une baisse de la demande de travail (composantes emploi des ISM manufacturier, JOLTS, enquête Challenger) ont provoqué trois accélérations à la baisse successives du 10 ans américain. L’annonce d’une réduction d’1 mbpj des quotas de l’OPEP n’a engendré qu’une tension passagère vite effacée par la question de l’emploi. Le T-note retrouve ainsi son niveau plancher de 2023 à 3,30% à la veille de vendredi saint (et de la statistique mensuelle d’emploi). Les volumes négligeables de vendredi ne permettent pas d’interpréter le rebond épidermique des taux longs à la suite de la publication.

En zone euro, le Bund est davantage entrainé à la baisse par le T-note dont le spread (112pb) s’est beaucoup resserré depuis les sommets de mai dernier à 200pb. Le Bund à 2,30% ignore la réalité de l’inflation ainsi que les signaux d’une embellie économique. Les spreads souverains sont d’une remarquable stabilité.

Les turbulences bancaires en mars et la diminution des réinvestissements de la BCE n’auront eu aucun impact sur les spreads. Les déficits publics se dégradent nettement en France et, plus encore, en Italie où le solde de l’état est déficitaire de 53 milliards d’euros au T1 2023. A ce stade, les détails manquent pour identifier les raisons de ce dérapage, mais les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises et la réévaluation des transferts sociaux avec l’inflation pèsent probablement plus que prévu. Le BTP italien continue de traiter autour de 185pb contre le Bund allemand. Le swap spread s’est stabilisé au-dessus de 70pb. L’absence de stress bancaire en Europe, mis à part le ciblage réflexe de quelques noms comme Deutsche Bank dans la panique, devrait contribuer à un resserrement des swap spreads.

Le marché primaire du crédit retrouve un peu d’activité depuis l’accalmie de la volatilité des taux. Les rachats de fin trimestre semblent s’estomper avec des réallocations vers les produits de taux. Les spreads IG en zone euro sont stabilisés autour de 170pb. Le high yield offre une prime importante de l’ordre de 500pb.

Sur le marché des changes, la récente baisse du dollar trouve un écho dans la hausse de l’or au-delà de 2000 dollars l’once et de l’euro qui s’approche de 1,09 dollar. Le sterling s’apprécie malgré des signaux incohérents de la part des membres du MPC.

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