Cette semaine sur les marchés - Finis les contes de fées

Daniel Morris, BNP Paribas Asset Management

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Les investisseurs devraient avoir une perception plus aiguisée du risque que les prévisions optimistes s’avèrent… trop optimistes.

La fin de l’année 2023 a été marquée par une forte prise en compte sur les marchés du discours d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine, c’est-à-dire l’idée que l’inflation aux États-Unis retournerait à 2%, l’objectif par la Réserve fédérale (Fed), avec uniquement un ralentissement de la croissance et non une récession. Vers la fin de l’année, le sentiment du marché a progressé favorablement quant à la facilité et à la rapidité avec lesquelles cela pourrait se produire, sentiment étayé par l’amélioration des données sur l’inflation et par l’estimation de la Fed elle-même concernant l’ampleur de la baisse des taux directeurs en 2024.

La réaction du marché, cependant, allait bien au-delà des prévisions de la Fed. Alors que l’estimation de celle-ci prévoyait que trois baisses de 25 points de base seraient probables en 2024, les marchés à terme en anticipaient six. Nous avons toujours été sceptiques sur la capacité de la Fed à aller aussi loin.

Ces perspectives relativement favorables (dans la mesure où un ralentissement de la croissance est bien préférable à une récession) ont semblé se révéler exactes lors de la publication des données du PIB du quatrième trimestre 2023 des États-Unis. La première publication (les données sont sujettes à révision) a montré que l’économie avait progressé de 3,3% (rythme annualisé par rapport au trimestre précédent), soit bien au-delà de notre estimation de 1,75% de croissance potentielle à long terme pour le pays. Il s’agit plutôt d’un scénario idéal de «conte de fées», selon lequel la croissance pourrait rester stable – voire s’accélérer –, tandis que l’inflation continuerait malgré tout à baisser.

Cependant, les dernières données à disposition démentent plutôt ce scénario. Le renversement a commencé avec les données sur l’emploi non agricole aux États-Unis, lesquelles révélaient un marché du travail beaucoup plus solide que prévu. Par la suite, en janvier, l’indice américain des services ISM (Institute for Supply Management) est également ressorti au-dessus des prévisions (53,4 contre 52,0 et 50,5 en décembre), le sous-indice des «prix payés» étant particulièrement solide.

La conclusion était que la croissance économique américaine, au lieu de ralentir suite à la hausse des taux directeurs de 525pb, semblait reprendre de la vigueur, ce qui empêcherait l’inflation de décélérer aussi rapidement qu’on le pensait. De ce fait, la perception du marché quant à l’ampleur de la baisse des taux par la Fed a changé, considérant désormais qu’il fallait s’attendre à moins de baisses.

Le rebond des taux d’intérêt réels qui en a résulté a eu un effet prévisible sur les marchés boursiers (principalement une baisse des valorisations des valeurs de croissance), mettant fin au rally de ces derniers mois.

On peut cependant affirmer que les baisses ont été quelque peu modérées par rapport à cette évolution des attentes du marché. Cela s’explique au moins en partie par les nouvelles globalement positives sur les bénéfices des entreprises.

Avec environ la moitié des sociétés du S&P 500 ayant publié leurs résultats (mais seulement près de 80 pour l’Europe), les résultats sont meilleurs que prévu. En raison de la baisse des prix du pétrole depuis le quatrième trimestre 2022, les bénéfices des entreprises de l’indice auraient dû baisser. Jusqu’à présent, les bénéfices publiés ont été positifs (2,1% pour les États-Unis et 0,3% pour l’Europe), mais si l’on exclut le secteur de l’énergie, les taux de croissance bondissent à plus de 5%. Plus important encore, les résultats ont été meilleurs que prévu, avec des surprises positives sur les bénéfices de 6,2% par rapport aux attentes pour les États-Unis et de 2,2% pour l’Europe. Bien que le chiffre pour l’Europe soit quelque peu bas, il est bien meilleur qu’il ne l’a été depuis un certain temps puisqu’il était même négatif au cours des trimestres passés.

Le scénario d’un atterrissage en douceur est fonction de la croissance et de l’inflation et, par conséquent, les risques y afférents dépendent du fait que ces deux facteurs n’ont pas été conformes aux attentes. Plus récemment, les risques provenant de la croissance résidaient dans le fait qu’elle était trop vigoureuse, mais étant donné que les taux directeurs restent élevés et restreignent l’activité économique, la croissance finira par commencer à ralentir. Le risque serait alors qu’elle ralentisse trop rapidement, en particulier une fois que les «excédents d’épargne» des consommateurs américains seront définitivement épuisés. Auquel cas, aussi bien les rendements obligataires que les cours des actions devraient baisser.

Sur le front de l’inflation, celle-ci pourrait s’avérer plus persistante qu’anticipé. Cela pourrait se produire soit parce qu’une croissance plus élevée que prévu fait remonter l’inflation, soit, même si la croissance ralentit, parce que des facteurs structurels pourraient la maintenir pendant un certain temps encore au-dessus des objectifs d’inflation des banques centrales.

Contrairement au début de l’année dernière, où les prévisions pessimistes se sont révélées être, par chance, fausses, les investisseurs aujourd’hui devraient avoir une perception plus aiguisée du risque que les prévisions optimistes s’avèrent… trop optimistes.

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