Bernie fait de la résistance

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Malgré son âge, sa santé et son radicalisme, Bernie Sanders est toujours dans la course au sein du Parti Démocrate.

Vu d’Europe, les Démocrates semblent assez mal partis dans la course présidentielle américaine. Les prétendants à l’investiture sont trop nombreux, trop jeunes (on en reparlera en 2024 disent les analystes) ou trop vieux (et pas en si bonne santé), trop riches, voire magouilleurs (ou soupçonnés de l’être), trop modérés ou encore trop radicaux. A six mois de la Convention et à un mois des primaires, pas une, ni un seul des prétendants ne semble encore capable de rassembler les forces du Parti. Face à eux, Donald Trump reste seul à la tête des Républicains, malgré les vicissitudes de l’année écoulée, une économie en ralentissement, et des sondages en baisse.

A propos de sondages, Joe Biden se détache des autres candidats Démocrates avec une avance de plus ou moins 10 points. Suivi - surprenamment - de Bernie Sanders, le plus âgé, le plus fragile (il a été victime d’un malaise cardiaque cet automne), le plus à gauche et le plus vindicatif des candidats Démocrates. Ses partisans lui sont très fidèles et, avec plus de 30 millions de dollars, il dispose d’une somme rondelette pour mener sa campagne. Il pourrait bien arriver en tête dans les primaires de l’Iowa et du New Hampshire qu’il avait déjà emportées en 2016.

A quoi tient donc son succès? Sa constance certainement. Son indignation probablement. Son programme économique? Au pays du libéralisme, on pourrait en douter. Et de fait, il n’est guère populaire – et même assez marginalisé – au sein même du Parti Démocrate (Barak Obama pourrait sortir de sa réserve). Sénateur depuis 2007, il s’apparente plus à un Jeremy Corbyn ou à un Jean-Luc Mélenchon qu’à un successeur des pères fondateurs.

Socialiste autoproclamé, son programme économique promet
de fortes augmentations d’impôts pour les plus riches.

Son programme trouve toutefois un écho au sein de la jeunesse américaine et d’une partie de la classe moyenne qui se sent désormais déchue. La crise de 2008 est passée par là avec la dénonciation des 0,1% les plus riches par le mouvement Occupy Wall Street.

Socialiste autoproclamé, son programme économique promet de fortes augmentations d’impôts pour les plus riches, un système de redistribution et de santé universel, la gratuité de l’université, l’interdiction des rachats d’actions1, et un protectionnisme total. La finance est certainement «son ennemie».

L’argumentation ne manque pas de fondements. Plusieurs études ont mis en lumière la baisse relative de la part des salaires dans la valeur ajoutée aux Etats-Unis notamment2. Ce phénomène est antérieur à la crise de 2008, et les explications ne manquent pas. Elles s’additionnent sûrement. Le progrès technologique favorise le capital au détriment du travail. La mondialisation a accentué la pression sur les salaires tout particulièrement dans le secteur manufacturier, tout en poussant à la concentration accrue du capital. Pour mémoire, il faut noter que 2019 a été une nouvelle année record pour les fusions-acquisitions et les introductions en bourse. La crise de 2008 a précipité ces tendances avec la hausse du chômage, au moment où les baby boomers se retiraient du marché du travail.

Il semble bien que l’automatisation de l’industrie
touche les emplois les moins qualifiés.

Effet de noria, affaiblissement des organisations syndicales, moindre concurrence alors que les lois anti trust peinent à s’appliquer face aux nouveaux géants technologiques. Ces facteurs auraient conjointement contribué au ralentissement de la part des salaires dans le  PIB américain, au profit de l’augmentation des marges bénéficiaires des entreprises. La politique fiscale de Donald Trump a accentué le mouvement. A l’inverse, la rente immobilière serait un facteur plus marginal d’accroissement des inégalités aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe où elle y contribue plus nettement, creusant le fossé entre générations.

La robotisation, l’immigration sont-elles coupables? Dans le mouvement de transformation technologique, il semble bien que l’automatisation de l’industrie touche les emplois les moins qualifiés. De nombreuses études montrent également que l’immigration peut concurrencer – bien qu’assez marginalement – le bas de l’échelle.

Dans tous les cas, les gains globaux restent largement supérieurs aux pertes et il est par ailleurs intéressant de noter qu’avec la persistance du plein emploi, cette tendance serait en passe de se corriger, la part des salaires dans l’économie ayant recommencé à progresser (tombée à 57% en 2015, elle progresse à nouveau à 59% du PIB en 2018).

Ce phénomène n’en soutient pas moins les discours populistes d’un Trump à droite, ou d’un Sanders à gauche dont  le programme trouve un écho certain auprès des plus exposés comme des plus jeunes. Ses financements, le succès de ses meetings lui permettent de se réclamer, plus que tout autre, du peuple américain. Débateur reconnu, certains lui trouvent même un talent suffisant (et même supérieur à celui de Joe Biden) pour tenir la dragée haute à Donald Trump. Entre populistes, on peut donc se mesurer. Mais en quoi le pays en bénéficiera-t-il?

 

1 Voir notre précédent article «Travail, capital à qui perd gagne» 12 février 2019.

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